Le PLFSS adopté, au prix d'une étrange recomposition
Par Franck Lemarc

Il s’en sera fallu de 13 voix. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) a été adopté par 247 voix contre 234 – 93 députés s’étant abstenus. La stratégie adoptée par le Premier ministre s’est donc, au moins sur ce texte, révélée payante : Sébastien Lecornu a tenu son engagement de ne pas utiliser l’article 49-3 et d’obtenir le soutien ou la neutralité de plusieurs groupes d’opposition, à coups de concessions accordées jusqu’au dernier moment.
Concessions
Au moins sur ce sujet du PLFSS, Sébastien Lecornu aura donc fait mieux que Michel Barnier, il y a un an presque jour pour jour, dont le gouvernement était tombé précisément à la suite de l’emploi du 49-3 pour faire passer son PLFSS, ce qui avait conduit à l’adoption, par les députés, d’une motion de censure.
Mais depuis, la situation a quelque peu évolué, notamment depuis que le Parti socialiste, au début de l’année 2025, s’est engagé à ne pas censurer le gouvernement de François Bayrou lors de la discussion budgétaire, actant ainsi clairement sa rupture avec La France insoumise et la fin du Nouveau front populaire.
L’autre évolution majeure a été la promesse, faite par Sébastien Lecornu dès sa nomination en septembre, de laisser le débat parlementaire aller à son terme et de ne pas faire usage de l’article 49-3 pour passer en force. Cette décision apparaissait risquée, mais elle est, pour l’instant, payante. Le Premier ministre s’est ensuite acquis le soutien du Parti socialiste en s’engageant à « suspendre » – en réalité, décaler de quelques mois – la réforme des retraites. Il a, ensuite, consenti à reculer sur un certain nombre de mesures contenues dans le PLFSS initial et jugées inacceptables par la gauche, comme le gel des pensions et allocations ou l’augmentation des franchises médicales.
Avec une conséquence prévisible : plus le gouvernement a cédé sur sa gauche, plus il a perdu de soutiens sur sa droite. À l’arrivée, les concessions faites au PS ont conduit à un PLFSS que beaucoup, à droite, jugent à leur tour inacceptable. C’est le cas de Bruno Retailleau, président des Républicains, qui a qualifié ce texte de « racket fiscal » … et même de l’ancien Premier ministre d’Emmanuel Macron, Édouard Philippe, qui a annoncé dès le week-end dernier que son groupe Horizons ne pourrait voter ce texte et s’abstiendrait.
3 % pour l’Ondam
Une fois les calculs faits, à la veille du vote, il est apparu que, contre toute attente, c’était le groupe écologiste (38 députés) qui tenait la clé de ce vote décisif : s’il votait contre, le PLFSS serait rejeté ; s’il s’abstenait, le texte avait une chance de passer. Pour obtenir, a minima, une abstention des écologistes plutôt qu’un vote contre, le gouvernement a donc fait une dernière concession, à moins de 24 heures du scrutin, en déposant un amendement passant de 2 à 3 % l’Ondam (objectif national des dépenses d’assurance maladie) : autrement dit, les dépenses de l’assurance maladie augmenteraient de 3 % l’an prochain au lieu de 2 % – la copie initiale du gouvernement prévoyait 1,6 %. Cet amendement – qui a été adopté juste avant le vote final – augmente l’Ondam, en valeur absolue, de 5,6 milliards d’euros par rapport au projet initial du gouvernement. Mais – ont regretté les députés écologistes eux-mêmes, par la voix d’Hendrik Davi – « pas un euro de plus » n’est fléché vers l’Ondam hospitalier dans cette hausse, qui portera sur les soins de ville. Les députés LFI ont émis la même critique. Ce point sera à vérifier lorsque le texte sera publié.
Quoi qu’il en soit, cette concession de dernière minute a tout de même suffi à rallier le groupe écologiste, qui a finalement annoncé qu’il s’abstiendrait « majoritairement » sur le texte – la présidente du groupe, Cyrielle Chatelain, expliquant à la tribune, de façon quelque peu étrange, que « son cœur et ses tripes » lui criaient de voter contre ce texte, mais qu’elle s’abstiendrait tout de même.
Des dissensions au sein des groupes
Cette décision des écologistes a bel et bien sauvé la mise au gouvernement, puisque, malgré le vote contre de 9 membres du groupe, 26 députés écologistes se sont abstenus. S’ils avaient voté contre, le PLFSS aurait été rejeté.
L’analyse du scrutin montre que ce vote a suscité de lourdes dissensions au sein de la majorité des groupes politiques représentés à l’Assemblée. En réalité, seuls cinq groupes sur 11 ont voté de façon unanime : Ensemble pour la République et le MoDem, qui ont voté pour le texte ; LFI, le RN et le groupe ciottiste, qui ont voté contre.
Dans les autres groupes, des défections individuelles, plus ou moins nombreuses, sont à constater. Le PS a presque unanimement voté pour le texte, mais six de ses députés se sont abstenus. Au PCF, 10 voix contre, 5 abstentions, une voix pour. Chez Horizons, la consigne d’Édouard Philippe de s’abstenir a été majoritairement suivie (25 abstentions, 9 vote pour).
C’est chez les Républicains que les divisions semblent les plus profondes. Sur les 49 membres du groupe, 28 ont suivi la consigne donnée par le président du groupe, Laurent Wauquiez, et se sont abstenus, tandis que seulement 3 ont suivi celle du président du parti, Bruno Retailleau, et ont voté contre. Mais 18 députés LR ont, eux, voté pour le texte. Mathématiquement, on peut donc aussi dire que ces 18 députés ont sauvé le PLFSS de Sébastien Lecornu, puisque celui-ci a été adopté avec 13 voix d’avance seulement.
Cadeau empoisonné
Quelle conclusion tirer de ce scrutin ? Les plus optimistes, du côté du gouvernement, parlent d’un exercice parlementaire remarquable, « d’une majorité de responsabilité », d’un « débat exigeant » et d’une « nouvelle manière d’exercer le rôle de législateur » (dixit Sébastien Lecornu). Le Premier ministre envoie au passage, dans le tweet qu’il a publié hier, un petit cadeau empoisonné au PS et aux écologistes, en les remerciant d’avoir « compris que le pouvoir est désormais partagé ». Une manière habile de dire qu’une partie de la gauche est désormais, de facto, alliée au gouvernement.
Ce qui correspond précisément à la rhétorique de La France insoumise et du RN, qui fustigent les « trahisons » du PS et des écologistes (pour LFI) et des Républicains (pour le RN), et les conforte dans leur rôle de seule opposition cohérente.
Si le PS, de son côté, se défend de toute « alliance » avec le camp macroniste et se félicite d’avoir fait « œuvre utile » tout en restant dans l’opposition, il reste à savoir si le message sera ainsi perçu par les électeurs. À trois mois des municipales, chacun joue très gros – et ce n’est qu’à ce moment que l’on verra les conséquences électorales des stratégies adoptées par les uns et les autres.
À moins que d’ici là, les cartes soient à nouveau rebattues lors du vote sur le projet de loi de finances (PLF). Le gouvernement va-t-il, d’ici là, faire de nouveau des concessions pour arracher le soutien d’une partie de la gauche, au risque de perdre définitivement celui de la droite ? Le Parti socialiste va-t-il rester fidèle à son engagement de voter contre un budget qui ne contiendrait pas des mesures fiscales contraignantes contre « les plus riches » ? Les Républicains vont-ils finir par voter majoritairement contre un budget qui leur semblera trop « confiscatoire » sur le plan fiscal ? Réponse dans les jours prochains. Au train où va la politique ces temps-ci, si, finalement, socialistes et écologistes torpillent le projet de loi de finances, l’épisode du PLFSS sera bien vite oublié.
Sébastien Lecornu fera sans doute tout pour l’éviter – tout, sauf recourir au 49-3, a-t-il encore affirmé ces derniers jours, malgré les demandes de plus en plus pressantes venues de son propre camp de rompre sa promesse. Même en ayant réussi à faire adopter son PLFSS, le Premier ministre marche toujours sur un fil.
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