Maire-info
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Édition du jeudi 20 octobre 2022
Budget

Projet de loi de finances : le gouvernement dégaine son premier 49-3

La Première ministre a, comme prévu, fait usage de l'article 49-3 de la Constitution pour mettre fin aux débats sur la première partie du projet de loi de finances pour 2023. Sans risque, dans la configuration actuelle, de se voir renverser. 

Par Franck Lemarc

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© Ass. nationale

Il n’y avait aucun suspens. Le gouvernement avait clairement annoncé, depuis plusieurs jours, qu’il allait faire usage de l’article 49-3 pour adopter sans débat la première partie (recettes) du projet de loi de finances. La Première ministre, Élisabeth Borne, est montée à la tribune de l’Assemblée nationale hier après-midi pour engager cette procédure. 

Ce que dit la Constitution 

Rappelons que la Constitution permet au gouvernement, « après délibération du Conseil des ministres, d’engager la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la Sécurité sociale ». Le texte est alors adopté sans débat, sauf si une motion de censure, « déposée dans les 24 heures », est adoptée par l’Assemblée nationale. 

Si la motion de censure est adoptée à la majorité absolue des députés, cela emporte deux conséquences : le texte à propos duquel l’article 49-3 a été engagé n’est pas adopté, et « le Premier ministre doit remettre au président de la République la démission du gouvernement ». 

Signalons qu’en dehors des textes budgétaires, le gouvernement peut faire jouer le 49-3 sur « un autre projet ou proposition de loi par session », dit la Constitution. Les mots sont importants : une fois par « session »  et non une fois par an. Autrement dit, si, comme cela a été souvent le cas ces dernières années, le Parlement se réunit en session ordinaire (d’octobre à juin) avec, en plus, une session extraordinaire en juillet et une autre en septembre, le gouvernement peut alors utiliser le 49-3 sur trois textes par an. 

Le gouvernement ne fait déjà pas mystère de son intention d’utiliser cette procédure pour faire adopter le projet de loi de financement de la Sécurité sociale et, probablement, le texte sur la réforme des retraites. 

« Responsabilité »  contre « autoritarisme » 

Les arguments brandis par la Première ministre et les porte-parole de la majorité, depuis hier, tournent autour de la « responsabilité ». Les différents groupes d’opposition (essentiellement Nupes, LR et RN) ayant déclaré qu’ils ne voteraient, en aucun cas, le PLF, le gouvernement argue qu’il faut bien « donner un budget à la France »  et a donc choisi d’écourter les débats. Le 49-3 permet, en France, d’éviter la situation qui existe régulièrement aux États-Unis, par exemple, où le blocage d’une loi de finances au Parlement peut aboutir à une situation où l’État n’a pas de budget – situation que l’on appelle, Outre-Atlantique, le « shutdown ». En 2019, par exemple, une telle situation a conduit à ce que 800 000 fonctionnaires fédéraux ne puissent pas toucher leur salaire pendant un mois. 

Du côté de l’opposition, on crie au « hold-up démocratique », on fustige le « mépris », voire « l’autoritarisme »  du gouvernement. S’il faut rappeler que l’usage du 49-3 est inscrit dans la Constitution, donc parfaitement conforme aux institutions de la Ve République, et que toutes les oppositions qui ont été, à un moment ou à un autre, au gouvernement, ne se sont pas privées d’y avoir maintes fois recours, cela n’empêche pas que l’usage du 49-3 sur un budget, après que seulement un tiers des amendements eurent été examinés, donne une désagréable impression de refus de la discussion. 

D’autant qu’au passage, un certain nombre d’amendements de bon sens s’en trouveront enterrés – comme celui de la députée du Puy-de-Dôme, Christine Pires Beaune, qui permettait un crédit d’impôt pour les familles ayant à financer l’hébergement d’une personne en Ehpad, qui a disparu de la nouvelle version du texte. 

Amendements choisis à la main du gouvernement

Le gouvernement a en effet déposé, dans la foulée du discours d’Élisabeth Borne, une nouvelle version de son projet de loi de finances, qui sera donc adoptée sans débats. Il ne s’agit pas, a prévenu la Première ministre, « d’un décalque »  du texte présenté initialement, puisqu’un certain nombre d’amendements votés en séance (une centaine) a été intégré dans ce texte (lire article ci-dessous sur ce qui concerne les collectivités territoriales). Mais forcément, le choix de ces amendements a été à la main du gouvernement, et l’écrasante majorité de ceux qui ont été retenus viennent de la majorité. Aucun amendement issu des groupes LFI et RN ne figure dans le texte final. 

Et maintenant ?

Il reste maintenant à passer l’étape du vote de la motion de censure, qui doit intervenir, selon la Constitution, au moins « 48 heures après son dépôt ». Le vote devrait avoir lieu samedi ou lundi. 

Y a-t-il un risque de renversement du gouvernement ? Clairement non. Les équilibres actuels au sein de l’hémicycle et les stratégies choisies par les oppositions rendent cette option impossible, lors de cet épisode du moins. 

Il faudrait en effet, pour qu’une motion de censure soit adoptée, qu’elle recueille les votes de la majorité absolue des députés, soit 289 voix. Pour les obtenir, il faudrait que votent ensemble la totalité des députés de la Nupes (151 sièges) et ceux du Rassemblement national (89), ce qui aboutirait à 240 voix et ne serait donc pas suffisant. Il faudrait alors que tout ou partie des 62 députés LR se joignent à eux. 

Or le groupe LR, par la voix de son président Olivier Marleix, a d’ores et déjà annoncé qu’il ne voterait aucune motion de censure, pour ne pas créer « de l’instabilité »  dans une période déjà agitée. 

Par ailleurs, la Nupes et le RN déposeront chacun leur propre motion de censure, ce qui rend impossible l’adoption de chacune d’entre elles. Le gouvernement a donc l’assurance qu’il ne sera pas renversé dans les jours à venir – rappelons que le président de la République avait annoncé, en amont de ces débats, qu’en cas de renversement du gouvernement, il dissoudrait l’Assemblée nationale. 

L’examen du projet de loi de finances va maintenant démarrer au Sénat, dans une ambiance qui ne sera forcément pas très motivante puisque, de toute façon, le texte du gouvernement est déjà bouclé. Rappelons que le gouvernement ne peut pas utiliser le 49-3 au Sénat. 

À l’Assemblée nationale, les débats sur la seconde partie du PLF (dépenses) sont censés commencer le 27 octobre. On ne sait pas à cette heure si ce calendrier va être bousculé, ni si le gouvernement va choisir de laisser les débats se dérouler, en tout ou partie, ou faire usage du 49-3 dès le début des débats. 

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