Le Sénat rejette la proposition d'instaurer une modulation sur critères sociaux de la Reom
Par Franck Lemarc
Le texte n’avait, à vrai dire, aucune chance d’être adopté par le Sénat, ayant déjà été entièrement rejeté en commission des lois. Mais il a eu le mérite d’ouvrir le débat sur une question importante : celle de la difficulté de certains ménages modestes de s’acquitter de leur redevance. Même si les sénateurs ont rejeté les mesures proposées, ils n’ont pas nié l’importance de cette question.
Système « pénalisant » pour les plus modestes
L’exposé des motifs du texte présenté par les sénateurs communistes (proposition de loi visant à garantir la qualité des services de gestion des déchets) rappelle qu’aujourd’hui, le financement de la collecte et du traitement des déchets peut prendre trois formes : la taxe d’enlèvement sur les ordures ménagères (Teom), basée sur la taxe foncière ; la redevance d’enlèvement sur les ordures ménagères (Reom), proportionnelle à la quantité de déchets produite par le foyer ; ou plus rarement une « redevance spéciale ». La Teom est, de loin, l’outil le plus utilisé par les collectivités. Celle-ci, rappelons-le, peut être assortie d’une part incitative – dans ce cas elle augmente en fonction du volume de déchets produits.
Les sénateurs du groupe communiste constatent qu’il « n'existe actuellement pas de différenciation selon les revenus des foyers dans les grilles tarifaires des taxes ou redevances d'enlèvement des ordures ménagères incitatives ». Ce fait est « pénalisant pour les ménages aux parts nombreuses mais aux revenus modestes ». Sont également particulièrement pénalisées des familles où la présence d’enfants en bas âge ou de personnes souffrant d’incontinence génère un surcroît de déchets.
La proposition de loi vise donc, à l’article 1er, à donner la possibilité aux collectivités d’instaurer « une modulation sociale de la Reom et de sa part incitative » et « d’introduire des critères socio-économiques dans la définition des tarifs ». « Ces critères pourraient être liés aux revenus, à la composition du ménage ou aux situations particulières générant de grandes quantités de déchets de protection ou involontaires. »
Un deuxième article propose de fixer un maillage minimal de points d’apport volontaire (PAV), afin de lutter contre les dépôts sauvages et d’éviter que les PAV soient trop éloignés des habitants. Le texte propose un point d’apport pour 200 habitants.
Enfin, un troisième article visait à obliger les communes et EPCI compétents à instaurer « un comité des usagers ».
« Trop contraignant »
En commission des lois, chacun des articles de cette proposition a été rejeté. Tout en reconnaissant le caractère « séduisant » et « louable » de la démarche, les membres de la commission des lois ont jugé que la modulation sociale « poserait des problèmes pratiques » : risque de voir la production de déchets augmenter du fait que le tarif baisserait, difficulté pour les communes et EPCI concernés d’accéder « à des données confidentielles sur la situation fiscale des ménages » … « On ne simplifierait pas la tâche des collectivités et de leurs groupements en complexifiant l’architecture du financement du service public de gestion des déchets, ce qui est peu conciliable avec un besoin de simplification unanimement plébiscité », conclut la commission.
Sur la question du maillage, même punition : ce maillage serait « trop contraignant pour les collectivités ». Quant à la création d’un comité des usagers, la commission a estimé que cette demande était « déjà satisfaite », du fait de l’existence des commissions consultatives des services publics locaux ou des comités consultatifs que « le conseil municipal peut créer sur tout problème d’intérêt communal ».
Rejet des articles
En séance, les mêmes arguments ont été utilisés notamment par la majorité LR du Sénat, opposée à ce dispositif. Dans un débat qui s’est rapidement révélé assez tendu, les sénateurs communistes, socialistes et RDSE (Radicaux) ont cherché à défendre ce dispositif en insistant sur le fait que la modulation sociale serait facultative, donc relevant de la libre administration des collectivités locales. « Les collectivités sont libres de l’instaurer ou pas, a plaidé le communiste Alexandre Basquin. Le Premier ministre porte l'idée d'un nouvel acte de décentralisation : voilà un levier ! Avec cette proposition de loi, les collectivités territoriales seront en phase avec leurs habitants et leurs problématiques. »
Christian Bilhac, pour le RDSE, a estimé que « les taxes existantes sont inéquitables, car on paye le même montant quel que soit le revenu », contrairement aux impôts. « Cette proposition de loi mérite donc d’être votée pour réduire le poids de la fiscalité » sur les familles modestes.
En face, le nouveau ministre chargé de la Ruralité, l’ancien président de l’AMRF Michel Fournier, a clairement rejeté la proposition, bien que « partageant l’objectif » : « Créer une tarification sociale brouillerait le message ‘’moins on produit, moins on paye’’, créerait une rupture d'égalité devant les charges publiques et instituerait un traitement différencié selon les territoires. » Quant à la proposition de maillage des PAV, « elle introduirait une contrainte supplémentaire, à rebours des demandes de plus grande souplesse des élus ».
Pour le groupe LR, la sénatrice Catherine Belrhiti a critiqué un texte qui « complexifierait la gestion » et surtout « aurait pour effet paradoxal d’accorder un droit renforcé à produire davantage de déchets ». « On peut s'attendre à une augmentation de la taxe ou de la redevance pour les classes moyennes ou aisées, sans que celle-ci diminue pour les familles modestes », a redouté la sénatrice.
Au final, tous les articles du texte ont été rejetés, ce qui revient à le rejeter entièrement. L’auteure du texte, Marie-Claude Varaillas, a dit sa déception – espérant que le problème des déchets ne soit pas « le carburant qui déclenchera un nouveau mouvement des gilets jaunes » et disant son espoir de voir, sur ce sujet, « un nouveau texte aboutir rapidement ».
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