Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du jeudi 26 octobre 2023
Commerce

Autorisation d'exploitation commerciale : une « simplification » aux allures de cauchemar bureaucratique

La loi 3DS a prévu une expérimentation permettant aux communes ou EPCI de délivrer directement, dans certains cas, une autorisation commerciale, sans passer par la Commission départementale d'aménagement commercial (CDAC). Le décret permettant cette expérimentation est paru bien tardivement, pour une procédure d'une invraisemblable lourdeur. 

Par Franck Lemarc

Il est des jours où l’on peine à se rappeler que le « S »  de la loi 3DS signifie « simplification ». Par exemple, lorsque l’on tente de décrypter le contenu du décret paru hier détaillant les modalités de l’expérimentation prévue par la loi 3DS en matière de procédure de délivrance des autorisations d'exploitation commerciale… Décret qui vient préciser un article de loi déjà particulièrement complexe. 

Ce que dit la loi

Le décret permet l’application de l’article 97 de la loi 3DS, qui concerne les règles en matière d’autorisation commerciale dans deux cas :  les territoires ayant signé une ORT (opération de revitalisation du territoire) ; et ceux menant une opération d’aménagement concernant une zone d’activité économique dans le cadre d’une « GOU »  (grande opération d’urbanisme). Dans ces deux cas, à titre expérimental, la procédure de délivrance d’autorisation d’exploitation commerciale (AEC) va être modifiée : la commune ou l’EPCI pourra délivrer une AEC « sans que soit saisie la commission départementale d'aménagement commercial et sans que les services déconcentrés de l'Etat instruisent la demande ». C’est là que niche la « simplification ». 

Sauf que le simple fait de pouvoir participer à l’expérimentation demande la satisfaction d’un nombre important de « conditions cumulatives ». Outre le cadre général (ORT ou GOU), l’expérimentation ne peut se mener que dans un EPCI dont le territoire est couvert par un SCoT muni d’un document d’orientation et d’objectif défini à l’article L 141-6 du Code de l’urbanisme, lui-même comportant « un document d’aménagement artisanal commercial et de logistique »  ; et d’un PLUI ou d’un PLU dans chaque commune membre. Mais ce n’est pas tout. Il faut aussi que ces documents d’urbanisme « aient été modifiés pour déterminer les conditions d’implantation des équipements commerciaux »  en prenant en compte pas moins de … dix critères, comprenant la localisation des projets, « l’effet des implantations sur les flux de transport », l’insertion paysagère, « l’effet sur l’animation de la vie urbaine ou rurale », etc. 

Un EPCI qui remplirait tous ces critères peut décider de prendre une délibération pour participer à l’expérimentation, après avis des communes membres. Ensuite, le président de l’EPCI sera « auditionné »  par la Commission nationale de l’aménagement commercial, qui, le cas échéant, donnera un avis conforme – ou pas. En cas d’avis conforme, le préfet pourra signer l’arrêté autorisant l’EPCI à participer à l’expérimentation. 

Ce véritable parcours du combattant est inscrit dans la loi. Il restait à publier un décret pour préciser notamment « les délais d'instruction des demandes et de recueil des avis ainsi que les modalités de saisine de la Commission nationale d'aménagement commercial sur les évolutions des documents d'urbanisme visant à prendre en compte les critères ». Notons qu’il aura fallu 18 mois pour publier ce décret, ce qui est d’autant plus dommage que le calendrier est contraint : la délibération des EPCI sur ce sujet doit être prise au plus tard trois ans après la publication de la loi, soit avant le 21 février 2025. Il ne reste donc plus qu’un an et demi aux EPCI intéressés pour aller au terme de cette complexe procédure. 

La procédure détaillée dans le décret

Passons maintenant au décret, qui n’est pas beaucoup plus simple que la loi elle-même. 

Le décret indique d’abord que lorsque le président de l’EPCI sait pour avis les communes membres, sur le principe de la participation à l’expérimentation, celles-ci ont trois mois pour répondre – silence vaudra accord en la matière. 

Ensuite, l’EPCI devra constituer son dossier de candidature à l’expérimentation, ce qui ne sera pas une mince affaire au regard du nombre d’éléments que doit comporter ce dossier(synthèse de la stratégie d’aménagement commercial du territoire, justification du respect des nombreux critères prévus par la loi, etc.). Une fois le dossier adressé à la Commission nationale d’aménagement commercial, celle-ci aura quatre mois pour répondre. Entretemps, si le dossier est complet et que la Commission l’a officialisé, l’EPCI devra, dans les 15 jours et à ses frais, « publier un extrait de la demande d’expérimentation dans deux journaux régionaux ou locaux », faute de quoi… le dossier sera déclaré irrecevable. 

Il restera ensuite à présenter le dossier devant la Commission nationale d’aménagement commercial. Les maires des communes membres de l’EPCI peuvent demander à être reçus par la commission, qui recevra aussi « le commissaire du gouvernement »  pour que celui-ci lui donne son avis. 

Dernière étape : la Commission nationale se réunit et prend une décision, qui sera notifiée sous un mois au préfet et au président de l’EPCI ainsi qu’aux communes membres. Si l’avis est favorable, le préfet prend un arrêté. L’avis doit là encore être publié (au frais de l’EPCI) dans deux journaux locaux. 

Une fois ce long chemin parcouru, l’objectif sera atteint – et la véritable simplification interviendra : la délivrance de l’AEC n’appartiendra plus qu’au maire ou au président d’EPCI. Avec une limitation de taille, prévue par la loi : aucune autorisation ne pourra être délivrée par le maire ou le président d’EPCI si l’implantation ou l’extension génère une artificialisation des sols. Dans ce cas, ce sera le retour à la procédure de droit commun, avec accord du préfet et de la CDAC. 

L’extrême lourdeur et l’invraisemblable complication de la procédure d’entrée dans l’expérimentation – en plus des délais maintenant très contraints – pourraient toutefois gâcher la fête, et décourager bien des élus de se lancer dans une procédure aussi lourde. Ce qui constituerait une nouvelle illustration de l’adage selon lequel l’enfer est pavé de bonnes intentions. 

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