Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mercredi 3 juin 2020
Elections municipales

Deuxième tour : le Sénat adopte le vote par correspondance, le gouvernement dit non

Les sénateurs ont adopté hier, en séance publique, la proposition de loi Perrin-Bas relative à l’organisation du second tour des municipales. Principal ajout par rapport au texte de la commission (lire Maire info du 28 mai) : les sénateurs ont adopté le principe du vote par correspondance pour ce scrutin. Mais le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur, Laurent Nuñez, n’a laissé aucun espoir quant à l’avenir de cette disposition.
Le gouvernement n’ayant, de toute façon, pas accepté d’appliquer à ce texte la procédure accélérée, il ne pourra être adopté dans les temps pour le scrutin du 28 juin. Mais le débat sur ce texte permet, au moins, de connaître les positions du gouvernement.

Procurations
On se souvient que cette proposition de loi avait pour objectif essentiel de permettre, pour des raisons de sécurité sanitaire, que chaque mandataire puisse disposer de deux procurations établies en France au lieu d’une seule habituellement. Il prévoit également que le mandataire et le mandant puissent ne pas habiter la même commune si (et seulement si) ils font partie de la même famille au premier degré (« conjoint, partenaire de pacs, ascendant, descendant, frère ou sœur » ).
Lors du débat en séance publique au Sénat, plusieurs ajouts ont été votés. Par amendement des sénateurs LR, il a été adopté que « les autorités compétentes pour établir la procuration en informent, par voie électronique, la préfecture de département du mandant. Cette dernière en informe, également par voie électronique, la commune du mandant ». Les auteurs de l’amendement estiment en effet que le fonctionnement habituel de La Poste n’ayant pas encore été rétabli, des retards pourraient être constatés si les procurations étaient établies tardivement, et qu’il est nécessaire de créer « une chaîne de transmission dématérialisée des procurations ». Les sénateurs ont également adopté une mesure rendant obligatoire l’information du mandataire par voie électronique ou postale. 
Ces deux dispositions ont été adoptées contre l’avis du gouvernement, dont le porte-parole dans ce débat, Laurent Nuñez, a notamment estimé que l’information du mandataire « alourdirait la charge des officiers de police judiciaire ». 
Le secrétaire d’État n’a pas non plus laissé beaucoup d’espoir aux sénateurs sur la possibilité d’une procuration à un mandataire vivant dans une autre commune : cela « poserait un problème de vérification et pourrait favoriser des démarches frauduleuses ». La mesure figure pourtant dans la loi Engagement et proximité, mais son application, par décret, n’a pu encore être prise car elle se heurte à des difficultés « techniques ». 

Vote par correspondance
Ce sont également les sénateurs LR qui ont introduit dans le texte, en séance, la possibilité de voter par correspondance : « Les électeurs votent soit dans les bureaux ouverts, soit par correspondance sous pli fermé. »  Les sénateurs ont assorti cette disposition d’une série de mesures permettant d’éviter « toute manœuvre frauduleuse »  (fourniture de trois enveloppes pour l’expédition, l’identification et le vote, copie de pièce d’identité obligatoire, conservation des plis dans les tribunaux d’instance et non dans les mairies, introduction du pli dans l’urne à la clôture des opérations de vote et non avant celles-ci, pour s’assurer que l’électeur concerné « n’a pas déjà voté », etc.). 
Lors du débat, de nombreux sénateurs, sur tous les bancs, ont apporté leur soutien à ce dispositif. Mais pas le gouvernement : certes, Laurent Nuñez a assuré qu’il ne s’agissait pas de « balayer le principe d’un revers de manche », mais il a clairement affirmé qu’il « n’est pas envisageable, dans des délais aussi contraints, d'instituer le vote par correspondance pour le scrutin du 28 juin, ne serait-ce que pour des raisons de logistique. »  Le ministère de l’Intérieur, qui s’était dit ouvert à la discussion sur ce sujet, referme donc la porte – au moins pour le scrutin du 28 juin.
Cette prise de position a fortement déplu à nombre de sénateurs, qui ne se sont pas privés de le dire au secrétaire d’État : « Le gouvernement nous propose le vote par correspondance aux calendes grecques ! Tout cela parce que vous avez fait preuve d'impéritie depuis le début », a asséné le sénateur LR de l’Oise Jérôme Bascher. « Quand on ne veut pas avancer, on n’avance pas, a regretté le socialiste Éric Kerrouche. À force de refuser, le gouvernement nous met dans une situation où il ne sera effectivement plus possible d'apporter une solution. » 

Et maintenant ?
À la suite de ce débat, on en sait un peu plus sur les intentions du gouvernement : la seule mesure qu’il acceptera de prendre (sur le terrain législatif), c’est la possibilité d’établissement de deux procurations par mandataire. Cela ne passera pas par la proposition de loi de Cédric Perrin et Philippe Bas, dont l’avenir parlementaire semble compromis : pour Laurent Nuñez, le projet de loi actuellement en discussion à l’Assemblée nationale « constitue un vecteur plus sûr et plus efficace ». 
Ce projet de loi, dont Maire info a détaillé le contenu le 28 mai, vient effectivement d’être enrichi, en commission des lois de l’Assemblée nationale, d’un amendement disposant que par dérogation, le 28 juin, « chaque mandataire peut disposer de deux procurations, y compris lorsqu’elles sont établies en France ». 
Le texte a donc dû être modifié dans sa nature même. Rappelons qu’il s’agissait, à l’origine, d’un texte qualifié de « conservatoire »  par le gouvernement lui-même, ayant pour objectif l’annulation du second tour des élections municipales, et adopté uniquement si le Conseil scientifique, au 15 juin, jugeait que celles-ci ne peuvent être tenues dans des conditions de sécurité sanitaire satisfaisantes. Afin de pouvoir intégrer à ce texte la mesure sur les procurations, la majorité a dû rajouter au texte un nouvel article 1er, disposant que le second tour a bien lieu en juin, mais que si la situation sanitaire l’exige, le premier et le second tour seront annulés dans les communes où le premier tour n’a pas été conclusif. Il ne s’agit donc plus d’un texte conservatoire mais d’un texte qui sera bien voté, dans tous les cas, au Parlement. Pourquoi faire simple… ?
Au Sénat, hier, le président de la commission des lois, Philippe Bas, s’en est amusé – rappelons que même après modification en commission, le texte s’intitule toujours « projet de loi portant annulation du second tour du renouvellement général des conseillers municipaux… » : « Le ministre a parlé d’un vecteur législatif ‘’plus sûr et plus efficace’’. Mais il ne nous a pas rappelé son objet. Son objet est d’annuler le second tour (…) et d’organiser un nouveau scrutin. Est-ce que je dois comprendre que vous suggérez de mettre des dispositions sur le régime des procurations pour le 28 juin… dans un texte qui vise à annuler les élections du 28 juin ? Si c’est le cas, je suis plongé dans un profond désarroi. » 

Franck Lemarc

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