Maire-info
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Édition du jeudi 28 avril 2022
Crise des gilets jaunes

Dégradations commises par les Gilets jaunes : la justice reconnaît aux communes le droit d'être en partie indemnisées par l'État 

Un tribunal administratif a condamné l'État à rembourser la commune et la métropole de Toulouse, en partie, des dégradations commises lors des manifestations des Gilets jaunes. Une décision qui va faire jurisprudence. 

Par Franck Lemarc

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© Wiki. Com.

La ville de Toulouse et l’intercommunalité de Toulouse métropole ont réclamé à l’État le remboursement des dégâts occasionnés par les manifestations des Gilets jaunes entre novembre 2018 et avril 2019. Le préfet de la Haute-Garonne avait refusé cette indemnisation, et c’est ce refus que la commune et la métropole ont attaqué devant le tribunal administratif. 

Des millions d’euros de dégâts

Le problème n’est pas nouveau : dès le mois de février 2019 (lire Maire info du 11 février 2019), France urbaine avait publié un communiqué pour poser la question des « modalités d’indemnisation »  des villes saccagées lors des manifestations. Paris, Nantes, Rennes, Rouen, Bordeaux, Toulouse, Lyon, Saint-Étienne, Dijon – toutes ces villes ont subi des dégradations importantes. À Paris, la seule manifestation, particulièrement violente, du 1er décembre 2018, avait occasionné « trois à quatre millions d’euros de dégâts »  selon Anne Hidalgo. France urbaine envisageait déjà, à ce moment, d’engager une action contre l’État, responsable de l’ordre public, pour lui faire prendre en charge la réparation de ces dégâts. 

C’est ce qui a été fait à Toulouse, la commune réclamant à l’État la somme de 2,45 millions euros et la métropole, 1,6 million d’euros. Les deux structures ont listé très précisément les dégâts commis lors des diverses manifestations, allant du saccage de locaux à la destruction d’horodateurs ou de systèmes de vidéoprotection, en passant par des dégâts commis dans les parcs et jardins, sur la voirie, l’éclairage public, des poubelles brûlées, etc. Elles ont également intégré dans la facture les heures supplémentaires effectuées par les agents communaux pour nettoyer ou réparer ces dégâts, ainsi que le manque à gagner provoqué par l’annulation de marchés, par exemple, qui a occasionné une perte de recettes pour la ville. 

La commune et la métropole se sont appuyées sur l’article L211-10 du Code de la sécurité intérieure, qui dispose que « l’État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. » 

Les arguments de l’État rejetés

Le préfet ne l’a pas entendu de cette oreille : il a plaidé devant le tribunal administratif que cet article L211-10 ne pouvait pas être invoqué, en l’espèce, parce que les dégradations n’avaient pas été commises dans le cadre des manifestations mais « par des activistes »  qui ont « infiltré les manifestations », de façon « préméditée ». « Les violences invoquées n’ont pas été commises dans le prolongement spontané de la manifestation mais par un groupe d’individus qui se détachent clairement de la manifestation initiale ; il n’existe aucun lien entre l’action violente et préméditée de plusieurs groupes de type ‘’commando’’ et le déroulement d’une manifestation à caractère social », a conclu le préfet. 

Cet argument quelque peu étrange n’a pas été retenu par le tribunal administratif de Toulouse, qui a jugé que « la circonstance que les actions violentes menées lors de ces journées de mobilisation aient pu être commises de manière préméditée et organisée (…) ne suffit pas à exclure la responsabilité sans faute de l’État, s’il est établi que ces dommages résultent, de manière directe et certaine, de délits (…) commis dans le prolongement de la manifestation ». Ce qui, dans le cas des manifestations considérées, était une évidence : le fait que la commune ait produit des photos d’horodateurs détruits ou endommagés sur le parcours des manifestations a été considéré comme une preuve suffisante. 

Indemnisation partielle

À partir de là, le juge a repris point par point la liste des demandes de la commune et de la métropole, considérant les cas où l’État doit en effet rembourser et les cas où il ne le doit pas. Le tribunal a par exemple validé la somme de 519 000 euros réclamée par la commune pour la destruction des horodateurs, mais pas celle réclamée pour la destruction d’équipements de vidéo-protection, au motif que la commune n’a pas fourni « d’éléments circonstanciés sur le lien de causalité entre ces dégradations et les manifestations ». Le juge a reconnu la responsabilité de l’État sur la destruction d’un certain nombre de biens (kiosque à journaux, sapins de Noël…), mais n’a pas, en revanche, validé la demande de la ville d’être indemnisée au titre des heures supplémentaires des agents de la police municipale ou de la fermeture des marchés. C’est une application très stricte du droit : la fermeture des marchés a certes provoqué un « préjudice économique », mais celui-ci « ne résulte pas de manière directe et certaine de délits ou crimes commis à force ouverte ou par violence par un attroupement ou rassemblement », ce qui induit que la responsabilité de l’État au titre de l’article L211-10 ne peut être invoquée. 

Au final, l’État devra verser à la ville la somme de 559 794 euros, et à la métropole la somme de 648 960 euros. 

L’avocat spécialiste du droit des collectivités Éric Landot note sur son blog que les communes, départements et régions ont « quatre ans à compter des dégradations commises par les Gilets jaunes pour former une demande préalable, prélude à un recours contentieux ». Il leur conseille néanmoins de « sécuriser le calcul du préjudice », et d’être en mesure de « démontrer que la collectivité a tenté de faire ce qu’elle pouvait »  pour empêcher les dégradations. 

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