Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du lundi 7 février 2022
Élections

Le gouvernement écarte, pour l'instant, le vote par correspondance

Le gouvernement avait promis, après les dernières élections marquées par des taux d'abstention faramineux, que des mesures allaient être étudiées pour remédier à ce phénomène. Ce ne sera pas, en tout cas, le recours au vote par correspondance, comme l'a montré un débat en fin de semaine dernière à l'Assemblée nationale. 

Par Franck Lemarc

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Une abstention « abyssale ». Le mot du porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, au lendemain des élections départementales et régionales de juin dernier, avait marqué. Alors qu’en 2004, 66 % des électeurs s’étaient déplacés pour voter aux régionales, le chiffre s’est inversé 17 ans plus tard : en 2021, ce sont 66 % des électeurs qui sont restés chez eux. 

Au lendemain de cette bérézina démocratique, deux tendances se sont fait jour au sein même de la majorité : celle exprimée par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui déclarait le 23 juin dernier que « l’abstention est un problème politique, pas un problème de modalités ». Et celle portée par le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, ou encore le patron du MoDem, François Bayrou, jugeant indispensable « une grande loi de modernisation de nos outils d’expression démocratique ». Le ministre Clément Beaune, toujours le 23 juin, estimait lui aussi qu’une évolution du mode de scrutin était indispensable : « Si on ne (faisait) pas cela d'ici la présidentielle, si on ne regard(ait) pas cette option, on se tromperait. Ça fait partie de notre boîte à outils. »  Le MoDem avait alors promis d’essayer de faire voter une loi avant la présidentielle et le Premier ministre, Jean Castex, s’engageait à « tirer toutes les conséquences de cette abstention ». 

Proposition de loi a minima

Huit mois plus tard, et à deux mois presque jour pour jour du scrutin présidentiel, on ne peut pas dire que ces engagements ont été tenus : il n’y a pas eu de débat de grande ampleur sur le sujet, et aucune évolution du mode de scrutin n’a été décidée. 

Seul le député Xavier Breton (LR, Ain), au cours d’une mission parlementaire, a planché sur le sujet (lire Maire info du 10 décembre 2021), et émis quelques propositions allant de la pérennisation de la double procuration à l’expérimentation du vote par correspondance et du vote par internet, ainsi que la possibilité pour tout électeur de « voter dans la commune de son choix ».  Ce rapport n’a, du côté du gouvernement, pas eu de suite. 

Le MoDem, de son côté, a tenu sa promesse de proposer un texte de réforme : lors de sa journée d’initiative parlementaire jeudi dernier, le parti de François Bayrou a mis au débat une proposition de loi « visant à rétablir le vote par correspondance ». Certes, ce n’est pas la « grande loi de modernisation de nos outils d’expression démocratique »  prévue, loin s’en faut, mais un texte plus symbolique qu’autre chose : la proposition de loi est constituée d’un article disposant que « les électeurs peuvent également voter par correspondance, soit sous pli fermé, soit par voie électronique au moyen de matériels et de logiciels permettant de respecter le secret du vote et la sincérité du scrutin ». Elle laisse le soin à un décret de fixer les modalités d’application de cette disposition. 

Le gouvernement opposé

C’est Jean-Noël Barrot (MoDem, Yvelines) qui a porté ce texte jeudi en séance publique, développant plusieurs arguments en faveur du vote par correspondance : il existe déjà, a-t-il notamment plaidé, pour les Français de l’étranger et les personnes détenues, sans que l’on constate de difficultés ou de fraudes particulières. Face à l’argument le plus souvent brandi contre le vote par correspondance – celui du risque d’un vote sous pression ou sous influence, notamment dans la sphère familiale –, le député a développé un argument assez convaincant : « Le vote par procuration heurte bien plus frontalement le caractère personnel et secret du vote que le vote par correspondance, puisque l’électeur qui établit une procuration est obligé de divulguer son choix à une personne tierce, sans être certain que celle-ci respectera son vote. (…) On ne peut donc, en toute bonne foi, être favorable à l’élargissement du vote par procuration et s’opposer en même temps au vote par correspondance sous le prétexte d’un risque de vote sous influence. » 

Mais la ministre chargée de la Citoyenneté, Marlène Schiappa, a été claire : le gouvernement « portera un avis défavorable sur cette proposition de loi ». Et ce pour plusieurs raisons « structurelles ». Premièrement, le gouvernement considère « que le risque de fraude demeure substantiel »  – rappelons que c’est la raison pour laquelle, en 1975, le Conseil constitutionnel avait supprimé la possibilité de voter par correspondance. Ensuite, « l’identité de l’électeur et son consentement ne sont pas vérifiés avec la même fiabilité que pour le vote à l’urne ou par procuration ». Il faut rappeler en effet que même avec la procédure dématérialisée de demande de procuration, le mandant doit encore se rendre physiquement dans un commissariat ou une gendarmerie pour faire vérifier son identité, ce qui serait évidemment matériellement impossible pour des millions d’électeurs votant par correspondance. Enfin, a expliqué la ministre, « en l’absence d’isoloir, le secret et la liberté du vote ne sont plus garantis (…), ce qui risque de conduire à des votes sous influence, qu’elle soit familiale, professionnelle ou communautariste, voire à des achats de vote ». Marlène Schiappa a également pointé les problèmes matériels que sont « les retards dans la distribution des bulletins », qui pourraient « fragiliser les élections ». Sans compter les « importantes complexités pour les communes »  qu’un tel système amènerait, et son coût financier, estimé à « 135 millions d’euros ». 

Le gouvernement, s’il se dit « favorable à la poursuite des études et des recherches », en particulier sur le vote électronique, estime donc « prématuré »  de modifier dès à présent le mode de scrutin. 

Avis partagés

Les avis ont été très partagés dans l’hémicycle sur cette proposition de réinstaurer le vote par correspondance. Plusieurs députés ont réfuté le risque de fraude, rappelant que 47 ans ont passé depuis l’avis du Conseil constitutionnel de 1975, et que les moyens existent aujourd’hui pour dépasser ce risque. 

Les socialistes ont soutenu la proposition de loi, estimant qu’il faut répondre à « l’urgence démocratique »  et qualifiant l’instauration du vote par correspondance « d’indéniable avancée démocratique ». 

À l’inverse, les députés du groupe Agir ont parlé de « fausse bonne idée »  – mettant notamment en avant le risque du vote sous influence –, tout comme ceux du groupe Liberté et territoires. La France insoumise s’est également prononcée contre, qualifiant la disposition de « mesurette non souhaitable tant elle pourrait avoir des effets contraires à ceux recherchés »  ; ceux du Parti communiste aussi, reprenant, une fois n’est pas coutume, l’argument de Gérald Darmanin, puisqu’ils ont eux aussi déclaré que cette proposition de loi était « une réponse technique à un problème politique ». 

Le groupe LaREM a logiquement suivi l’avis du gouvernement et a voté contre la proposition de loi. Le groupe LR, enfin, ne s’est pas exprimé dans ce débat. 

Le texte a été rejeté. Il reste maintenant deux ans à la future majorité pour travailler sur ce sujet, puisque les prochaines élections, une fois passées la présidentielle et les législatives, seront les européennes de 2024 puis les municipales de 2026. 

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