Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du lundi 24 avril 2023
Outre-mer

Une vaste opération de police lancée à Mayotte

Une vaste opération de destruction des bidonvilles et d'interpellation des immigrés clandestins est en cours à Mayotte. Elle devrait durer deux mois, et trouve sur place ses soutiens et ses détracteurs.

Par Franck Lemarc

L’opération s’appelle « Wuambushu ». Elle a été planifiée depuis longtemps, sans publicité, par le ministère de l’Intérieur, jusqu’à ce que le Canard enchaîné, fin février, en révèle l’existence – confirmée depuis par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. 

Violence endémique

Cela fait des mois que les élus du 101e département français, entre autres, appellent l’État au secours face à la montée des violences. Ce fut le cas, notamment, de Madi Madi Souf, le président de l’Association des maires de Mayotte, au micro de la webTV de Maire info pendant le congrès des maires, en novembre dernier. Le maire de Pamandzi expliquait alors que la situation dans l’île « relevait du terrorisme ». Racket, caillassages de bus, voitures brûlées, attaques « à la machette »  et « mutilations » , la situation devient « incontrôlable ». Face à ces violences, l’État avait alors envoyé « huit hommes du Raid », ce que Madi Madi Souf qualifie de « très insuffisant ». Le maire demandait alors une installation du GIGN à Mayotte « de manière pérenne ». 

L’île souffre en effet d’une situation de violence endémique, conséquence de la pauvreté dramatique qui continue de sévir. Bidonvilles, situation sanitaire indigne, manque d’eau, taux de chômage à 30 % et taux de pauvreté de 70 %... la situation sociale à Mayotte est celle d’un pays sous-développé. Mais parce qu’elle est moins pire encore que celle des Comores voisines, un important mouvement d’immigration clandestine se développe. À bord d’embarcations de fortune, des milliers de migrants comoriens tentent leur chance à Mayotte. Aujourd’hui, selon le ministère de l’Intérieur, la moitié des 300 000 habitants de l’île serait en situation irrégulière, et un Mahorais sur deux vivrait en habitat insalubre, sans électricité. Il y aurait en outre quelque 5 000 mineurs isolés sur les deux îles. 

L'AMF, à l'automne dernier, a alerté sur la dégradation de la situation à Mayotte, en organisant une conférence de presse le 18 octobre (lire Maire info du 19 octobre) et en accordant une large place à ce sujet dans le débat qui a eu lieu lors de la journée Outre-mer de son 104e congrès (lire Maire info du 22 novembre). 

« Détruire l’écosystème des bandes » 

Le gouvernement a donc bien planifié une vaste opération de police, même si Gérald Darmanin, dans une interview donnée au Figaro la semaine dernière, insiste sur le fait que le maintien de l’ordre à Mayotte ne commence pas aujourd’hui – les effectifs des forces de l’ordre y ont été augmentés de 50 % en cinq ans. Mais de nouveaux effectifs viennent d’y être dépêchés : « Quatre escadrons de gendarmes mobiles »  et une quarantaine de membres de la CRS 8, spécialisée dans la lutte contre les violences urbaines, soit en tout 510 effectifs supplémentaires, sont arrivés sur place. Le ministère de la Justice a par ailleurs envoyé « six magistrats, sept greffiers et 15 agents de la Protection judiciaire de la jeunesse ». 

L’objectif est double : tenter d’éradiquer les bandes ultra-violentes qui terrorisent la population, notamment en arrêtant leurs chefs et « en les présentant à la justice », explique Gérald Darmanin ; et détruire les « bangas », c’est-à-dire les cabanes qui composent les bidonvilles « notamment autour de Mamoudzou » , qui « servent de refuges aux bandes criminelles » . Le gouvernement souhaite « détruire l’écosystème de ces bandes criminelles ». 

Cette opération, qui devrait durer deux mois au minimum, est soutenue par le président des maires de Mayotte, qui déclare dans le Figaro qu’il y a « urgence à assainir la situation et diminuer l’insécurité » , et par les députésde l’île, Mansour Kamardine (LR) et Estelle Youssouffa (Liot). 

À plus long terme, le ministre de l’Intérieur ne cache pas sa volonté de faire évoluer la loi pour « restreindre le droit du sol à Mayotte »  en espérant que cela contribue à tarir l’immigration clandestine. Il souhaite que « pour devenir Français à sa majorité » , un jeune Mahorais puisse justifier que ses deux parents aient été en situation régulière « depuis plus de neuf mois à sa naissance ». « La loi est devenue insuffisante, changeons-la » , demande Gérald Darmanin. 

Craintes des associations

Cette vaste opération suscite aussi des inquiétudes, du côté de la Défenseure des droits, qui a dépêché des observateurs sur place, de la Ligue des droits de l’Homme ou de l’association Droit au logement. La Cimade – association qui vient en aide aux personnes immigrées, clandestines ou non – dénonce un « amalgame entre délinquance, immigration et bidonvilles » , et rappelle que dans les « bangas »  vivent surtout des familles en grande difficulté. La LDH demande dans quelles conditions les personnes dont le logement va être détruit seront relogées – celles, du moins, qui ne seront pas expulsées, puisque le ministère de l’Intérieur compte renvoyer vers les Comores un maximum de clandestins.

Les associations rappellent également que la loi Elan impose un préavis d’un mois avant la destruction d’un habitat « informel », et que cet arrêté doit être assorti d’une proposition de relogement. Il s’agit de l’article 197 de la loi, spécialement rédigé pour Mayotte et la Guyane, qui dispose que « lorsque des locaux ou installations édifiés sans droit ni titre constituent un habitat informel (…) et présentent des risques graves pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publique » , le préfet peut « ordonner de procéder à leur démolition » , sous réserve d’un préavis « qui ne peut être inférieur à un mois ». 

Or à une exception près, aucun préavis de cette sorte n’a été déposé. Les associations craignent que l’État utilise la procédure de « péril imminent »  (habitat menaçant ruine), qui permet de faire procéder à la démolition beaucoup plus rapidement et quasiment sans préavis, ce qui limiterait les possibilités de recours des habitants. 

« Il va de soi que nous relogerons les personnes » , a voulu rassurer Gérald Darmanin, vendredi. La commission nationale consultative des droits de l’homme, enfin, a officiellement demandé au gouvernement de ne pas lancer cette opération, qui risque selon elle « d’aggraver les fractures et les tensions sociales ». 

Autre difficulté à laquelle va se heurter le gouvernement : l’hostilité des Comores à voir revenir les migrants expulsés de Mayotte. Le ministre de l’Intérieur comorien, Fakridine Mahamoud, a indiqué samedi que son gouvernement « n’acceptera pas d’expulsions »  et que son pays « n’entend pas accueillir les expulsés issus de l’opération ». Un refus qui pourrait conduire à une situation inextricable si ces personnes devaient être expulsées de Mayotte sans que leur pays d’origine soit prêt à les laisser pénétrer sur son territoire. 
 

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