Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du vendredi 19 avril 2024
Jeunesse

Ce qu'il faut retenir du discours de Gabriel Attal sur la lutte contre la violence des jeunes

Le Premier ministre, dans un discours prononcé hier à Viry-Châtillon, a donné les pistes qu'il entend proposer à la réflexion pour endiguer la violence dans la jeunesse, et exige que la concertation ait abouti dans huit semaines, « pas une de plus ». 

Par Franck Lemarc

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© Gouvernement

Gabriel Attal a clairement voulu donner à son discours une totalité de fermeté et certaines mesures qui ont été évoquées hier, comme un retour partiel sur l’ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs, vont certainement provoquer de virulents débats. Mais pour le Premier ministre, la situation exige des mesures fortes. Après plusieurs drames survenus en quelques semaines et impliquant de très jeunes gens – voire des mineurs –, dont le meurtre de Shamseddine, à Viry-Châtillon, ou plus récemment celui d’un jeune homme de 22 ans, à Grande-Synthe, dont les auteurs sont apparemment des mineurs, Gabriel Attal a eu des mots forts : il a dénoncé un « déchaînement de violence », une « spirale »  – « Comment accepter cette spirale, ce déferlement, cette addiction d’une partie de nos jeunes à la violence ? ». 

« Cinq causes » 

La Premier ministre a insisté sur le fait que cette « addiction à la violence »  ne touche qu’une minorité de jeunes, mais il a cité des chiffres inquiétants : « Alors qu’ils ne représentent qu’un Français sur 20, les adolescents de 13 à 17 ans représentent un mis en cause sur 10 pour coups et blessure, 1 sur 5 dans les trafics de drogue, 1 sur 3 dans les vols avec arme ». Ces jeunes impliqués dans une délinquance de plus en plus violente, « tous les maires (…) les connaissent, (…) ils sont quelques-uns, quelques dizaines parfois, tout au plus, dans un quartier ou une ville. C’est ceux-là que nous devons accompagner, rattraper, et enfin malheureusement, sans jamais trembler, que nous devons sanctionner. » 

Gabriel Attal a dressé une liste des « cinq raisons principales »  qui expliquent « l’affaissement de l’autorité »  dans le pays. 

En premier lieu, le rôle des parents. S’il reconnaît qu’il y a « des parents sincèrement débordés », il a fustigé « les parents qui ne tiennent pas leurs enfants, qui n’assument pas leurs responsabilités ». Deuxième cause : les écrans, qualifiés de « catastrophe éducative et sanitaire », et maintenant de « catastrophe sécuritaire », au regard du rôle que les réseaux sociaux ont joué dans les émeutes de l’été dernier. 

Gabriel Attal a ensuite désigné « l’entrisme d’idéologies contraires à la République », notamment « l’entrisme islamiste », qui « nous teste, interroge notre capacité à résister à (ses) assauts ». Enfin, il a identifié « le repli sur soi »  et « l’individualisme forcené »  qui font que « la règle commune devient accessoire », d’une part. Et, d’autre part, le « pas de vague généralisé », c’est-à-dire la faiblesse des pouvoirs publics et le fait de fermer les yeux face à certains comportements, « une forme d’abandon et de renoncement ». 

Dans cette présentation, le Premier ministre a manifestement choisi d'éviter toute référence à la situation sociale des quartiers populaires, au chômage et à la pauvreté qui ronge certains de ces quartiers.

Relancer l’internat

Face à ces comportements, « la République contre-attaque », a répété plusieurs fois Gabriel Attal dans ce qui semble être une allusion, pas forcément très heureuse, à une célèbre saga de science-fiction. 

Il se dit déterminé à « prendre le mal à la racine »  et se donne pour cela « huit semaines, pas une de plus » : c’est le temps que devra prendre la « concertation »  qui va être organisée en « mettant tout le monde autour de la table »  – mais le Premier ministre n’a pas précisé qui. Un « point d’étape »  aura lieu dans quatre semaines pour annoncer de premières mesures. Si ce calendrier est respecté, les premières mesures seront donc annoncées mi-mai, et les conclusions définitives de la concertation, mi-juin. 

Le chef du gouvernement n’a donc pas fait d’annonces, hier, mais seulement expliqué les pistes sur lesquelles il souhaite que la concertation se déroule.

Ces pistes s’articulent autour de « trois axes » : celui des parents, des écrans et des séparatismes, d’abord ; celui de la réponse pénale, ensuite ; celui de « l’accompagnement », enfin. 

Premier axe : le Premier ministre souhaite faire en sorte que les enfants « soient accueillis à l’école en continu, toute la journée », « entre 8 h et 18 h », car « à 12 ou 13 ans on n’a rien à faire dans la rue dans la journée ». Cette mesure semble donc spécifiquement dédiée aux collégiens, mais il se posera certainement, lors de la concertation, la question de l’accompagnement périscolaire dans le primaire. Par ailleurs, pour « rattraper »  un jeune « avant qu’il tombe vraiment dans la délinquance », Gabriel Attal compte sur les internats, rappelant qu’il y a « des dizaines de milliers de places en internat qui restent désespérément vides ». Les internats sont « une opportunité pour couper un jeune de ses mauvaises fréquentations ». Le Premier n’a pas dit, en revanche, quel sera l’accompagnement financier de l’État vis-à-vis des familles sur ce plan. 

Il a également fait des propositions à l’égard des « parents démissionnaires » : les « réprimer plus largement et plus sévèrement », les condamner, en cas de manquements, « à des peines d’intérêt général ». Il a repris l’idée évoquée après les émeutes de « faire payer aux parents les réparations »  des dégâts commis par des jeunes, mais en précisant que l’État « viendra désormais chercher les deux parents pour payer », y compris un père qui aurait déserté le foyer. 

Sur les écrans, Gabriel Attal s’est dit déterminé à « faire appliquer »  la loi Marcangeli, promulguée en juillet dernier, qui fixe la majorité numérique à 15 ans. Il a également annoncé que le gouvernement va soutenir la proposition de loi LR actuellement en discussion (lire Maire info du 8 avril) qui vise à interdire l’usage du smartphone dans les crèches et même chez les assistantes maternelles. « Éventuellement nous irons plus loin », a déclaré Gabriel Attal. 

Sur « l’entrisme islamiste », le chef du gouvernement a dit vouloir être « intraitable »  et souhaiter accentuer la surveillance notamment sur les clubs de sport. Il va demander au ministre de la Justice de prendre une circulaire pour que le fait d’agresser quelqu’un « en raison du non-respect de principes religieux »  soit reconnu comme une circonstance aggravante. Reste à savoir si cette circonstance aggravante est prévue par la loi, ce qui est loin d'être certain, et demanderait alors une modification législative avant toute circulaire. 

Il convient aussi, a poursuivi le Premier ministre, d’accentuer la lutte contre la drogue, « mère de toutes les délinquances ». Un « nouveau plan stup »  va être présenté « dans les prochains jours ».

Sanctions

Sur le terrain de la sécurité à l’école, Gabriel Attal a annoncé le renforcement de la sécurisation des établissements les plus sensibles : « 350 établissements seront accompagnés prochainement ». Lors des deux réunions du comité des élus locaux sur la sécurité dans les écoles tenues l’an dernier par Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation nationale, l’AMF avait insisté sur la nécessité d’un accompagnement technique et financier des communes pour faire face à cet enjeu.

Dans les écoles primaires, les « cours d’empathie », actuellement expérimentés dans 1 500 écoles, seront généralisés à la rentrée. La règle consistant à exiger que les élèves se lèvent à l’entrée du professeur va également redevenir obligatoire. Le gouvernement va, par ailleurs, instaurer « dès la rentrée prochaine »  des « commissions éducatives »  à l’école primaire. Ces commissions, qui n’existent actuellement que dans le secondaire, ont pour rôle de trouver une solution quand un jeune « ne respecte pas ses obligations scolaires ou a un comportement inadapté », explique le site Service-public.fr. Ce ne sont pas des conseils de discipline, puisqu’elles ne peuvent pas prononcer de sanction. Gabriel Attal ne semble pas au fait de ce détail, puisqu’il a expliqué que les commissions éducatives dans le primaire permettront de prononcer « des sanctions adaptées ». 

Une autre mesure qui va certainement faire couler beaucoup d’encre : Gabriel Attal souhaitent que les élèves les plus perturbateurs « se voient sanctionnés sur leur brevet, leur CAP ou leur bac, et qu’une mention soit apposée sur leur dossier Parcoursup ». Et pour éventuellement voir effacer cette mention, il faudra que le jeune réalise des « activités d’intérêt général »  et « se tienne à carreau ». Cette mesure, qui consiste à « marquer »  une jeune d’une mention qui le suivra pendant toute sa scolarité, voire plus, suscitera certainement de vifs débats lors de la concertation. Quelles seront ses modalités ? sa proportionnalité ? quelle sera la durée d'inscription de cette « mention »  dans le dossier d'un jeune ? Le Premier ministre n'a donné aucune réponse à ses questions dans son discours.

Réformer à nouveau l’ordonnance de 1945 ?

Sur le plan pénal, le Premier ministre a salué la réforme de l’ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs portée pendant le précédent quinquennat, estimant qu’il s’agissait d’une avancée « sans précédent et considérable », mais qu’il faut maintenant « aller plus loin ». 

Outre les nouvelles « mesures d’intérêt éducatif », qui seront le pendant des travaux d’intérêt général pour les jeunes de moins de 16 ans, déjà annoncées en janvier, et qui entreront en vigueur « dès la rentrée des vacances de printemps », le Premier ministre souhaite « une impunité zéro »  pour les mineurs délinquants, « une sanction immédiate ». Il propose donc la création d’une mesure de « composition pénale sans juge », dès 13 ans, pour que la sanction soit « plus rapide ». 

Par ailleurs, il a chargé le Garde des sceaux de « réfléchir »  à l’opportunité de créer une « comparution immédiate devant le tribunal pour les jeunes à partir de 16 ans », de façon que les jeunes mineurs « soient sanctionnés immédiatement, comme des majeurs ». De plus, il se pose la question de savoir si « des atténuations à l’excuse de minorité sont possibles et souhaitables », et annonce ouvrir le débat sur ce sujet. 

Il s'agirait là d'une réforme profonde de la justice des mineurs, qui appelle de très nombreuses questions. En particulier, il faudra que le gouvernement précise la signification de l'expression « sanctionnés immédiatement, comme des majeurs ». Est-ce simplement une volonté d'accélérer les sanctions pour les rendre plus efficaces, ou s'agit-il d'un alignement des peines sur celles des majeurs ? 

Sur le sujet de l’accompagnement, enfin, le Premier ministre a été nettement moins disert, insistant simplement sur le rôle des CPRAF (cellules départementales de suivi pour la prévention de la radicalisation et l’accompagnement des familles), qui réunissent État, élus, procureurs et associations.

Toutes ces propositions, a conclu Gabriel Attal, ne sont qu’un « point de départ », qu’il est prêt à « enrichir, amender, en ajouter ». Ce sera l’objet des discussions qu’il veut avoir très rapidement avec « les forces politiques et les parlementaires »  dans les jours qui viennent, et de la vaste concertation de huit semaines qui, on peut l’espérer dans la mesure où le Premier ministre a plusieurs fois évoqué le rôle des maires, inclura les associations d’élus. 

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