Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du vendredi 17 janvier 2020
Élections

Circulaire Castaner sur le nuançage : démêler le vrai du faux 

La circulaire signée du ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, relative au « nuançage »  des candidats et des listes aux élections municipales, a été envoyée aux préfets. Elle interdit le nuançage politique d’office dans les communes de moins de 9 000 habitants. La circulaire n’a pas été rendue publique – c’est-à-dire qu’elle n’est pas publiée sur Légifrance –, et le ministère de l’Intérieur n’a pas souhaité en donner copie aux associations d’élus, y compris l’AMF. En revanche, elle a fuité dans certains médias – Le Monde, France 2, Public Sénat. Ce dernier média a décidé de publier la circulaire, hier, sur son site internet.


De quoi s’agit-il ?
Cette circulaire n’a rien d’inhabituel : à chaque élection municipale, depuis la IIIe République, il est d’usage de demander aux préfets d’attribuer une « nuance »  aux différentes listes afin de pouvoir analyser les grandes tendances politiques qui ressortent d’un scrutin. Et ce de façon naguère bien moins précise qu’aujourd’hui : un maire raconte, par exemple, qu’en 1900, dans sa commune, le préfet distinguait quatre nuances : « Réactionnaire, républicain, boulangiste, douteux ». 
Il faut d’abord bien faire la différence entre le nuançage et l’étiquetage. « L’étiquette politique »  est choisie, librement, par les candidats. On distingue deux étiquettes : celle de la liste elle-même, et celle de chaque candidat. Sur les Cerfa de déclaration de candidature, on distingue, d’une part, « l’étiquette politique déclarée de la liste », sur le Cerfa rempli par la tête de liste ; et d’autre part, sur le Cerfa rempli par chaque candidat, « l’étiquette politique déclarée du candidat ». Dans les deux cas, il n’est pas obligatoire de remplir ces lignes, et il est précisé qu’il est possible d’écrire « sans étiquette », ou de laisser la ligne vide, auquel cas la liste ou le candidat « sera déclaré[e] sans étiquette ». Un candidat n’est nullement obligé de déclarer la même étiquette politique que celle de la liste.
Le nuançage, en revanche, est effectué par les préfets « de manière discrétionnaire », « à des fins d’analyse électorale »  et sur la base « d’indices objectifs », rappelle la circulaire : « Soutiens, déclarations officielles, appartenance politique, autres mandats, etc. ». Le ministère met donc au point une « grille de nuances », tenant compte des tendances politiques du moment (par exemple, dans la grille 2020, des tendances « animaliste »  ou « Gilets jaunes »  ont été créées), et la met à disposition des préfets.
Les résultats du nuançage ne sont jamais rendus publics avant l’élection. En revanche, la nuance qui a été attribuée à un candidat peut lui être communiquée, avant l'élection, à sa demande.


La question des seuils
Les seuils à partir desquels les préfets doivent obligatoirement procéder au nuançage ont varié dans le temps. En 2008, le seuil était à 3 500 – donc, pas de nuançage pour les communes de moins de 3 500 habitants. En 2014, il est passé à 1 000. Cette fois, le ministère de l’Intérieur a donc choisi de porter le seuil à 9 000 habitants. Avec, à chaque changement, son lot de critiques : lors du passage à 1000 habitants et plus, le ministère avait par exemple été accusé de vouloir politiser des listes qui ne l’étaient pas. 
Quoi que l’on pense du choix du ministère, il ne constitue en aucun cas une surprise : cette question est en débat, publiquement, depuis des mois, comme Maire info l’a relaté dans plusieurs articles. Rappelons qu’en février 2014 déjà, l’AMF avait interpellé le gouvernement sur ce sujet, en écho au mécontentement de maires qui se voyaient attribuer une nuance politique contre leur gré – et ne correspondant pas toujours à leurs idées. Dans un courrier du président de l’AMF d’alors, Jacques Pélissard, à Manuel Valls, l’AMF rappelait que « dans bon nombre de petites communes rurales, les candidats s’engagent en faveur de listes d’intérêt local, sans considérations politiques ou partisanes, avec pour seule ambition d’œuvrer pour le bien commun de leur territoire et de ses habitants. Ces candidats, pour la plupart ‘’sans étiquette’’, ne souhaitent pas être classés, à leur insu, dans une catégorie politique ». L’AMF demandait la création, dans les grilles du ministère, d’une catégorie « non inscrit ou sans étiquette », quelle que soit d'ailleurs la taille de la commune. 
L’un des problèmes soulevés par ce système est que les préfets s’appuient notamment (et c’est écrit en toute lettre dans la circulaire) sur « la trajectoire passée »  des candidats. C’est ainsi que des candidats qui ont pu, dans leur jeunesse, appartenir à tel ou tel courant y compris extrémiste, peuvent se voir catalogués automatiquement dans cette nuance.
La question est revenue pendant le débat sur le projet de loi Engagement et proximité. Au Sénat, en octobre, deux amendements adoptés proposaient le retour au seuil de 3 500 habitants. Sur le fond, le gouvernement s’était dit favorable à un relèvement des seuils, mais opposé à ce que cela figure dans la loi, estimant que cette décision avait un caractère réglementaire et non législatif. C’est pourquoi la majorité a fait sauter ces amendements lors du passage du texte à l’Assemblée nationale, en novembre. C’est à ce moment que le gouvernement s’est clairement exprimé sur le sujet (lire Maire info du 13 novembre 2019) : la barre serait fixée à 9 000 habitants. Explication du ministère : le seuil de 3 500 ne correspondrait à rien, en matière électorale, car les seuils significatifs sont ou bien 1 000 habitants (scrutin de liste) ou bien 9 000 (obligation de désigner un mandataire financier). 
Cet engagement s’est donc concrétisé avec la circulaire de Christophe Castaner.

Ce que cela va changer (ou pas)
Aux prochaines élections, les listes et les candidats ne feront donc plus l’objet d’un nuançage d’office dans les communes de moins de 9 000 habitants (à l’exception des chefs-lieux d’arrondissement). Cette information a donné lieu à des interprétations plus ou moins fantaisistes. « 96 % des communes ne seront pas prises en compte dans les résultats nationaux ! », était-il par exemple expliqué, avant-hier, au 20 h d’une chaîne de télévision nationale. Bien entendu, le ministère comptabilisera, comme à chaque scrutin, le moindre bulletin de vote jusqu’au dernier, dans la plus petite des communes. Si le chiffre de 96 % correspond bien à la proportion de communes de moins de 9 000 habitants qui ne seront plus nuancées désormais, il est à relativiser, si l’on veut bien se rappeler qu’en 2008, c’étaient déjà 88 % des communes qui ne faisaient pas l’objet de nuançage (seuil à 3 500) et en 2014, 71 % (seuil à 1000). 
Le même reportage expliquait qu’il y avait là une « manipulation »  en prenant l’exemple de ce qui se serait passé si les résultats des élections européennes n’avaient pas été comptabilisés dans les communes de moins de 9 000 habitants aux élections… européennes : diminution du score du Rassemblement national et augmentation du score du parti présidentiel. Il n’a en réalité guère de sens de comparer un scrutin national comme les européennes, où tous les électeurs votent pour une liste de partis (les mêmes à l’échelle nationale), et un scrutin municipal où il y a autant de listes que de communes. Mais le vrai problème est que cette comparaison laisse à croire que l’État ne comptabilisera pas les résultats des communes de moins de 9 000 habitants, ce dont il n'a jamais été question.

La grille 2020
La grille présentée par le ministère comporte 24 nuances, allant de l’extrême gauche à l’extrême droite (une nuance extrême gauche, sept nuances de gauche, six nuances au centre, deux nuances à droite, trois nuances à l’extrême droite et cinq nuances « diverses »  telles que Gilets jaunes, animalistes, régionalistes…). 
Le ministère a voulu tenir compte de la possibilité, pour un candidat, de ne pas relever d’une classification politique : « Si les candidats ne revendiquent aucune étiquette particulière et seulement s’il est avéré qu’ils ne sont rattachables à aucune sensibilité politique précise, vous leur attribuerez la tendance ‘’DIV’’ », est-il écrit dans la circulaire. Le ministre demande néanmoins au préfet de le faire « avec discernement, pour éviter qu’une multiplication de candidats ‘’DIV’’ ne se traduise par une hausse inconsidérée (…) de cette nuance susceptible d’altérer en partie le sens politique du scrutin ». 
Trois lignes de la circulaire, en revanche, sont susceptibles de faire débat : la nouvelle nuance « LDVC »  (liste divers centre) doit être attribuée, d’une part, aux listes « qui auront obtenu l’investiture de la République en marche ou du MoDem » … mais également (et c’est là où le bât blesse), « aux listes de candidats qui, sans être officiellement investies par LaREM ni par le MoDem ni par l’UDI, seront soutenues par ces mouvements ». Cette disposition permettra qu'un maire LR ou PS soutenu mais non investi par LaREM soit comptabilisé au titre de la majorité présidentielle. Il y a lieu de s'étonner du fait qu'une nouvelle catégorie ait été créée, « soutenu par »... mais pour une seule tendance. 

Ce dispositif a été, par exemple, critiqué par le président du Sénat, Gérard Larcher, qui a dénoncé la création d’une « nouvelle variété d’élus »  soutenus par la majorité présidentielle : « Il faut faire attention à jouer avec tout ça. Il ne faut pas dénaturer l’élection municipale », a conclu le président du Sénat.

Franck Lemarc

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