Entre réformes et pénurie de professionnelles : un état des lieux mitigé de l'accueil de la petite enfance
Par Lucile Bonnin
De nombreux bouleversements sont intervenus cette année dans le secteur de la petite enfance. D’abord, depuis le 1er janvier, le service public de la petite enfance a été mis en œuvre, attribuant aux communes de nouvelles compétences en la matière. Puis, un nouveau mode de calcul a été acté pour le complément de libre choix du mode de garde (CMG) destiné aux familles qui emploient directement la personne gardant leur enfant. Tous ces changements interviennent alors que le secteur connaît depuis plusieurs années une grave crise.
La publication récente de l’Observatoire national de la petite enfance (Onape) et ses résultats montrent que les défis pour l’avenir du secteur de la petite enfance sont nombreux et que certaines dynamiques restent préoccupantes.
Accueil, naissances, inégalités territoriales : des tendances qui se confirment
Les statistiques montrent, selon la Cnaf, que certaines tendances se confirment. C’est le cas de la natalité : 661 000 bébés sont nés en France en 2024, soit 2,8 % de moins qu’en 2023. « Ce point historiquement bas est lié principalement au recul de la fécondité, avec un indice de 1,62 enfant par femme en 2024, contre 1,92 en 2016 », peut-on lire dans le rapport.
De même que les naissances, le nombre de places proposées aux familles baisse. En 2023, 1 306 600 places d’accueil sont proposées aux familles, soit une baisse de 0,6 % par rapport à 2022. Cette baisse n’est cependant pas corrélée à la diminution des naissances. En effet, le taux de couverture est bien en-deçà des besoins avec 60,9 places pour 100 enfants de moins de 3 ans. Il faut noter tout de même que ce taux est en hausse de 1,4 point par rapport à 2022.
Localement, entre 2022 et 2023, la Cnaf note que « le taux de couverture progresse dans les zones les moins bien dotées, réduisant ainsi les inégalités territoriales ». « Le nombre de places d’accueil disponibles et le taux de couverture seront accessibles sur le portail OpenData de la Cnaf, avec une nouvelle interface de datavisualisation, en début d’année 2026. »
L’observatoire montre néanmoins que « l’offre d’accueil en crèches progresse, portée par les créations de places dans les micro-crèches financées par la Paje, dont le nombre a augmenté de près de 9,9 % en 2024. »
Aussi, comme l’Observatoire le pointait l’année dernière (lire Maire info du 19 décembre), parmi les EAJE financés par la branche Famille via la prestation de service unique (PSU), l’effort est de plus en plus porté par le secteur privé avec un fort développement des délégations de service public (DSP). Si le nombre d’EAJE gérés par des collectivités baisse depuis 2021, ils représentent 55 % de l’offre de places au total tandis que si le secteur privé a augmenté de 30 % depuis 2019 il n’est gestionnaire que de 1 963 établissements en 2024 contre 6 997 pour les collectivités.
La pénurie de professionnelles ne se résorbe pas
Une très large partie du rapport porte sur la pénurie de professionnelles. Cette pénurie qui s’installe ne permet pas de créer de nouvelles places en crèche et entraîne le gel de nombreux berceaux, laissant ainsi certains parents sans solution d'accueil. Et les chiffres sont inquiétants.
Pour la première fois depuis son lancement, l’Observatoire consacre une partie de son rapport aux besoins de professionnelles en crèche – preuve de l’importance de cette problématique aujourd’hui.
Ainsi, la Cnaf rappelle – à partir d’une enquête réalisée en 2024 – « le nombre d’ETP vacants sur la totalité de la semaine de référence, hors congés ou RTT, s’élève à 13 700. Parmi ceux-ci, 6 300 (soit 46 % du total) le sont depuis plus de 3 mois. On estime que 40 % des crèches sont concernées par une vacance de poste. » Ce sont les gestionnaires publics qui sont les plus concernés par cette pénurie de professionnelles.
Le rapport donne également le taux de vacance par départements : en 2024, 14 départements ont un taux de vacance supérieur à la moyenne nationale située à 8,3 %.
La pénurie de professionnelles ne touche d’ailleurs pas uniquement les crèches. « Amorcée en 2013, la baisse du nombre d’assistantes maternelles se poursuit : - 4,1 % (après - 4,3 % en 2023), soit 9 800 professionnelles en moins par rapport à 2023 » . Le nombre de places offertes diminue forcément alors que c’est l’offre principale d’accueil formel. Les conditions de travail de ces professionnelles s’en retrouvent ainsi détériorées avec un volume horaire de travail qui augmente largement et ce, alors que le salaire horaire net pour la garde d’un enfant n’a que très peu augmenté : il est de 4,04 euros en 2024 (après 3,89 en 2023 et 3,76 en 2022).
Un point sur la réforme du CMG
On retrouve également dans cette publication des informations concernant le Complément de libre choix du mode de garde (CMG). La Cnaf rappelle à cette occasion que, depuis le 1er septembre 2025, « les modalités de calcul du volet relatif à la rémunération du CMG, qui prend en charge une partie du coût de la garde, ont été profondément remaniées afin de rapprocher la dépense supportée par les parents-employeurs de celle qu’ils auraient si leur enfant était accueilli en crèche. »
« Cette réforme du CMG s’inscrit dans les objectifs de la branche Famille pour le soutien au déploiement du service public de la petite enfance (SPPE), dont l’un des axes est de favoriser l’accès réel de tous les enfants aux modes d’accueil. »
De manière simplifiée, il faut comprendre qu’avec la réforme, le montant du CMG devient proportionnel au nombre d’heures de garde et que, comme dans les crèches, désormais plus les enfants sont nombreux, plus le taux d’effort est faible.
La Cnaf estime ainsi que, à recours inchangé, 38 % des bénéficiaires du CMG verraient leur prestation augmenter par rapport à celle dont ils auraient bénéficié sans réforme ; 16 % ne verraient aucune différence et 27 % percevraient un montant de CMG plus faible.
La réforme rebat les cartes du côté des allocataires mais aussi des professionnelles. La réforme pourrait en effet, selon la Cnaf, « conduire à une augmentation du recours à une assistante maternelle. » Encore une fois, sans véritable solution apportée à la pénurie de professionnelles on peut s’interroger sur la manière dont il sera possible de faire face à l’augmentation des demandes…
17 % de l’accueil pris en charge par les collectivités
Après ce très large état des lieux vient forcément la question des financements. « Les dépenses publiques consacrées à l’accueil des jeunes enfants progressent de 4,8 % en 2024 et s’élèvent à 17,5 milliards d’euros », constate la Cnaf.
La branche Famille de la Sécurité Sociale a engagé12 milliards d’euros en 2024, soit 69 % de l’ensemble des dépenses publiques. Les collectivités prennent en charge 17 % des dépenses liées à l’accueil des moins de trois ans (soit 2,9 milliards d’euros). « Elles financent notamment les dépenses de fonctionnement et d’investissements des EAJE et, dans une moindre mesure, les écoles préélémentaires » . De son côté, l’État prend en charge 15 % de ces dépenses (soit 2,6 milliards d’euros).
Enfin, la Cnaf estime le coût d’une place en EAJE PSU à 19 450 euros en moyenne. Ce coût est en hausse de 5 % par rapport à l’année précédente. Rappelons au passage que la PSU va désormais être revalorisée de 2 % « de manière rétroactive à l’ensemble de l’année 2025. » Cette revalorisation était attendue par l’AMF qui en a formulé la demande à de nombreuses reprises, face à la hausse régulière des coûts de fonctionnement. Des précisions devraient prochainement être apportées par la CNAF concernant le montant exact de cette revalorisation.
Par ailleurs, l'AMF signale que les premiers versements aux communes du soutien financier de l'État au SPPE sont en cours. L'Agence des paiements signale que dans certaines communes, la notification par courrier risque d'arriver après le versement. 3 300 communes vont en effet recevoir un soutien financier de l'État pour la mise en place du service public de la petite enfance pour un total de 86 millions d’euros.
Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2
Budget 2026 : comme promis, les sénateurs exonèrent les communes du Dilico







