Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du vendredi 20 janvier 2023
Transition écologique

Rénovation énergétique : les députés autorisent le recours au « tiers-financement » pour les collectivités 

Les députés ont adopté, hier, un texte qui autorise les collectivités à inclure un tiers dans le portage financier d'une rénovation énergétique de bâtiments publics. Ouvert à titre expérimental pour cinq ans, ce dispositif doit permettre de « lisser les paiements » et de débloquer des « milliards d'euros », selon le ministre de la Transition écologique.

Par A.W.

« Le vote qui s’apprête à avoir lieu est majeur. On s’en souviendra, car cette proposition de loi déclenchera des milliards d’euros de travaux de rénovation dans notre pays. »  Le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu, n'a pas caché son enthousiasme, hier, au moment de l’adoption par l’Assemblée d’une proposition de loi qui vise à ouvrir le « tiers-financement »  à l'État, à ses établissements publics, mais aussi aux collectivités territoriales afin de « favoriser les travaux de rénovation énergétique ».

Expérimentation sur cinq ans

Déposé par les membres du groupe Renaissance (RE) et adopté en première lecture dans l’hémicycle, ce texte crée un nouveau dispositif expérimental pour une durée de cinq ans, permettant à l’État et aux collectivités territoriales « d’étaler sur plusieurs années le remboursement de leurs investissements de rénovation énergétique »  qui seront, selon le rapporteur de la commission des lois Thomas Cazenave (RE), « partiellement financés par les économies d’énergie réalisées grâce aux travaux ». En résumé, ce dispositif permettrait « d’investir maintenant et de lisser dans le temps le coût des investissements », selon le député de Gironde.

L’objectif est, à la fois, d’accélérer la rénovation du parc immobilier public, non seulement pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, mais aussi pour réduire la facture énergétique dans un contexte d’augmentation du prix de l’énergie. Tout en améliorant « le confort »  des agents et des usagers du service public.

« Sachant que près de 40 % de l’immobilier tertiaire appartient à l’État et aux collectivités locales, la rénovation thermique de ce parc emporte des conséquences majeures en matière d’économies d’énergie et de budget », a rappelé également l’ancien maire d’Angers. Dans les communes, les bâtiments publics seraient d’ailleurs responsables de « 76 % de la consommation énergétique ».

Mais tout cela à un coût. La seule rénovation des écoles représenterait un effort évalué à « 40 milliards d’euros ». 

Réservé aux « rénovations ambitieuses » 

Christophe Béchu voit dans ce dispositif « une solution »  pour résoudre les dilemmes et les « injonctions paradoxales »  (accélérer la lutte contre le réchauffement climatique, réduire la consommation énergétique des bâtiments, et préserver l’équilibre des budgets) auxquels sont confrontés les maires et les élus ruraux.

Concrètement, ce mécanisme de tiers financement permettrait d’« inclure un tiers dans le portage financier »  d’une rénovation énergétique de bâtiment, « dans le cadre d’une offre complète », expliquent les députés de la majorité présidentielle dans l’exposé de leurs motifs : « Le tiers réalise l’investissement, puis le bénéficiaire des travaux lui rembourse l’avance et les intérêts associés à compter de la date de livraison des travaux ». 

Une méthode qui permettrait ainsi de « faciliter le déclenchement de la décision de réaliser des travaux de performance énergétique »  alors que, jusqu’à présent, ce type d’opération via un paiement différé est resté interdit, « sauf à recourir aux marchés de partenariat – modalité trop complexe et trop lourde, inadaptée aux travaux de rénovation énergétique ».

Contrairement aux contrats de performance énergétique, l’État et les collectivités garderaient « la maîtrise d’ouvrage »  et ne seraient pas « dépossédés de leur bâti », notamment les écoles, les hôpitaux ou encore les universités. 

Si cette expérimentation doit être « réservée aux rénovations ambitieuses », selon Thomas Cazenave, le dispositif serait « encadré et sécurisé »  grâce à « une analyse de la soutenabilité financière des contrats »  et « une étude préalable de l’intérêt du projet, en particulier en matière de performance énergétique ». En outre, il « ne déroge pas »  au droit commun de la commande publique « quant aux appels d’offres ou à la mise en concurrence des marchés globaux de performance ».

Pertinence et utilité « douteuses » 

Tout cela serait donc « bon pour l’État [et] pour les collectivités locales », mais aussi pour les contribuables (qui « bénéficieront du fait qu’aucune dépense ne sera directement engagée par les collectivités sur ces travaux » ) et pour « la planète »  (qui, elle, « profitera de l’accélération de la baisse des émissions de gaz à effet de serre » ), selon le ministre de la Transition écologique.

Sans compter que les agents publics en profiteront (en bénéficiant de « meilleures conditions de travail » ), tout comme les usagers des bâtiments publics. « On ira désormais plus vite pour réaliser des travaux dans les écoles, alors qu’aujourd’hui, en l’absence de rénovation, les conditions dans lesquelles les enfants et les enseignants travaillent ne sont pas optimales », selon l’ancien maire d’Angers. 

Malgré un certain « consensus »  chez les députés, celui de la Savoie Jean-François Coulomme (LFI) a estimé que « la pertinence et l’utilité »  de ce dispositif étaient « douteuses »  pour assurer la rénovation thermique car « il représente un risque potentiel fort d’endettement des collectivités territoriales et des établissements publics et est de nature à favoriser des pratiques corruptives ».

La députée du Tarn-et-Garonne Marine Hamelet (RN) a, de son côté, pointé la « précarité financière »  dans laquelle se trouvent les collectivités, « en particulier les maires ». « Tant que la question des moyens dédiés à l’investissement dans la rénovation thermique des bâtiments publics ne sera pas traitée, ce dispositif dérogatoire ne saurait représenter un levier important », selon elle.

Du côté des Républicains, le député du Haut-Rhin Raphaël Schellenberger a soutenu cette proposition de loi qui apporterait « une souplesse bienvenue ». Il estime, toutefois, que « nous ne pourrons pas faire l’économie, dans les années qui viennent, d’un vrai travail sur la question de la commande publique », celui-ci pointant les « très mauvais acheteurs »  que sont l’État et les collectivités locales en achetant « toujours plus cher que les organismes privés ».

En outre, il a demandé la mise en place de protections pour les petites collectivités locales dans la souscription de ce type de contrats : « On a vu au début des années 2000 ce que donnaient les produits bancaires complexes dans un certain nombre de collectivités locales », a-t-il mis en garde. 

Accompagnement des petites collectivités

Dans ce cadre, les députés de la majorité ont assuré que l’État accompagnera les collectivités, et notamment les plus petites, « dans l’ingénierie que nécessitent ces contrats ». « Je sais que la Banque des territoires, mais aussi l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), entre autres, sont prêts à relever ce défi », a indiqué Thomas Cazenave.

« Il s’agira notamment de pouvoir rappeler les bonnes pratiques permettant d’éviter tout recours par les collectivités à des schémas de financement mal adaptés. Afin de bénéficier d’un accompagnement plus personnalisé, les porteurs de projet pourront mobiliser le programme Action des collectivités territoriales pour l’efficacité énergétique, financé par les certificats d’économie d’énergie, ou la mission d’appui au financement des infrastructures », détaillent les députés de la majorité dans leur exposé des motifs.

Le seuil de 2 millions d’euros initialement prévu pour recourir à ces opérations a été supprimé et les « craintes »  soulevées concernant le traitement de la dette issue de ces contrats auraient été « entendues ». « Cette dette ne sera pas déconsolidée : elle ne sera pas cachée, mais sera clairement inscrite comme telle dans les comptes des collectivités. Nous devons – et nous pouvons – assumer collectivement que cette dette est utile, et même rentable », a expliqué Thomas Cazenave.

Le Sénat devra désormais examiner ce texte à compter du 16 février.

Consulter le texte adopté en première lecture par l'Assemblée.
 

Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2