Les députés divisés sur les effets de la loi visant à lutter contre les séparatismes
Par Lucile Bonnin
« Si la loi n’est pas parfaite, si elle encore insuffisamment évaluée, (…) si elle peut être mieux appropriée, elle nous a permis, collectivement, malgré tout, un sursaut » , a déclaré François-Noël Buffet, ministre délégué auprès du ministre de l’Intérieur lors de la présentation de l’évaluation de la loi du 24 août 2021 visant à lutter contre les séparatismes.
Trois rapporteurs ont été chargés d’évaluer les effets de cette loi : Laure Miller (Marne, EPR), Antoine Villedieu (Haute-Saône, RN) et Bastien Lachaud (Seine-Saint-Denis, LFI). Une note a été mise en ligne sur le site internet de l’Assemblée nationale. Ce sujet particulièrement clivant n'a pas permis aux rapporteurs de présenter une conclusion commune.
La neutralité dans le service public : les avancées depuis 2021
La loi du 24 août 2021 comprend plusieurs dispositions visant à renforcer l’application du principe de laïcité dans les services publics ainsi qu’à mieux former et protéger les agents publics. Sur ce point, le bilan fait état de plusieurs évolutions depuis la promulgation de la loi.
D’abord, près de 17 000 référents laïcité ont été désignés, alors qu’on n’en comptait que quelques centaines avant l’adoption de la loi. « Ces référents jouent un rôle de conseil et de support pour les agents publics faisant face à une difficulté relative au respect du principe de laïcité, rappellent les rapporteurs. Ils transmettent chaque année un rapport d’activité, comportant le nombre de signalements reçus. » Ces chiffres correspondent cependant uniquement à la fonction publique de l'État et à la fonction publique hospitalière. Ces référents laïcité ont permis de faire remonter 5 049 signalements pour la période de 2022 et 2023, dont 4 710 pour le seul ministère de l’Éducation nationale, a indiqué le ministre François-Noel Buffet en séance.
La loi a aussi rendu obligatoire la formation de tous les agents publics au principe de laïcité. Ainsi, les rapporteurs indiquent qu’au 1er juin 2024, près de 730 000 agents publics de l’État et de la fonction publique hospitalière avaient été formés à la laïcité, soit environ 13 % des 5,67 millions d’agents publics. Là encore, les chiffres pour la fonction publique territoriale ne sont pas connus. Ces résultats sont tout de même « en deçà de l’objectif de 100 % d’agents formés d’ici la fin de l’année 2025 fixé par le Comité interministériel de la laïcité », peut-on lire dans la note.
Du côté de l’Éducation nationale, on apprend que sur l’année scolaire 2023-2024, 6 589 « atteintes au principe de laïcité » ont été recensées dans les établissements scolaires du premier et second degrés contre 2 226 en 2020–2021, pour 12 millions d’élèves scolarisés. Rappelons enfin que la loi limite le recours à l’instruction en famille. Les chiffres sur ce point sont plutôt probants puisque les rapporteurs observent qu’ « alors que 72 369 élèves étaient instruits en famille lors de l’année scolaire 2021-2022, ce nombre s’élève à 30 644 pour l’année scolaire 2024 - 2025. » Mais des critiques sont apportées par deux des rapporteurs : Bastien Lachaud dénonce « une application injuste et arbitraire » de la loi et Antoine Villedieu regrette que « les dispositions de la loi pénalisent des acteurs de bonne foi, comme les foyers ayant recours à l’instruction en famille ».
Le contrat d’engagement républicain sous le feu des critiques
« La loi a aussi créé les outils permettant de mettre fin au financement public d’associations qui s’inscrivent en rupture avec les valeurs de la République, a rappelé le ministre. C’est le sens du contrat d’engagement républicain qui oblige désormais les associations sollicitant des subventions de l’État ou des collectivités territoriales à s’engager à respecter ces valeurs et qui conduit également à leur retirer ces subventions s’il s’avère qu’elles ne les respectent pas. »
Sur ce contrat d’engagement républicain, les avis divergent fortement. Déjà, l’utilisation de cet outil n’a pas fait l’objet d’un suivi particulier. Les rapporteurs observent une absence de données agrégées à l’échelle de l’État et des collectivités territoriales. Certains dénoncent des dérives à ce nouvel outil. Le rapporteur Antoine Villedieu (RN) déplore la mollesse de ce dernier estimant que « les financements étrangers continuent d’affluer vers des associations opaques » . Pour Bastien Lachaud (LFI), tout au contraire, le CER « produit une très grave restriction des libertés publiques » et « les cas de contentieux liés au contrat d’engagement républicain sont marginaux et ne concernent aucune association religieuse. Les véritables cibles sont, comme toujours, les associations de défense de l’environnement, des droits humains et des droits des femmes. »
Il faut d'ailleurs noter que le comité des droits de l’homme de l’Onu s’est aussi dit en fin d’année 2024 préoccupé par ce contrat d’engagement républicain, tout comme a pu l’exprimer la Défenseure des droits dans son rapport annuel, et demande à la France de faire en sorte que cette loi « ne puisse pas être détournée de l’objectif annoncé pour porter atteinte à la liberté d’association d’associations ayant un but politique, dont les mouvements écologistes ».
Côté gouvernement, on se satisfait de cet outil. Selon les chiffres du ministère, depuis l’entrée en vigueur de la loi, 220 suspensions administratives de fonds de dotation ont été prononcées – soit une multiplication par plus de dix par rapport aux trois années précédentes –, et un financement en provenance de l’étranger a fait l’objet d’une opposition du ministre. » De plus vingt-huit entités ont pu être dissoutes grâce aux modifications qu’elle a introduites : « Seize appartenant à la mouvance d’ultradroite, deux à la mouvance d’ultragauche, deux à la mouvance complotiste, six à la mouvance islamiste et deux à la mouvance indigéniste raciste. »
La place des élus locaux doit être revalorisée
Au cours des débats jeudi dernier, le député Charles Rodwell (EPR) a rappelé que les collectivités et élus locaux « sont au cœur des combats contre le séparatisme en général et l’islamisme en particulier ». « Une immense majorité d’entre eux mènent chaque jour courageusement le combat contre le séparatisme, en veillant à une application stricte du principe de laïcité dans leurs services publics et en refusant toute compromission avec l’islamisme. Néanmoins, ces élus sont parfois démunis et manquent souvent de moyens, notamment techniques, pour mener à bien ce combat. » La rapporteure Laure Miller insiste dans l’évaluation pour que les collectivités soient par exemple davantage sensibilisées à leur obligation de nomination d’un référent laïcité et la nécessité de recenser de façon exhaustive les nominations de ces référents sur le territoire.
Le ministre a effectivement reconnu « qu’une grande partie des élus locaux ne s’est pas encore approprié la loi de 2021 » et « ne savent pas comment l’utiliser ». Il indique qu’il convient de « fluidifier le dialogue entre le préfet et les élus ». Il a enfin précisé que « la proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local, adoptée par la Haute Assemblée et qui sera présentée dans cette assemblée dans les meilleurs délais, prévoit de donner au maire des moyens supplémentaires pour agir beaucoup plus efficacement dans certaines circonstances. D’ores et déjà, nos élus locaux peuvent et doivent se tourner vers le système judiciaire et plus encore vers le préfet, qui demeure leur interlocuteur privilégié. » La proposition de loi de Françoise Gatel sur le statut de l’élu a été votée au Sénat et son examen devrait débuter prochainement à l’Assemblée.
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