Maire-info
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Édition du mardi 9 novembre 2021
Crise sanitaire

Loi Vigilance sanitaire : ce que contient la saisine du Conseil constitutionnel

Soixante députés et soixante sénateurs ont saisi le Conseil constitutionnel sur la loi Vigilance sanitaire adoptée définitivement le 5 novembre dernier. Ils estiment, comme ils l'ont du reste défendu pendant tous les débats, que cette loi met en place un « état d'exception » en « mettant à l'écart » le Parlement. 

Par Franck Lemarc

C’est « l’ensemble de la loi », et non pas certains de ses articles, qui a été déférée par les députés et sénateurs Les Républicains devant le Conseil constitutionnel. Maire info a pu consulter la saisine des députés LR, qui estiment que la loi « porte atteinte à plusieurs principes et libertés constitutionnels ». 

Ce que contient la loi

Rappelons que ce texte, après un parcours législatif mouvementé, a finalement été voté dans les termes que souhaitaient le gouvernement et sa majorité. La plupart des modifications apportées dans les débats par les oppositions ont été rayées dans la version finale. La loi, rappelons-le, ne prolonge pas automatiquement le pass sanitaire jusqu’à l’été prochain, comme on l’entend parfois. Mais elle permet au gouvernement de le remettre en place quand il le juge nécessaire entre le 15 novembre et le 31 juillet prochain. 

Par ailleurs, ce texte prolonge la possibilité faite au gouvernement de prendre d’autres mesures d’exception si la situation sanitaire se dégrade, notamment de prononcer l’état d’urgence sanitaire. Il remet en place les règles dérogatoires en matière de réunions des organes délibérants des collectivités et de leurs groupements ; et il permet aux directeurs d’école d’avoir accès aux données vaccinales et sanitaires de leurs élèves. 

Régimes d’exception

Ce que l’opposition reproche le plus vivement au gouvernement est de « passer par-dessus »  le Parlement pendant une période de huit mois et demi, puisque rien, dans le texte, ne prévoit que le Parlement ait à se prononcer sur une éventuelle reprise des mesures contraignantes – le gouvernement arguant que la campagne de la présidentielle, puis des législatives, ne permettra pas ce débat. 

État d’urgence sanitaire et régime transitoire de sortie de l’état d’urgence sont bien « deux régimes d’exception », estiment les députés LR, qui pourraient être décidés « sans plus aucune intervention du Parlement ». « Le Parlement ne peut pas être mis à l’écart d’une crise, aussi importante soit-elle », écrivent les députés, qui s’appuient ici sur la Constitution, qui prévoit que même en cas d’état de siège, le Parlement doit tout de même se réunir. Le Parlement est donc « muselé »  sur ce sujet, selon ces députés : « Pendant huit mois et demi, un premier puis un second régime d’exception pourront s’appliquer, l’un chassant l’autre, mais tous deux attentatoires aux libertés publiques, sans que le Parlement n’ait à en connaître, à en apprécier l’opportunité et surtout à en autoriser son application. » 

Les députés signataires de la saisine n’ignorent pas que le Conseil constitutionnel s’est déjà prononcé plusieurs fois sur ces sujets et a validé les précédents textes nés de la crise sanitaire, au nom de l’objectif constitutionnel de protection de la santé. Mais ils rappellent que les Sages ont de façon constante estimé que « c’est au législateur », c’est-à-dire au Parlement, d’assurer la « conciliation »  entre cet objectif et le respect des droits et libertés. 

Une situation qui a changé

Les députés insistent plusieurs fois sur la différence de situation entre mars 2020 (le début de l’épidémie) et maintenant : en mars 2020, « la sidération et la propagation de l’épidémie ont pleinement justifié la possibilité pour le Premier ministre de prendre des mesures attentatoires aux droits et libertés constitutionnellement garantis » . Mais aujourd’hui, la présence de masques en nombre suffisants et surtout l’important taux de vaccination (87 % de la population éligible) rendent les choses différentes aux yeux des députés, qui estiment que les dérogations au régime de droit commun en matière de libertés ne doivent pas devenir la règle. 

L’argument de la campagne électorale ne tient pas aux yeux de l’opposition : « S’il devait arriver un rebond de l’épidémie, le gouvernement aurait tout à fait la possibilité de consulter à nouveau le Parlement pour solliciter une nouvelle prolongation du régime transitoire, (…) le Parlement ayant déjà montré sa réactivité à légiférer dans des délais extrêmement contraints ». Rien n’empêche, de plus, le Parlement de se réunir après la date du 27 février 2022 – qui marquera le début de la vacance parlementaire. Car « vacance »  ne signifie pas « fin du mandat » : le mandat des députés court bien jusqu’en juin 2022. 

Secret médical

Enfin, les députés LR s’opposent avec vigueur à la mesure décidée par le gouvernement et la majorité consistant à permettre aux directeurs d’école d’accéder aux données vaccinales des élèves et à leur statut virologique. Il s’agit pour eux « d’une violation du secret médical »  et « d’une dérogation massive au respect de la vie privée des personnes ». « Le principe du secret médical est absolument intangible, écrivent les députés. Seuls les médecins sont dépositaires de celui-ci. » 

Et l’opposition ne se prive pas de rappeler qu’en juin dernier, les Sages avaient déjà censuré une disposition ouvrant l’accès aux données médicales des agents de la fonction publique à leurs employeurs. 

De plus, les députés LR notent que cette disposition a été introduite dans le texte par amendement, ce qui signifie qu’elle n’a pas été examinée par le Conseil d’État. Et que la Cnil elle-même n’a pas été consultée sur un sujet entrant pourtant pleinement dans le champ de ses compétences. 

Le Conseil constitutionnel n’a pas encore communiqué sur la date à laquelle il rendra sa décision. Le temps presse, puisque les dispositions sur le pass sanitaire prévues par la loi du 5 août prennent fin lundi prochain. 

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