Sur fond de crise du logement, le Sénat formule des recommandations pour la jeunesse
Par Lucile Bonnin
Pendant que le Premier ministre reconnaissait devant les sénateurs hier qu’en matière de logement « les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous » (lire article ci-contre), la commission des affaires économiques du Sénat a adopté, hier, un rapport d’information sur le logement des jeunes.
Alors qu'il est régulièrement fait état de la pénurie de logements étudiants en France, les trois rapporteurs – Viviane Artigalas (Socialiste, écologiste et républicain), Martine Berthet (Les Républicains) et Yves Bleunven (Union centriste) – s'intéressent cette fois aux difficultés de tous les jeunes âgés de 16 à 29 ans. Ils formulent une vingtaine de recommandations.
Les jeunes cumulent les difficultés
Selon le rapport, « les jeunes sont la tranche d’âge la plus affectée par la pauvreté et la situation continue de s’aggraver ». Les urbains comme les ruraux sont concernés par la pauvreté : le taux de pauvreté des urbains est en effet supérieur à celui des ruraux, cependant, selon l’Igas, 338 000 jeunes ruraux vivraient sous le seuil de pauvreté.
Les jeunes Français cumulent aujourd’hui des « facteurs de précarité » , comme l’observent les sénateurs. « Ils sont à la recherche de logements de petite taille, pour des courtes durées, dans des zones où la demande explose. Sans stabilité professionnelle et parfois sans garantie familiale, ils se heurtent à la concurrence de ménages plus solvables, à laquelle s’ajoute la pression de la location saisonnière. »
Les sénateurs jugent que la politique du logement des jeunes est aujourd’hui centrée sur les étudiants alors que la jeunesse est aussi « un ensemble protéiforme ». Estimant qu’à partir de 21 ans, les jeunes non-étudiants sont majoritaires au sein de la classe d’âge des 18-29 ans, la commission est favorable à l’expérimentation de « modèles mixtes tenant compte de l’allègement des frontières entre études et emplois » et ainsi ne pas fermer des portes aux jeunes qui ne seraient pas étudiants.
Laisser les collectivités innover
Les sénateurs appellent de leurs vœux une « véritable programmation territorialisée du logement, pour tous les jeunes » . Cette programmation devrait intégrer évidemment le logement étudiant mais aussi celui de jeunes actifs et saisonniers en fixant « des objectifs à horizon 2030 pour donner de la visibilité aux acteurs, articulés avec une programmation des aides à la pierre qui doit être, elle aussi, pluriannuelle ».
La mise en œuvre de cette politique devra passer par deux types de travaux essentiels : remédier à la « précarité statistique » dont souffre le logement des jeunes en valorisant les observatoires territoriaux du logement étudiant, mis en place par les collectivités ; améliorer la lisibilité de l’offre à destination des jeunes via une unique plateforme rassemblant l’ensemble des offres de logements à vocation sociale (crous, bailleurs sociaux, associations, etc.).
Les rapporteurs appellent aussi à « consacrer un droit des collectivités à adapter, par convention avec l’État, les règles en matière de logement et d’habitat aux circonstances locales de leur territoire. » Pour Yves Bleunven, « il faut libérer l’initiative locale ! Les collectivités sont au premier plan pour trouver des solutions, parfois dans l’urgence, pour loger les jeunes de leurs territoires. Elles se heurtent parfois à un cadre juridique inadapté qui est décourageant même pour les plus volontaires. »
Les rapporteurs ont choisi de prendre l’exemple de la mairie de Grand-Champ (Morbihan) qui a créé un village de tiny houses (micro-maisons) « dont 10 sont proposées à la location par l’office public de l’habitat ». Cette initiative a nécessité de « longues négociations avec l’État et la mise en œuvre d’une dérogation préfectorale. » Innovante certes, la chose ne suffira cependant pas à répondre à tous les besoins. De plus, si ces petites maisons ont l’avantage de pouvoir être installées sur un site restreint, leurs coûts est considérable. Si l’idée de laisser les collectivités est bonne, encore faut-il qu’elles en aient les moyens financiers…
Une crise dans la crise
Enfin, certaines recommandations importantes du rapport vont à rebours de ce qui a pu être observé ces dernières années dans la politique du logement menée par l’État – mais également de ce qui figure dans le projet de budget 2026.
Les trois rapporteurs alertent d’abord sur le fait que « les APL ont fait l’objet de plusieurs réformes depuis 2017 » et qu’elles ont « dégradé le pouvoir d’achat des jeunes ». Ils demandent donc, « malgré le potentiel d’économies budgétaires qu’elles représentent » , de « ne modifier que d’une "main tremblante" les règles d’attribution et les montants des APL » . L’exécutif prévoit pourtant toute autre chose. Le projet de loi de finances 2026 prévoit de geler les APL et de les supprimer pour les étudiants étrangers. Interrogé par l’AFP, Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation pour le logement des défavorisés considère que cette « année blanche » constitue une « mesure très pénalisante qui va toucher les plus pauvres ».
Le rapport met en exergue un certain nombre de problématiques restent irrésolues depuis plusieurs années. Il apparait que si des mesures ont été prises pour les résoudre elles sont souvent inabouties. Par exemple, les sénateurs demandent une évaluation du dispositif d’encadrement des loyers « d’ici mai 2026 » et « qui devra inclure une attention particulière pour l’effet de l’encadrement sur les jeunes et pour le lien entre l’encadrement des loyers et le développement de contournements, comme les baux civils ou encore le coliving » . Actuellement 72 collectivités ont mis en place ce plafonnement des loyers. Une proposition de loi devrait être déposée à l’Assemblée pour pérenniser ce dispositif (lire Maire info du 30 septembre).
De même, alors qu’elle existe depuis près de dix ans, la garantie Visale ne rencontre pas un grand succès. « Malheureusement, encore trop de propriétaires lui préfèrent une caution familiale, pourtant moins sécurisante » , observent les sénateurs. Autre dysfonctionnement qui pénalise les jeunes : le bail mobilité qui est parfois détourné de son objet pour la location saisonnière estivale. La commission propose donc de « rendre possible, pour les collectivités volontaires, la création d’un régime de déclaration des baux mobilité ».
En ce qui concerne le parc social, afin que les jeunes puissent davantage y accéder aujourd’hui, les sénateurs préconisent d’adapter « l’offre de logements sociaux aux besoins des jeunes grâce à un modèle de financement encourageant la production des petites surfaces et la reconversion des grands logements : les logements de type « T1 » ou « T2 » ne représentent que 31 % du parc mais 44 % des demandes. »
Soulignons cependant la gravité de la crise du logement que connait la France actuellement. Le taux d’attribution de logements sociaux ne cesse de diminuer ces dernières années et à peine une demande sur dix est désormais satisfaite (lire Maire info du 4 septembre). Le projet de budget présenté cette semaine ne laisse pourtant pas entrevoir du mieux… Selon Emmanuelle Cosse, présidente de l’Union sociale pour l’habitat (USH), « alors que la crise du logement n'a jamais été aussi forte, le budget proposé est catastrophique et va renforcer les effets de cette crise, dans l’hexagone comme en Outre-mer. » Maire info reviendra sur le sujet dans une prochaine édition.
Consulter l'Essentiel du rapport.
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