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Édition du jeudi 31 mars 2022
Logement

Fin de la trêve hivernale : que deviennent les ménages après une expulsion ?

Les ménages expulsés de leur logement subissent un impact majeur sur leur activité professionnelle, la scolarité des enfants et leur santé, d'après une enquête de la Fondation Abbé-Pierre. De un à trois ans après avoir quitté leur domicile, un tiers d'entre eux est toujours en errance et 10 % sont même passés par la rue.

Par A.W.

Trois ans après, « que deviennent les ménages après l’expulsion ? »  Accompagnée par l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, la Fondation Abbé-Pierre a mené une enquête sur un sujet « peu exploré »  jusqu’à présent : le devenir des ménages expulsés de leur domicile au sortir de la trêve hivernale. Sans surprise, cette étude  – publiée mardi, à deux jours de la fin de la trêve hivernale – relate des conséquences « très douloureuses »  pour la soixantaine de personnes qui ont été suivies après le départ forcé de leur domicile.

11 mois pour retrouver un logement stable

Concrètement, un à trois ans après l’expulsion, ce sont encore 32 % des ménages qui n’ont toujours pas retrouvé de logement. Pour s’en sortir, ils ont souvent recours à la débrouille puisqu’un ménage sur deux (majoritairement des personnes seules) fait appel à son réseau de connaissances familiales et amicales pour être hébergé.

D’autres vivent encore à l’hôtel, notamment les familles qui bénéficient davantage d’une mise à l’abri, ou dans d’autres formes de « non-logement »  telles que les mobile-home, le camping, l’hôpital, les squats… voire à la rue pour 10 % d’entre eux. Pour ces derniers, cette période dure plus de trois mois pour la moitié d’entre eux.

Pour ceux qui ont pu retrouver un logement stable, l’attente est en moyenne de 11 mois et se fait selon un parcours « ponctué d’épreuves », accentuées par la complexité et la longueur des démarches. Les temps de relogement sont cependant variables selon les ménages : 30 % parviennent à se reloger immédiatement, 30 % dans les six mois suivant l’expulsion, 26 % entre un et deux ans après et 5 % mettent plus de deux ans, constate la fondation.

Décrochage scolaire pour 43 % des enfants

Au-delà de ces difficultés, l’expulsion « aggrave également les vulnérabilités des ménages »  et a des conséquences importantes à la fois sur l'emploi, la santé physique et mentale ou bien la scolarité des enfants. Ainsi, 29 % des personnes interrogées n'ont pas pu poursuivre leur activité professionnelle, tandis que 43 % des ménages avec enfants ont constaté un impact sur la scolarité qui se traduit par un décrochage scolaire et des troubles du comportement et de la concentration.

Les auteurs de l’étude mettent également en évidence le fait que 71 % des ménages déclarent devoir faire face à des problèmes de santé ou des difficultés psychologiques liés à l'expulsion. Les femmes et les familles monoparentales, dont l’adulte est à 90 % une femme, sont davantage touchées par l’expulsion.

Sur le plan institutionnel, les personnes interrogées témoignent souvent de leur « sentiment de se retrouver devant des portes closes ou de ne pas avoir de réponses ». Par exemple, « nombre d’entre elles se tournent vers les élus pour leur demander une solution de relogement, et se retrouvent le plus souvent sans réponse ou avec des réponses négatives », constatent les auteurs de l’étude qui soulignent que « seulement 25 % des ménages déclarent avoir confiance dans les institutions et 35 % considèrent avoir moins confiance dans les institutions maintenant qu’au début de la procédure d’expulsion ».

EDF ne coupera plus l'électricité, mais la limitera 

Outre le retour des expulsions, la fin de la trêve hivernale marque aussi la reprise des coupures d’énergie, alors que les prix de l’énergie explosent. 

Cette année, toutefois, les clients d'EDF qui n'ont pu payer leurs factures seront partiellement épargnés puisque le fournisseur a décidé, mardi, de ne plus couper l’électricité pour ses clients particuliers, malgré la fin de la trêve hivernale. Une mesure qu’avait déjà prise le petit opérateur Plüm énergie dès l’an dernier.

Si les deux entreprises ont décidé d’arrêter les coupures sèches, elles s’en tiendront néanmoins à un « service minimum »  en réduisant considérablement la puissance électrique pour les foyers les plus précaires à hauteur de 1kVa, soit environ 1 000 watts.

« Une telle puissance est tout sauf un luxe », reconnait d’ailleurs Plüm énergie sur son site Internet, puisque celle-ci « ne permet de faire fonctionner ni un ballon d’eau chaude, ni un four ou un lave-linge », mais reste suffisante pour « assurer un minimum vital (s’éclairer, recharger son portable, brancher son frigo et utiliser sa box internet) et maintenir un lien social ».

Alors que les associations de lutte contre la précarité réclament la généralisation de ce procédé, beaucoup de fournisseurs restent « très réticents à abolir les coupures d'électricité »  et ont engagé « des réflexions dilatoires », regrette Manuel Domergue, directeur des études à la Fondation Abbé-Pierre, alors que 785 000 consommateurs ont connu des coupures ou des réductions de puissance l’an passé, contre 552 000 en 2020. Selon lui, le gouvernement préparerait toutefois un décret pour imposer deux mois de réduction de puissance avant toute coupure pour les ménages les plus précaires, ceux qui reçoivent le chèque énergie. 

Crainte d’une recrudescence des expulsions en 2022

Contrairement aux dernières années, la trêve hivernale n'a pas été prolongée cette année, en raison de la crise sanitaire, au-delà du 1er avril (elle s'était achevée le 10 juillet en 2020 et le 1er juin en 2021), alors qu’un « épisode hivernal »  est d’ores et déjà annoncé à partir de cette nuit et qu’il devrait « s’étendre à une grande partie du territoire » dès demain. Une vague de froid qui sera accompagnée par des chutes de neige, selon le dernier bulletin météo de Météo-France.

La fin de la trêve hivernale fait, en outre, craindre à la Fondation Abbé-Pierre « une recrudescence des expulsions »  cette année, alors que « des millions de ménages ont été fragilisés »  notamment par la crise sanitaire. Au début de la période de trêve, à l’automne dernier, celle-ci redoutait déjà « une amplification des procédures »  en 2022, « comme ce fut le cas à l’issue de la crise économique de 2008, qui avait vu les expulsions effectives bondir de près de 57 % en dix ans ». 

« Contrairement à ce qui avait été initialement annoncé par le gouvernement, le nombre d’expulsions de ces deux dernières années a dépassé les 20 000 ménages (8 156 en 2020, 12 000 environ en 2021), malgré le contexte sanitaire et social et l’extension de la trêve hivernale », dénonce la fondation, qui estime que « la crise sanitaire aurait pourtant nécessité une limitation bien plus importante et, ce, d’autant plus que les circulaires — qui ont enjoint aux préfets de reloger ou d’héberger les ménages avant de procéder à leur expulsion — n’ont été que très partiellement appliquées ».

Télécharger l’étude.
 

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