Pour mieux s'adapter aux « réalités locales », le Sénat étend le pouvoir de dérogation des préfets
Par A.W.

« Simplifier les normes et les adapter aux réalités des territoires. » C’est ce que souhaitent les sénateurs qui ont facilement adopté, en première lecture, dans la nuit de mardi à mercredi, une proposition de loi visant à renforcer le pouvoir de dérogation des préfets « dans un souci de différenciation territoriale ».
Soutenue par la droite et le centre, elle a recueilli 241 voix pour et 32 contre, issues des rangs des communistes et des écologistes, les socialistes ayant préféré s’abstenir. Transmis à l’Assemblée, ce texte doit dorénavant être examiné par les députés.
Des dérogations encore « limitées et inégales »
Avec ce texte, « on va imaginer que le préfet va devenir le dernier kilomètre de la simplification et c’est une bonne chose pour nos élus qui attendent ça avec impatience », s’est félicité le sénateur du Cher, Rémy Pointereau (LR), à l’origine du texte et d’un rapport en début d’année sur le sujet avec sa collègue de Lozère, Guylène Pantel (RDSE). Cette dernière a ainsi confirmé, en séance, que ce serait « un pas de plus pour aider nos collectivités […] dans l’avenir ».
Cette initiative a été soutenue dernièrement par le Premier ministre qui a fait part de son désir de simplifier l'action des collectivités. Notamment lors des troisièmes Assises de la simplification, organisée au Sénat le 3 avril dernier.
« Le pouvoir de dérogation, d’interprétation, de bon sens élémentaire du préfet doit être rendu au préfet », avait assuré le maire de Pau, dont l’objectif est de faire sortir de terre plus facilement les projets et d’encourager les maires bâtisseurs. François Bayrou avait ainsi rapidement évoqué les demandes de subventions compliquées pour les collectivités, en particulier celles qui n’ont pas de services pour effectuer les démarches dans ce qu’il a appelé des « labyrinthes ».
Car si les préfets sont dotés d'un pouvoir de dérogation aux normes réglementaires qui a été étendu et pérennisé depuis 2020, seuls « quelque 900 arrêtés préfectoraux de dérogation » ont été pris ces cinq dernières années (pour l’essentiel au bénéfice des collectivités territoriales et, dans la plupart des cas, cela concerne l’attribution d’une subvention publique). Le recours à ce dispositif reste donc encore « faible » et « peine à produire ses effets », selon les sénateurs qui le jugent « limité et inégal ».
Faciliter les projets et l’accès aux aides
Pour y remédier, la « chambre des territoires » a donc décidé de renforcer et créer toute une série de dérogations en étendant le périmètre et la portée du pouvoir accordé aux préfets dans les territoires. Ce qui doit leur permettre de faciliter certains projets, d’adapter certaines normes ou encore de « favoriser l'accès aux aides publiques », de « réduire les délais de procédure » et d’« alléger les démarches administratives ».
Le texte prévoit notamment de leur accorder le pouvoir de déroger à des normes relevant de services ou d'agences locales (qui ne relèvent pas aujourd'hui de sa compétence) et de créer de nouveaux régimes législatifs de dérogation aux normes, concernant par exemple les normes des fédérations sportives.
Sur ce dernier point et alors que les collectivités territoriales sont propriétaires de 80 % des 330 000 équipements sportifs en France, les sénateurs expliquent que cela permettrait d’octroyer aux collectivités « un délai pour la mise en conformité d’installations sportives », notamment dans le cas d’accès à un niveau supérieur de compétition.
Il est également prévu d’ouvrir aux préfets la possibilité de déroger au Code de l'environnement afin de faciliter la construction ou le maintien d’ouvrages construits dans les cours d’eau, tels que des moulins mais aussi de « nettoyer un fossé afin d'éviter une inondation », comme l'a précisé Rémy Pointereau en séance.
Versement anticipé du FCTVA
Lors de la discussion, les sénateurs ont également permis aux préfets de prévoir des « adaptations mineures » de normes, lorsqu'elles ont « pour effet de faciliter la réalisation de projets locaux ».
Afin soutenir l’investissement des petites communes, ils ont également décidé, contre l'avis du gouvernement, que les collectivités bénéficiaires du FCTVA pourraient demander au préfet l’obtention d’un versement anticipé lorsqu’elles réalisent « une opération d’investissement d’un montant particulièrement élevé ». Ce versement dérogatoire a pour objectif « d’éviter, en particulier aux petites communes, de faire face à des difficultés de trésorerie liées au décalage du versement des compensations attribuées au titre du FCTVA ».
Par ailleurs, la chambre haute a introduit un dispositif spécifique de dérogation à l’obligation de participation minimale financière des collectivités territoriales maîtres d’ouvrage, au bénéfice des petites communes rurales les plus défavorisées (celles de moins de 2000 habitants au faible potentiel financier).
Reprenant une proposition de Boris Ravignon, le gouvernement a profité de l’occasion pour faire adopter des dérogations aux obligations pour les collectivités de créer un « conseil citoyen », un « conseil de développement dans les EPCI de plus de 50 000 habitants » ou encore « d'organiser la caisse des écoles sous forme d'établissement public ».
Doutes et craintes
Reste que la rédaction actuelle du texte a suscité des réserves du côté du gouvernement et de la gauche. Avec une crainte : voir ce pouvoir de « dérogation » devenir dans certains cas un « pouvoir de substitution », notamment car il confère aux préfets un rôle de « délégué territorial » pouvant notamment prendre des décisions en lieu et place de certaines agences de l'Etat.
« Un principe de dérogation n'est pas une dérogation de principe », a ainsi déploré le sénateur socialiste Pierre-Alain Roiron.
La sénatrice écologiste des Yvelines, Ghislaine Senée, a aussi fait part de ses « doutes » et de sa « très forte inquiétude » vis-à-vis du « droit environnemental », mais aussi des municipalités « confrontées à des préfets leur imposant des projets qui ne rentrent pas dans la vision qu’elles défendent ». « Lorsque l’on donne un pouvoir à un préfet qui pourra décider, seul, s’il attribuera [ou non une dérogation] à une municipalité, je pense que cela crée de l’injustice et de la défiance », a-t-elle dénoncé.
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