Territoire « zéro chômeur » : le dispositif a démontré son utilité « localement », selon la Cour des comptes
Par A.W.
Si l’expérimentation « Territoire zéro chômeur de longue durée » a prouvé son utilité « localement », elle reste très coûteuse et son pilotage ne peut rester hors du droit commun. C’est ce que conclut la Cour des comptes, dans un rapport publié ce matin, dans lequel elle s’est intéressée à cet « objet singulier » qui doit prendre fin dans un an, le 30 juin 2026.
Alors qu’une proposition de loi transpartisane est en cours d’examen à l’Assemblée nationale pour « pérenniser et étendre progressivement » ce dispositif, le Parlement pourra donc se saisir de cette enquête pour trancher.
Près de 3 300 salariés, dans 83 territoires
Mise en place par une loi en 2016 puis prolongée en 2020, cette expérimentation vise à « résorber le chômage de longue durée » en partant du principe que « personne n'est inemployable ». Résultat, fin 2024, ce dispositif s’était déployé dans 83 territoires et avait permis de salarier, en CDI, 3 290 personnes qui étaient jusque-là privées durablement d’emploi.
Soutenue financièrement par l’État et les départements à hauteur respectivement de 57,1 millions et 7,5 millions d’euros l’an passé, cette expérimentation permet ainsi à « des territoires volontaires de 5 à 10 000 habitants » – à l’échelle d’une commune, d’une interco, voire d’un quartier – de créer des « entreprises à but d'emploi » (EBE) qui vont recruter en CDI des personnes durablement éloignées de l'emploi.
Des EBE qui ne peuvent, toutefois, développer que des activités économiques non concurrentielles et ne répondre qu’à des « besoins non satisfaits » sur le territoire par les entreprises existantes. En parallèle, un « comité local pour l’emploi » est constitué autour de la collectivité volontaire pour coordonner le développement de ces activités, celui-ci rassemblant des représentants de l’État, de France Travail, du département et des acteurs sociaux et économiques du territoire.
Emplois adaptés et « besoins réels »
Ce « projet territorial innovant » a, selon la Cour, « la principale caractéristique d’offrir un travail adapté aux capacités, ainsi qu’aux contraintes et aux freins qui ont maintenu ces personnes durablement éloignées de l’emploi ».
Si l’objectif initial de l’expérimentation n’était « pas de conduire nécessairement à un retour à l’emploi classique », celle-ci a « démontré sa capacité à remettre en emploi des personnes qui en étaient très éloignées, ainsi que des publics particulièrement fragiles au regard du marché du travail : personnes en situation de handicap, seniors, parents isolés, aidants, personnes confrontées à des difficultés de mobilité », reconnaissent les magistrats financiers.
Sans compter que les activités développées dans ce cadre répondent à « des besoins réels du territoire » (accompagnement du vieillissement, lutte contre la précarité alimentaire et la fracture numérique, mais aussi économie circulaire, réemploi, réparation…), même si elles « engendrent un chiffre d’affaires relativement modeste en raison de leur faible productivité ».
En revanche, « la notion de parcours n’a pas été intégrée au moment de la conception de l’expérimentation » et apparaît désormais comme « une nécessité » afin de « permettre aux personnes de se projeter hors d’un espace très protégé ». Les « entreprises à but d’emploi » doivent donc devenir un « tremplin pour un retour vers l’emploi ordinaire » afin aussi d’accueillir de « nouveaux bénéficiaires ».
Les maires favorables, les départements partagés
Reste à savoir ce qu’en pensent les élus locaux. Si les maires – via le représentant de l’AMF interrogé par la Cour – font part « d’une position favorable » à l’égard de cette expérimentation, les départements se révèlent, quant à eux, « beaucoup plus partagés ».
D’un côté, il y a ceux qui « soutiennent de manière inconditionnelle l’initiative comme la Nièvre ou l’Hérault », et de l’autre, ceux qui, « parfois après y avoir adhéré à son début comme le Calvados, la contestent aujourd’hui ».
En cause, une question pécuniaire : l’obligation qui leur est dorénavant faite de financer le dispositif à hauteur de 15 % de la contribution au développement de l’emploi versée par l’État. Ce qui n’était pas le cas avant 2020.
« Ce passage d’une dépense volontaire des départements ayant choisi d’entrer dans le dispositif lors de la première expérimentation, à une dépense obligatoire pour tous les départements qui accueillent une expérimentation (...) a suscité beaucoup de critiques », expliquent les magistrats financiers qui appellent ainsi à questionner la participation obligatoire des départements.
Un coût en constante augmentation
Car si ce dispositif « fait localement la preuve de son utilité », il demande « des moyens élevés, tant humains que financiers » rendant sa pérennisation « incertaine ». Rappelant que « le modèle de l’expérimentation est depuis l’origine en débat », les magistrats financiers pointent un déséquilibre financier « patent » de l’expérimentation.
En effet, à l’origine, l'idée était d’obtenir une certaine « neutralité budgétaire » de ce dispositif puisque l'argent public qui y était dépensé pour chaque emploi ne devait pas dépasser celui consacré à la prise en charge du chômage et du non emploi. Seulement, l’estimation initiale (18 000 euros par personne et par an) a, depuis, été « démentie », les retombées économiques d’un retour à l’emploi étant « difficilement chiffrables » et peuvent « faire l’objet d’une analyse orientée par ce que l’on souhaite démontrer », assure la Cour.
Une chose est sûre, « le coût par emploi créé est en augmentation significative » puisque celui-ci est passé de 20 644 euros par an en 2017 à 28 526 euros en 2023, soit « + 38 % en six ans » – davantage que d'autres dispositifs d'insertion comme les entreprises adaptées (18 000 euros) ou les entreprises d'insertion (12 000). Une hausse qui s’explique « notamment du fait des coûts inhérents à l’association gestionnaire du fonds ».
« Les coûts de gestion croissants de (cette dernière) nécessitent de réexaminer la pertinence du choix d’externaliser la gestion de l’expérimentation », estime donc l'institution de la rue Cambon qui recommande de revoir le pilotage et « le fonctionnement atypique » du dispositif. Selon la Cour, il est « nécessaire de mettre fin à la gestion des fonds publics concernés par une association » et de faire en sorte que « la démarche s'inscrive dans les politiques de droit commun en faveur de l'emploi ».
Si « la normalisation de cet accompagnement au sein des politiques publiques en faveur de l’emploi et de l’insertion professionnelle est souhaitable à l’issue de dix années d’expérimentation », la Cour souligne que le dispositif « ne peut être reproduit sur des territoires qu’en nombre limité » puisqu’il repose sur « une approche très fine et sur un engagement volontaire des différents acteurs locaux ».
Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2

L'Assemblée nationale a adopté un arrêt total de l'implantation des énergies renouvelables
Proximité, vitalité et attractivité : les ambitions du gouvernement pour les territoires ruraux
«Temps de l'enfant » : première réunion des membres de la Convention citoyenne
