Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du lundi 8 décembre 2025
Laïcité

La Défenseure des droits pointe des « incompréhensions » des règles sur la laïcité conduisant à des discriminations

La Défenseure des droits, Claire Hédon, vient de publier un rapport sur « les discriminations fondées sur la religion », où elle rappelle un certain nombre de règles et de principes sur le bon – ou le mauvais – usage des règles en matière de laïcité et de neutralité. 

Par Franck Lemarc

Le rapport d’une centaine de pages de la Défenseure des droits commence par « un état des lieux statistique »  qui s’appuie sur l’enquête Accès aux droits de 2024. Cette enquête montre une augmentation du nombre de discriminations pour motif religieux ressenties par les personnes interrogées. Si ce chiffre augmente pour toutes religions, le ressenti d’une discrimination est nettement plus important chez les personnes musulmanes que chez les pratiquants d’une autre religion : 34 % des musulmans disent avoir été victimes d’une discrimination en raison de leur religion, contre 19 % des juifs et 4 % des chrétiens. 

Cette augmentation se traduit d’ailleurs dans la hausse du nombre de saisines du Défenseur des droits pour « discrimination en raison des convictions religieuses » , passées de 74 en 2013 à 201 en 2023.

Principe de neutralité

Ces discriminations interviennent dans tous les domaines de la vie sociale : au travail, dans les commerces, dans les études, les établissements de santé, les services publics. D’après le rapport, c’est la question du voile qui est « au cœur des réclamations »  – ce qui explique qu’une large partie du rapport est consacré à la question de savoir où et quand il est légal d’interdire le port du voile. Avec le constat de dérives inquiétantes dans certains services publics. 

Le rapport rappelle d’abord un certain nombre d’éléments juridiques sur « les signes religieux ostensibles »  en s’appuyant sur les décisions du Conseil d’État. Ce dernier distingue plusieurs sortes de signes religieux : les signes « discrets » , d’une part, – médaillons, petite croix, mains de Fatma, étoiles de David… Le port de ceux-ci, de façon visible, est autorisé dans les établissements scolaires, mais proscrit pour les agents publics. Et, d’autre part, les signes plus « ostentatoires »  (voile, kippa, grande croix…), qui sont interdits dans l’enceinte des écoles et pour les agents publics.

Mais il est clairement rappelé que l’accès au service public, du côté des usagers, ne peut en aucun cas être restreint du fait du port d’un signe religieux, fût-il ostentatoire. Le Code de la fonction publique, rappelle Claire Hédon, dispose que l’agent public, lui-même astreint à une stricte « neutralité », « traite de façon égale toutes les personnes et respecte leur liberté de conscience et leur dignité ». 

Il en va de même dans la sphère des entreprises privées  - en dehors du cas où elle exercent un service public par délégation : le principe de neutralité n’y existe pas, et un employeur ne peut exiger d’un salarié qu’il s’abstienne de porter des signes religieux.

Les écoles, pas les universités

En partant des réclamations parvenues à ses services, la Défenseure des droits liste un certain nombre de cas où des limites ont été franchies. 

Il y a d’abord le cas classique des sorties scolaires : à l’extérieur des établissements, il n’est pas possible de demander à une mère d’élève accompagnatrice de sortie de retirer son voile. De même, il est rappelé que la loi n’interdit les signes religieux ostentatoires que dans les établissements scolaires primaires et secondaires, mais pas dans l’enseignement supérieur. Contrairement à ce qu’affirme le règlement intérieur de certaines universités publiques, aucun texte ne permet d’exiger de poser « tête nue »  sur les photographies de la carte d’étudiant. 

Il est évidemment interdit de refuser de servir un client, dans un bar ou dans un commerce, au prétexte qu’il porte un signe religieux, pas plus que de lui refuser l’accès à un équipement sportif. À ce sujet, la Défenseure des droits fait un rappel très précis de la jurisprudence sur le « burkini »  (à ce sujet, lire Maire info du 22 juin 2022). 

Vie citoyenne

Enfin, une partie particulièrement intéressante du rapport traite des questions de « participation à la vie citoyenne », partie dans laquelle il est constaté « des interprétations extensives, parfois contraires à la loi, du principe de laïcité ». 

En effet, si les municipalités ont l’interdiction, depuis la loi de 1905, d’apposer des signes ou symboles religieux sur les bâtiments publics, Claire Hédon rappelle que « les usagers des services publics qui pénètrent dans un bâtiment public ne sont en aucun cas soumis à cette interdiction ». 

Par exemple, une personne qui vient en mairie faire établir une carte d’identité doit, certes, fournir une photo « sans couvre-chef », elle n’a aucune obligation de retirer son voile si elle en porte un, en mairie. Elle doit, en revanche, conserver découvert « l’ovale du visage », de façon à pouvoir être reconnue. Ce rappel est d’autant plus nécessaire que le rapport cite le cas d’un préfet qui a interdit l’accès à une cérémonie d’accueil dans la citoyenneté française à une femme portant le voile. 

Concernant les élections, Claire Hédon rappelle également qu’un candidat a parfaitement le droit d’afficher son appartenance religieuse ; et que même élu, ce droit subsiste : la Cour de cassation a établi qu’un maire n’a pas le droit d’interdire le port de signes religieux ostensibles par les élus lors des réunions du conseil municipal. Mais attention : lorsqu’un élu agit en tant qu’agent de l’État, il est soumis à l’obligation de neutralité. 

Au moment des élections, là encore, les électeurs ne sont soumis à aucun principe de neutralité : il n’est pas légal de demander à une électrice de retirer son voile pour voter – sauf si celui-ci dissimule son visage. 

Enfin, la Défenseure des droits rappelle qu’une commune n’a pas le droit de refuser, au seul nom du principe de laïcité , la location d’une salle municipale à une association d’obédience religieuse. Deux conditions doivent être respectées : la location ne peut se faire à titre gratuit – sans quoi il s’agirait du financement d’un culte – et elle ne peut être que temporaire – afin que la salle ne devienne pas à destination cultuelle. En dehors de cela, la liberté de réunion et de religion imposent que les communes louent des salles à des associations cultuelles qui en font la demande dans les règles, dès lors que celles-ci sont disponibles et qu’il n’y a pas de risque de trouble à l’ordre public. 

Claire Hédon conclut son rapport en indiquant que bon nombre de discriminations ne sont pas forcément le fait d’une volonté politique mais, souvent, d’une mauvaise compréhension des règles touchant à la laïcité. Elles n’en sont pas moins graves, et peuvent avoir « des effets dévastateurs sur les victimes »  – pouvant même conduire à une aggravation, par réaction, du communautarisme. 

Ce rapport a le mérite de rappeler le droit et peut être lu comme un véritable guide du bon usage des règles en matière de laïcité.

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