Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du vendredi 15 mars 2024
Élus

À l'Assemblée nationale, le non-cumul des mandats sauvé par le gong

La proposition de loi du groupe Horizons visant à revenir partiellement sur le non-cumul des mandats a été débattue hier à l'Assemblée en séance publique. Si elle n'a pas été adoptée pour des raisons de procédure, il faut retenir qu'une majorité des députés présents l'a toutefois soutenue.

Par Franck Lemarc

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© Ass. nationale

Il s’en est fallu d’un cheveu : l’article unique de la proposition de loi permettant à certains élus locaux de pouvoir à nouveau exercer un mandat parlementaire a été adopté par l’Assemblée nationale, hier. Mais le texte n’a pas pu aller au bout de son examen, les députés de la gauche ayant réussi à faire durer les débats jusqu’à l’heure limite à laquelle la séance devait être levée. 

« Obstruction » 

Explications : ce texte a été examiné dans le cadre d’une « niche »  parlementaire, c’est-à-dire d’une journée consacrée aux propositions d’un groupe parlementaire – en l’occurrence le groupe Horizons. Mais les règles de l’Assemblée nationale sont intangibles : la « niche »  dure jusqu’à minuit, et pas une seconde de plus. Les textes qui ne sont pas adoptés à cette heure tombent, quel que soit l’état d’avancement de leur examen. 

La proposition de loi était constituée d’un article unique, et celui-ci a bien été voté. Mais les groupes de la Nupes, furieusement opposés à ce texte, avaient déposé des amendements permettant de continuer le débat après l’adoption de l’article unique. Usant de tous les moyens possibles pour jouer la montre – interruptions de séance, rappels au règlement, interminables interventions sur chaque amendement –, ils ont réussi à atteindre minuit sans que l’ensemble des amendements aient été examinés. Le texte est donc abandonné. 

Les députés de gauche ont, ces derniers mois, beaucoup reproché aux partis de la majorité présidentielle, ou au groupe LR dans d’autres cas, d’user de tels artifices – et il est vrai que ceux-ci ne s’en sont pas privés lorsque cela les arrangeait. Cela a été au tour, hier, de la majorité et des LR de fustiger « l’obstruction »  de la gauche. 

Il est notable aussi que sur un débat aussi crucial que celui-là – y compris pour les députés eux-mêmes, qui débattaient, en l’espèce, de leur propre mandat – l’hémicycle était quasiment vide. 

Profonds clivages

Sur le fond, il est ressorti de ce débat qu’une majorité de députés présents est favorable à un assouplissement des règles du non-cumul des mandats. Et que le gouvernement, représenté par la ministre des Collectivités territoriale Dominique Faure, n’est absolument pas fermé à l’idée. 

La proposition de loi initiale ne prétendait pas en finir totalement avec le non-cumul, puisqu’elle exclut les maires de l’assouplissement. Elle dispose en effet que tous les titulaires d’un mandat exécutif local pourraient à nouveau être parlementaires, à l’exception des maires et présidents de conseils départemental ou régional. Selon ce texte, il aurait donc été de nouveau possible aux adjoints aux maires et vice-présidents d’EPCI de devenir député ou sénateur, mais pas aux maires. 

De très nombreux amendements ont été déposés par des députés LR, RN, Renaissance ou MoDem pour étendre cette possibilité aux maires, selon divers seuils (seulement les maires de grandes villes, ou à l’inverse seulement les maires de petites communes, etc.), mais aucun de ces amendements n’a été adopté en séance. La seule exception qui a été votée est l’extension du cumul aux maires d’arrondissements de Paris, Lyon et Marseille qui, selon les auteurs de l’amendement (Renaissance), « ne sont pas des maires de plein exercice et s’apparentent davantage à des adjoints au maire ». 

La discussion générale sur ce texte a montré des clivages très profonds – avec d’âpres débats sur « la volonté des Français », chacun brandissant des sondages allant dans le sens qui l’arrange. Ainsi, un député Renaissance opposé à la réforme a indiqué que « 67 % des Français sont opposés au cumul des mandats », selon « un récent sondage », tandis qu’un autre, RN, citait un autre « récent sondage »  indiquant exactement l’inverse. 

Les orateurs de la gauche se sont succédé pour dire leur farouche opposition à toute remise en question, fût-elle cosmétique, de la loi de 2014 votée sous le gouvernement de Manuel Valls : LFI, écologistes, communistes et socialistes ont combattu avec vigueur la remise en cause d’un dispositif qui, disent-ils, a mis fin « aux baronnies »  voire à une forme de « clientélisme ». En estimant qu’il est indispensable que les députés et les sénateurs le soient « à plein temps ». 

Les orateurs Horizons et MoDem ont défendu la réforme, mais l’orateur du groupe Renaissance a plaidé, à titre personnel, contre l’assouplissement – tout en annonçant que « la liberté de vote »  était accordée aux députés de son groupe. Il n’y avait, à vrai dire, guère le choix, dans la mesure où de nombreux députés Renaissance sont totalement partisans de l’assouplissement, voire, comme par exemple l’ancien maire de Poissy Karl Olive, ont eux-mêmes déposé des amendements pour aller plus loin en incluant les maires dans la réforme. 

Le Rassemblement national a soutenu la réforme. Quant aux Républicains, ils ont plaidé eux aussi pour l’assouplissement et même le rétablissement des députés maires et sénateurs maires. L’orateur LR dans la discussion générale, Pierre-Henri Dumont, a même jugé que les nombreuses crises que le pays a traversées (« crise des 80 km/h, Gilets jaunes, crise des agriculteurs » ) trouve son origine dans « l’exclusion des élus locaux du Parlement », privant celui-ci d’indispensables « capteurs de terrain ». 

Plusieurs orateurs favorables à la réforme ont balayé l’argument selon lequel le non-cumul permet aux députés d’exercer plus pleinement leur fonction, en montrant les rangs plus que clairsemés de l’Assemblée nationale, vides aux quatre cinquièmes. 

Le gouvernement ouvert

Quant à la ministre Dominique Faure, elle a expliqué pourquoi elle avait été – en tant que maire – particulièrement favorable à la loi de 2014 : « L’idée de consacrer l’ensemble de mon temps et de mon énergie à mon mandat était une évidence. »  Mais aujourd’hui, a-t-elle poursuivi, « nous ressentons tous une forme de séparation entre les territoires, la représentation nationale et l’État ». Tout en « récusant l’idée que les parlementaires sont hors-sol », la ministre juge que le débat doit bien être rouvert, car « il y a un enjeu à ce que nous intégrions mieux les contraintes de la mise en œuvre des politiques publiques que nous concevons ici ». La question d’un assouplissement est donc « très pertinente », selon Dominique Faure, qui juge le débat « sain ». Et attend des propositions à ce sujet, aussi, dans le rapport à venir de la mission conduite par Éric Woerth. 

Au bout du temps imparti, l’article unique de la proposition de loi a été largement adopté. Les amendements supplémentaires après l’article unique et les interruptions de séance ont permis, à l’opposition, néanmoins, de dépasser l’heure fatidique. Cependant, comme l’a dit en fin de séance le rapporteur du texte, Henri Alfandari, « l’article unique a été voté tel que nous l’avions proposé. Cela veut dire qu’il a été reconnu que le temps est venu d’aménager la loi de 2014 pour que certains d’entre nous puissent retrouver des fonctions exécutives locales ». Le député Sylvain Maillard (Renaissance), a souhaité que le débat continue : « Dans les semaines et les mois qui viennent, nous ferons des propositions, parce que nous avons vu qu’il y a des choses sur lesquelles nous devons avancer. Ce n’est pas dans une niche parlementaire que l’on doit traiter ce débat. Mais ce sujet, il faudra y revenir. Rendez-vous dans quelques semaines. » 

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