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Édition du jeudi 13 novembre 2025
Social

L'Anses publie une étude inquiétante sur la santé des agents de nettoyage, dans le privé comme dans le public

L'Agence de sécurité sanitaire (Anses) vient de publier une vaste et inquiétante étude sur les conditions de travail des agents de nettoyage, soumis à des risques professionnels particuliers. Elle recommande de sensibiliser les employeurs, y compris territoriaux, sur ces problématiques. 

Par Franck Lemarc

C’est un document de plus de 400 pages qu’a rendu public hier l’Anses, intitulé Analyse des conditions de travail des agents du nettoyage et de leurs impacts sur la santé. Cette vaste étude, assortie de nombreuses recommandations, met en lumière les risques spécifiques de cette profession qui apparaît comme l’un des parents pauvres du monde du travail. Si les agents publics – fonctionnaires ou contractuels – chargés du nettoyage sont un peu mieux protégés que les autres, le recours croissant à l’externalisation, y compris dans la fonction publique, pose un certain nombre de problèmes.

Externalisation

Le secteur des agents du nettoyage concerne entre 1,2 et 1,4 million de salariés, selon l’Anses, qui fait état de difficultés à quantifier de façon très précise le nombre de travailleurs concernés. En effet, si certains travailleurs sont agents de nettoyage à plein temps et référencés comme tels, d’autres, dans la fonction publique notamment, sont des agents de service qui ne consacrent pas forcément la totalité de leur temps de travail à des tâches de nettoyage. 

Mais l’Anses donne tout de même des indications : il y a en France 500 000 travailleurs relevant spécifiquement du secteur de la propreté – c’est-à-dire employés par des entreprises de nettoyage, et qui interviennent, de façon externalisée, dans d’autres entreprises ou services publics ; environ 350 000 salariés sont employés à des tâches de nettoyage par des entreprises hors du secteur de la propreté (les agents du nettoyage internes aux entreprises) ; et, enfin, quelque 600 000 « salariés du nettoyage relevant du secteur public ». 

L’Anses note que le recours à l’externalisation est de plus en plus important, y compris dans le secteur public. Il n’a pas été possible à l’agence de quantifier le nombre de travailleurs des entreprises privées de nettoyage travaillant pour un donneur d’ordre public. Mais en revanche, il apparaît clairement que le secteur public a de plus en plus recours à des agents externes pour nettoyer les locaux : de 2005 à 2017, « les marchés publics de nettoyage ont crû de plus de 125 % ». La part des marchés dédiés aux administrations publiques était de 14,8 % en 2016, elle est passée à 17,3 % en 2020.

Les risques spécifiques concernant les agents travaillant dans des entreprises prestataires de services concernent donc aussi – et de plus en plus – le secteur public.

Salaire médian inférieur au seuil de pauvreté

C’est en effet dans ces entreprises que les conditions de travail sont les plus difficiles et les salaires les plus bas. Notamment parce que les contrats de prestation de service sont généralement à temps partiel – contrairement à un emploi d’agent de service. Selon l’Anses, un agent de service du service public, en interne, travaille en moyenne 32 h 45 par semaine, tandis qu’un salarié externalisé travaille en moyenne 24 h 30 par semaine. Conséquence : le salaire médian des agents d’entretien externalisé est « en dessous du seuil de pauvreté monétaire », à 900 euros. Les agents de service du service public touchent un salaire médian de 1 400 euros, et ceux du secteur privé (internalisés) 1 160 euros. 

Cette profession – féminisée à 75 % – est donc plus pauvre que la plupart des autres, soumise à des horaires de travail plus atypiques – très tôt le matin ou tard le soir, plus fragile parce qu’elle est majoritairement, dans le privé, constituée de travailleurs d’origine immigrée. Le taux de syndicalisation y est également particulièrement faible.

État de santé « dégradé » 

À cela s’ajoute – ce qui est au centre de l’étude de l’Anses – des risques en matière de santé liés à la pénibilité et aux produits utilisés. Gestes répétitifs, postures, charges, sont autant de facteurs qui multiplient les TMS (troubles musculosquelettiques), notamment « lombalgies, pathologies au niveau des épaules, canal carpien et genoux » ) auxquels cette population est plus exposée que la moyenne. L’Anses écrit que l’état de santé des agents du nettoyage est globalement « dégradé », avec « une fréquence et une gravité »  des accidents du travail supérieure à la moyenne, un taux de travailleurs reconnu en maladie professionnelle « deux fois plus élevé »  que dans l’ensemble du monde du travail, des licenciements pour inaptitude « deux fois plus fréquents »  qu’ailleurs. 

Les données dont dispose l’Anses sont, de surcroît, probablement « sous-évaluées », parce que plusieurs facteurs (précarité, fragilité, méconnaissance des droits) de cette population conduit fréquemment à une sous-déclaration des maladies et accidents professionnels. 

Enfin, ces agents sont exposés en permanence à des produits chimiques potentiellement nocifs pour leur santé. D’où une prévalence plus élevée, dans cette profession, de l’asthme et des dermatites, mais également des bronchopneumopathies chroniques obstructives, de certains cancers – voire de malformations congénitales pour les enfants de travailleuses exposées à des produits chimiques pendant leur grossesse. 

Recommandations

L’Anses se livre à des recommandations de plusieurs types, dont certaines semblent plus facilement applicables que d’autres. 

Avant tout, elle préconise de moderniser les instruments de travail dont disposent les agents en privilégiant des outils automatisés ou semi-automatisés ou, à tout le moins, ergonomiques. Elle recommande de diminuer au maximum l’usage de produits détergents nocifs. 

La réflexion peut être pensée en amont de la construction des bâtiments tertiaires : il faut, estime l’Anses, « penser l’aménagement des locaux existants dans la mesure du possible, et surtout futurs, en fonction aussi des contraintes liées à leur nettoyage : accessibilité d’un point d’eau et à l’électricité par étage, escaliers, revêtements et éclairage adaptés, zone de stockage du matériel et des produits d’entretien, vestiaires… ».

Au-delà, il apparaît qu’un énorme travail serait à faire pour diminuer le recours aux temps partiels et au travail fragmenté, pour favoriser le nettoyage pendant les horaires de bureau et non avant ou après. Et, surtout, l’Anses pose la question des rapports de travail qu’impliquent le recours grandissant à la sous-traitance et à l’externalisation, qui fait que les donneurs d’ordre ne regardent pas d’assez près les conditions de travail des entreprises sous-traitantes auxquelles elles ont recours et, sans mauvais jeu de mots, s’en lavent les mains.

L’Anses préconise, en tout état de cause, qu’un sérieux travail de sensibilisation soit effectué vis-à-vis des donneurs d’ordre, qu’il s’agisse « des entreprises ou des collectivités territoriales », sur l’ensemble de ces problématiques.

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