Dans les communes rurales, les inégalités entre les femmes et les hommes restent exacerbées
Par Lucile Bonnin
C’est un sujet totalement absent du débat public, pourtant il concerne 11 millions de femmes, soit un tiers des Françaises. Faire sa vie en tant que femmes dans une commune rurale est, comme l’a rappelé hier Aurore Bergé, la ministre chargée de l'Égalité femmes-hommes, « un choix de territoire, d’ancrage, d’équilibre » qui peut malheureusement « se retourner contre elles ».
Dans les territoires ruraux, « l’égalité se heurte à des contraintes spécifiques », selon Aurore Bergé. C’est ce que les deux auteurs de l’enquête – Salomé Berlioux et Félix Assouly – appellent le « malus rural du genre ». Largement invisibilisées politiquement, les femmes rurales jouent pourtant un rôle central dans ces territoires mais sont en première ligne face aux inégalités qui persistent en France.
« Un cocktail explosif »
Si les femmes rurales et urbaines font face à de mêmes inégalités (division du travail domestique, insécurité financière, reconnaissance sociale), les femmes qui vivent à la campagne sont particulièrement confrontées aux inégalités sociales, territoriales et de genre présentes dans la société française car ces trois facteurs d’inégalité « s’enracinent dans les fragilités économiques que vit une large proportion des ruraux, sont nourries par les kilomètres à franchir, sont structurées par le patriarcat et ce qu’il induit de foncièrement inégalitaire pour les femmes ».
« C’est un cocktail explosif », commente l’un des auteurs, Félix Assouly. À travers une enquête quantitative menée auprès de plus de 5 000 personnes et une enquête qualitative avec près de 100 entretiens avec des femmes rurales, les auteurs mettent en avant le fait « que les contraintes propres à la ruralité ne se contentent pas de s’ajouter aux inégalités de genre » mais qu’ « elles les amplifient, les rigidifient et les rendent parfois structurellement inextricables ».
Le fardeau de la distance sur les épaules des femmes
L’étude commence par présenter des chiffres liés à l’emploi : 45 % des femmes rurales sont inactives. Il s’avère que les femmes rurales, pour trouver un emploi stable, doivent passer par un parcours d’obstacles de haut niveau, mêlant « éloignement des bassins d’emploi, faible diversification des postes accessibles, mobilités coûteuses, absence de solutions de garde [pour les enfants], poids des normes familiales et de genre ». Finalement, c’est un peu le serpent qui se mord la queue puisque « l’inégalité de genre nourrit l’inégalité territoriale, qui renforce à son tour l’inégalité de genre ».
Comme dans beaucoup d’enquêtes dédiées à la ruralité, la distance est identifiée comme le point noir, la contrainte principale avec laquelle les habitants doivent composer. Les femmes payent le prix fort de ce qu’implique d’habiter à la campagne soit « là où les infrastructures, les services et les mobilités sont plus rares ». Concernant le travail domestique, il apparaît que 86,5 % des femmes rurales gèrent les démarches administratives du foyer, 70 % les trajets scolaires, 74 % les activités extrascolaires. « Ce qui, en ville, peut se mutualiser, se délègue rarement en ruralité », peut-on lire dans l’étude.
« Le vrai métier des femmes rurales c’est chauffeur », dénonce avec ironie Jean Viard, sociologue et directeur de recherche au CNRS. Résultat : le temps personnel et libre de ces femmes est largement sacrifié. « 47 % des femmes rurales ont moins de 5 heures pour elles par semaine contre 25 % des hommes (22 points d’écart) », souligne Salomé Berlioux, co-auteure de l’enquête.
Contre les violences, le rôle déterminant des élus locaux
Ces contraintes montrent, selon les auteurs, que « s’attaquer aux inégalités de genre suppose aussi de corriger les inégalités d’accès, de distances et de services, qui les intensifient ». Le ministre chargé de la Ruralité, Michel Fournier, était également présent lors de la présentation de ce rapport. L’occasion pour lui de rappeler que les France services sont « une excellente réponse » tout comme les initiatives d’allers-vers mises en place localement comme les médico-bus par exemple.
Mais « le maire reste le premier interlocuteur », rappelle l’ancien président de l’AMRF. Une idée largement partagée par Aurore Bergé qui estime que « les élus locaux sont des maillons décisifs pour repérer des situations de danger » pour les femmes. Les statistiques qui concernent les violences faites aux femmes sont particulièrement préoccupantes dans les zones rurales. On retiendra surtout que 47 % des féminicides constatés chaque année a lieu dans ces communes. Un guide de l’AMF est mis à disposition des maires afin de les aider à agir sur la prévention, l’accueil et l’accompagnement des femmes victimes de violences. De son côté, l’AMRF porte le dispositif « Élus ruraux relais de l'égalité » (ERRE) qui compte aujourd’hui 2 500 élus référents.
Enfin, le monde rural est un espace encore trop masculin, a rappelé Jean Viard : la tête de liste aux élections municipales est le plus souvent un homme et l’espace public est lui aussi largement masculin (bars-PMU, terrains de sport, cours de récréation, etc) … Estimant que « ce sont les élus locaux qui dirigent les campagnes », le sociologue espère que cette enquête pourra toucher les maires ruraux et attirer leur attention.
Les femmes rurales : l’angle mort politique déterminant
La réforme du scrutin de liste dans les communes de moins de 1 000 habitants s’est tout naturellement invité dans les échanges autour de l’étude. Pour mémoire, la loi du 21 mai 2025 qui a étendu le scrutin de liste paritaire à toutes les communes à partir des élections de mars prochain. Pourtant encouragé par les associations d’élus, ce changement n’a pas fait l’unanimité chez les élus. Certains estiment qu’il sera difficile de trouver des femmes dans ces communes rurales qui souhaitent se présenter sur une liste. Justement, Michel Fournier estime qu’ « on a besoin d’un accélérateur pour que les femmes puissent s’engager mais aussi pour que les hommes acceptent cet engagement politique ». « Les femmes ont des responsabilités dans les milieux associatifs, pourquoi elles ne pourraient pas en avoir en tant qu’élue ? », a finalement lancé celui qui est aussi maire de Voivres.
D’ailleurs, une partie de l’enquête le montre, les femmes rurales ne sont évidemment pas plus apolitiques que celles qui vivent en milieu urbain. Ne pas les prendre en compte alors que d’importantes élections se profilent à l’horizon serait une lourde erreur. Les auteurs mentionnent l'existence d'un ressentiment rural en France qui serait aussi fort qu'aux États-Unis notamment quand 81 % des ruraux estiment que les politiques accordent trop d'importance aux préoccupations des villes.
Télécharger l'étude de l'Institut Terram.
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