À peine renommé, Sébastien Lecornu déjà sous la menace d'une censure rapide
Par Franck Lemarc

Cela aura été, sans doute, la semaine politique la plus folle de la Ve République. Récapitulatif : dimanche dernier, Sébastien Lecornu nomme son gouvernement après plus de 20 jours de réflexions et de tractations. Quelques heures avant, lors d'une réunion des parlementaires LR, le président du parti Bruno Retailleau défendait, seul, la nécessité de rentrer au gouvernement, « en responsabilité ». Mais à peine le gouvernement nommé, le même président des Républicains et ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, réalisant apparemment que la participation de son parti au gouvernement ne passe pas auprès de la base, publie un twitt qui laisse entrevoir qu’il va s’en retirer (« la composition du Gouvernement ne reflète pas la rupture promise » ). Le ministre annonce convoquer le lendemain le comité stratégique du parti. Mais Sébastien Lecornu ne lui en laisse pas le temps et prend les devants : lundi 6 au matin, il annonce sa démission et celle de son gouvernement. Le « socle commun » constitué par Michel Barnier, réunissant les partis du centre et les Républicains, a vécu.
Dans la foulée, l’Élysée annonce qu’il charge Sébastien Lecornu d’une sorte de mission de la dernière chance : trouver, en 48 heures, le « chemin » permettant de réunir une « plateforme de stabilité et d’action ». Mercredi 8, au journal de 20 heures, le Premier ministre démissionnaire vient rendre compte de sa mission, qu’il reconnaît n’avoir « pas vraiment réussie ». Il estime tout de même possible que soit constitué un gouvernement à condition que ses membres soient « déconnectés » de l’élection présidentielle, et assure que dans ces conditions, le risque de dissolution « s’éloigne ».
Sauf que la situation n’avait, en réalité, guère changé : Sébastien Lecornu a reconnu ce soir-là qu’il n’y a que 210 députés qui veulent « à peu près la même chose » sur le budget (l’ancien socle commun), ce qui est très loin d’une majorité à l’Assemblée nationale. Il lançait donc quelques perches vers le Parti socialiste, en promettant un réflexion sur la possibilité d’un débat sur la réforme des retraites.
À partir de là, il ne restait plus qu’à attendre la décision du président de la République, qui se donnait à nouveau 48 heures pour trancher et choisir un Premier ministre. Le nom de Jean-Louis Borloo a circulé quelque temps avant que, vendredi à 22 heures passées, l’on apprenne que Sébastien Lecornu était reconduit à Matignon.
Une « carte blanche » très relative
Pourquoi ce choix ? La réponse tient sans doute à l’isolement croissant dans lequel se trouve le chef de l’État, lâché cette semaine par ses plus anciens soutiens, de Gabriel Attal à Édouard Philippe. En d’autres termes, Sébastien Lecornu est sans doute, aujourd’hui, la dernière grande figure macroniste à rester fidèle et loyal au chef de l’État. Personne n’est dupe : si le président de la République a dit donner « carte blanche » à son Premier ministre pour constituer son gouvernement, il garde néanmoins la main. Témoin, l’entretien de plus de deux heures entre les deux hommes, hier soir, avant la publication officielle de la composition du gouvernement, entretien synonyme de négociations serrées, très loin d’une « carte blanche ».
De son côté, le Premier ministre reconduit a indiqué qu’il acceptait le poste « par devoir », afin de « mettre un terme à cette crise politique qui exaspère les Français ». Il a indiqué les points sur lesquels il s’engageait à ouvrir la discussion, mais aussi ses lignes rouges : « Tous les dossiers évoqués pendant les consultations seront ouverts au débat parlementaire », et « les débats devront aller jusqu’au bout », ce qui veut dire que Sébastien Lecornu réitère sa promesse de ne pas faire usage du 49-3. Côté lignes rouges : « Le rétablissement de nos comptes publics demeure une priorité (…) : personne ne pourra se soustraire à cette nécessité. » Il a également annoncé que les futurs ministres « devront s’engager à se déconnecter des ambitions présidentielles pour 2027 ».
Et d’ajouter, dans une entretien accordé à La Tribune dimanche, hier, qu’il n’a pas changé d’état d’esprit : il a démissionné, la semaine dernière, « parce que les conditions n’étaient plus remplies » pour s’accorder avec Les Républicains et gouverner ensemble. « Si les conditions n’étaient de nouveau plus remplies, je partirais. »
Le bloc central fissuré
Même si le gouvernement nommé hier soir comprend des membres de tous les partis de l’ex-socle commun (lire article ci-contre), l’unité n’est absolument plus garantie entre ces partis. À commencer par celle avec Les Républicains, dont la direction a officiellement tranché, samedi : le parti ne participera pas au gouvernement – ce qui n’a pas empêché les débauchages individuels – mais le soutiendra de l’extérieur, « texte par texte ». Même position de « soutien sans participation » pour l’UDI. Quant à Horizons et au MoDem, on ne peut pas dire qu’ils ont fait preuve d’un enthousiasme délirant devant la reconduction de Sébastien Lecornu à Matignon : le parti d’Édouard Philippe a rappelé son opposition absolue à tout retour en arrière sur la réforme des retraites et annoncé attendre « ce que va proposer le Premier ministre pour le pays » ; tandis que celui de François Bayrou a sobrement « pris acte » de la nomination de Sébastien Lecornu et attend maintenant « des clarifications ». Même le parti d’Emmanuel Macron, Renaissance, a annoncé du bout des lèvres soutenir le Premier ministre, bien que la nomination de celui-ci ne corresponde pas à la demande du parti de « partager le pouvoir » avec l’opposition.
Le spectre d’une censure express
Du côté de celle-ci, les choses sont bien plus tranchées – sauf, à cette heure, pour ce qui concerne le Parti socialiste. À droite, le RN et les ciottistes restent sur la position qu’ils ont adoptée depuis le début de la semaine dernière : « On censure tout le monde, jusqu’à la dissolution. » Même position à La France insoumise, chez les écologistes au Parti communiste, désormais tous acquis à la censure « automatique » du gouvernement.
La seule inconnue, qui sera absolument déterminante pour l’avenir du gouvernement à très court terme, reste donc l’attitude du Parti socialiste : selon que celui-ci votera ou ne votera pas la censure, dans les jours à venir, le gouvernement tombera ou ne tombera pas.
Pour le comprendre, il suffit de faire un peu d’arithmétique parlementaire. Si l’on additionne les députés membres des partis qui ont décidé de censurer systématiquement (RN, ciottistes, LFI, PCF, écologistes), on arrive à un total de 264 voix, soit 25 de moins que la majorité absolue. Pour faire tomber le gouvernement, il suffira donc de trouver 25 voix parmi les 69 députés socialistes. Sans compter les 22 députés Liot, dont plusieurs pourraient voter la censure… voire certains députés LR, qui n’avaient pas hésité, malgré la consigne de leur parti, à voter pour la chute du gouvernement Bayrou.
Autrement dit, si le PS devait annoncer clairement qu’il censurera, l’affaire est pliée : le gouvernement Lecornu II ne passera pas la semaine. Si, en revanche, le Premier ministre annonce, dans son discours de politique générale, des mesures qui lui garantiraient la non-censure du PS… sa chute passe de certaine à possible – car rien ne dit que tous les députés PS respecteront la consigne du parti.
Le PS a fixé, ces derniers jours, ses conditions pour ne pas censurer : « la suspension complète et immédiate de la réforme des retraites », l’engagement à ne pas utiliser le 49-3, et des mesures pour « le pouvoir d’achat et la justice fiscale ». Sur le 49-3, au moins, les choses sont claires. Sur le pouvoir d’achat, il n’est pas sûr que la nomination – pour la première fois – d’un « ministre du Pouvoir d’achat », suffise à convaincre les socialistes. Quant à la question des retraites, c’est la grande inconnue : le PS a certes ouvert la porte en ne demandant pas « l’abrogation », mais que signifie « une suspension complète et immédiate » ? Et surtout, Sébastien Lecornu sera-t-il prêt à donner des gages dans ce sens, dans la mesure où cela lui ferait automatiquement perdre le soutien des LR et d’Horizons, qui ont fait de cette question une ligne rouge ?
Faute d’une prise de position claire du Parti socialiste ce matin – et bien que trois députés PS aient déjà annoncé qu’il censureront dans tous les cas, estimant que « les socialistes n’ont pas vocation à devenir la béquille d’un macronisme finissant » –, il faut maintenant attendre le discours de politique générale du Premier ministre pour être fixé.
Si le nouveau gouvernement devait être renversé cette semaine, on ne voit plus guère ce qui pourrait éviter une dissolution, que de plus en plus de partis en viennent à réclamer. Les arguments inlassablement répétés par le RN, selon lesquels les autres partis « ont peur des élections », ont fini par porter : il n’est que de voir le nombre de responsables politiques, des LR au PS en passant par le PCF, qui ont assuré ce week-end dans les médias qu’il « ne faut jamais avoir peur de demander leur avis aux Français ». Ils savent, pourtant, que le prix électoral d’une dissolution risquerait, pour eux, d'être extrêmement lourd.
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