Maire-info
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Édition du lundi 27 mars 2023
Outre-mer

Antilles : la Défenseure des droits critique un accès « entravé » aux services publics

Parmi ses nombreuses préconisations, la Défenseure des droits recommande d'annuler les factures d'eau quand le service n'a pas été rendu et encourage les communes à mettre en place un service de restauration dans tous les établissements scolaires primaires dont elles ont la charge, « Ã  un tarif abordable ».

Par A.W.

Des usagers victimes de coupures d'eau récurrentes, des élèves qui perdent des dizaines de jours d'écoles, des habitants qui renoncent à se soigner faute de pouvoir se rendre dans l'Hexagone, un accès au numérique réduit par des « pratiques tarifaires élevées »... Dans un rapport, publié la semaine passée, la Défenseure des droits (DDD), Claire Hédon, critique sévèrement l’accès aux services publics dans les Antilles et met en lumière toute une série de difficultés rencontrées « quotidiennement »  par les ultramarins dans l’exercice de leurs droits.

Selon elle, « la capacité effective donnée aux habitants de ces territoires à vivre dans des conditions décentes et dans un environnement sain, à apprendre et se former, à se déplacer et travailler, à accéder aux soins, à vieillir dans de bonnes conditions et, plus largement, à réaliser leurs démarches administratives et à faire valoir leurs droits, […] est réduite du fait des insuffisances des services publics ».

« On ne croit plus au service public » 

Constatées depuis plusieurs décennies, ces défaillances dans le fonctionnement des services publics est d’ailleurs « à l’origine d’un climat de défiance caractérisé envers les institutions dans ces territoires et d’un sentiment prononcé d’abandon ». Une population antillaise qui « ne croit plus au service public », selon les propos recueillis sur place par la délégation du Défenseur des droits dans le cadre de ses auditions, réalisées en fin d’année 2022.

D’autant que les situations les plus critiques sont largement « connues »  aux Antilles. Celles-ci vont de « la distribution et l’assainissement de l’eau en Guadeloupe », à « la rareté des transports publics », en passant par « les délais d’attente pour accéder à un médecin spécialiste », « les difficultés à liquider les pensions de retraite en Martinique », « le manque d’agents dans les préfectures et dans les juridictions, qui retarde l’accès aux droits », ou encore « les difficultés liées à la dématérialisation des démarches administratives, accrues pour des populations où le taux d’illettrisme est plus important et où la fracture numérique est encore plus marquée ».

En 2022, « la très grande majorité »  des saisines de la DDD a ainsi concerné « le fonctionnement des services publics », à hauteur de 95 % en Guadeloupe et 96 % en Martinique. 

Un constat sévère qui ne « met nullement en cause le travail réalisé par les agents publics qui souvent, souffrent eux-mêmes de difficultés structurelles ne leur permettant pas de répondre comme ils le souhaiteraient aux attentes des usagers », tient, toutefois, à souligner Claire Hédon.

Distribution et accès à l’eau potable dégradés

Concrètement, les « défaillances »  des services publics et les difficultés des Antillais à y accéder se matérialisent par une série d’« entraves ». L’une des plus connues reste l’accès à l’eau potable.

Le Défenseur des droits rappelle ainsi être « régulièrement saisi »  de réclamations relatives à des litiges concernant l’alimentation en eau potable en Guadeloupe (en Martinique, les difficultés existent aussi mais sont « moindres » ), le réseau comportant « des infrastructures très dégradées »  qui entraînent « des fuites massives par rupture de canalisation »  et des coupures d’eau « fréquentes ». « Certaines régions, notamment de Basse-Terre, où se trouve pourtant la ressource, sont ainsi dans une situation gravissime s’agissant de l’accès à un droit élémentaire, créant fatigue et exaspération de populations en grande souffrance », explique la Défenseure des droits. 

Dans ce contexte, « les aléas de la distribution de l’eau entravent fortement le fonctionnement de tous les services publics, et notamment ceux de l’éducation et de la santé », malgré la création en 2021 du syndicat unique de l’eau et de l’assainissement de Guadeloupe (SMGEAG) qui est en proie à de graves difficultés techniques et financières, la structure ayant héritée « d’un lourd passif »  dans la gestion de ces deux compétences.

Alors qu’une « partie significative »  des usagers n’a pas accès à l’eau ou seulement à de l’eau impropre à la consommation, nombre d’entre eux refusent de payer leurs factures (le taux d’impayés est, en moyenne, de 25 % en Guadeloupe, mais peut frôler les 50 % dans une intercommunalité de la Basse-Terre, alors que la moyenne nationale se situe à 2 %). 

Dans son rapport, la Défenseure des droits préconise ainsi de « prononcer un abandon de créances pour les factures aux particuliers émises avant le 1er janvier 2021 », mais aussi de « mettre en œuvre rapidement les engagements pris sur la remise en état des réseaux d’eau et d’assainissement en Guadeloupe ».

En visite la semaine passée sur l’île, le ministre délégué aux Outre-mer, Jean-François Carenco, a indiqué que la remise en état du réseau d'eau guadeloupéen « démarre enfin ». « On accélère les travaux, on accélère tout », a assuré le ministre, qui a signé mercredi un contrat – annoncé en novembre – de 27 millions d'euros sur trois ans, visant à redresser et assurer le fonctionnement du SMGEAG. 

« Le mois dernier, on réparait deux fuites par jour, aujourd'hui on est à trente. C'est bien que c'est le signe d'un truc qui marche », s’est-il félicité, en annonçant également de « nouveaux dispositifs expérimentaux qui seront déployés rapidement, pour lutter contre les sargasses pour près de 1,5 million d’euros ». La prolifération de ces algues sur leur littoral – qui dégagent des émanations de gaz et provoquent notamment la dégradation par corrosion des appareils électroménagers – entraînent « des atteintes au droit de vivre dans un environnement sain et affectent le fonctionnement de nombreux services publics », selon la DDD. 

Ecoles, cantines, santé, justice…

En outre, du fait des « grèves »  ou « des situations de force majeure liées aux conditions climatiques et environnementales », les élèves scolarisés en Guadeloupe et en Martinique reçoivent « un nombre de jours d’enseignement inférieur à la moyenne des élèves de métropole », allant, dans certaines écoles, jusqu’à 20 % de jours de classe perdus, sans être rattrapés, au cours de l’année 2021. Sans compter les « difficultés d’accès physiques »  à l’école. 

Il y a ainsi « urgence, dans les deux territoires, à organiser le rattrapage des jours d'école perdus […] et à améliorer le transport scolaire », selon la DDD. 

Cette dernière pointe également « l’insuffisance des services de restauration scolaire ». Alors que de nombreux établissements scolaires n’en disposent pas, le nombre de places offertes au sein des cantines reste « faible »  et ne « permet pas de répondre à la demande et d’offrir un repas quotidien à tous les enfants ». Elle encourage donc les communes à mettre en place un service de restauration scolaire au sein de tous les établissements scolaires primaires dont elles ont la charge, « à un tarif abordable »  – ce service est, rappelons-le, facultatif.

S’agissant de l’accueil de la petite enfance, les difficultés d’accessibilité et de disponibilité des dispositifs d’accueil des jeunes enfants sont aussi patentes et conduisent à ce que les femmes antillaises soient « directement entravées dans leur vie professionnelle »  (40 % des familles sont monoparentales, dont 90 % sont composées de mères élevant seules leurs enfants).

Le suivi médical est, lui aussi, « entravé »  par « un turn-over important de médecins, particulièrement dans le secteur public », et « des difficultés à recruter de nouveaux professionnels, en dépit des dispositifs qui existent pour encourager le maintien en fonction et l’installation de nouveaux médecins ». La population subit ainsi « un accès aux soins limité »  et « n’obtient des rendez-vous médicaux que dans des délais particulièrement longs, susceptibles d’entraîner des pertes de chance en santé ».

Claire Hédon relève, par ailleurs, des inégalités d’accès à Internet. « Outre les difficultés dans les usages numériques et celles, structurelles, liées à l’accès à Internet sur le territoire, du fait de la persistance de nombreuses zones peu ou pas couvertes par le haut débit, l’accès matériel au numérique est entravé par le coût des équipements et des abonnements »  et des « pratiques tarifaires élevées des opérateurs »  (54 euros en moyenne contre environ 30 euros dans l’hexagone). « Aucun opérateur n’a, par ailleurs, été désigné par les pouvoirs publics pour fournir le service universel « à tarif abordable », tel que prévu par les textes, pour les utilisateurs ayant de faibles revenus ou ayant des besoins sociaux particuliers », ajoute-t-elle en proposant notamment de « poursuivre le déploiement des espaces France services sur les territoires antillais ».

Enfin, « comme pour l’ensemble des services publics, l’accès à la justice est inégal aux Antilles et l’accessibilité des tribunaux est entravée par les difficultés des habitants à se déplacer sur le territoire. Les îles guadeloupéennes des Saintes, de la Désirade et de Marie-Galante n’ont ainsi aucun accès direct régulier à la justice », constate la Défenseure des droits.

Télécharger le rapport.

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