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Édition du mardi 23 mai 2023
Transports

Interdiction des liaisons aériennes courtes : le décret est paru mais n'aura aucun effet pour l'instant

Un décret paru ce matin déclenche l'entrée en vigueur de l'interdiction des liaisons aériennes entre deux destinations lorsque le déplacement en train est possible en moins de deux heures trente. Sans portée réelle. Explications. 

Par Franck Lemarc

C’est une des mesures de la loi Climat et résilience du 22 août 2021 qui va entrer en vigueur demain : réclamée de longue date par les écologistes, notamment, cette mesure vise à interdire les déplacements en avion dès lors que la même liaison peut être assurée en train en moins de 2 h 30. Il restait à préciser les conditions d’application de cette nouvelle règle, ce qui vient d’être fait par décret. 

Règlement européen

Tout est parti du règlement européen n° 1008/2008, dont l’article 20 autorise, dans les États membres, une telle mesure : « Lorsqu'il existe des problèmes graves en matière d'environnement, l'État membre responsable peut limiter ou refuser l'exercice des droits de trafic, notamment lorsque d'autres modes de transport fournissent un service satisfaisant. »  Le règlement dispose que ces mesures doivent être non discriminatoires, ne pas provoquer de distorsion de concurrence entre les opérateurs aériens, et ne peuvent être prises pour une durée de plus de trois ans. 

Il aura donc fallu 13 ans pour transcrire ces dispositions dans le droit français, et encore deux années de plus pour prendre les textes d’application. 

À l’article 145 de la loi dite Climat et résilience, il est en effet inscrit que « sont interdits (…) les services réguliers de transport aérien public de passagers concernant toutes les liaisons aériennes à l'intérieur du territoire français dont le trajet est également assuré sur le réseau ferré national sans correspondance et par plusieurs liaisons quotidiennes d'une durée inférieure à deux heures trente ». La loi prévoyait qu’un décret précise les conditions d’application de la mesure, notamment « les caractéristiques des liaisons ferroviaires concernées », et les éventuelles possibilités de dérogation. 

Notons que la loi imposait une entrée en vigueur de cette mesure « le dernier dimanche de mars de l’année suivant la promulgation de la loi », soit le 27 mars 2022. Cette disposition n’a pas été respectée : un simple coup d’œil sur internet permet de trouver très facilement un avion Paris-Lyon ou Paris-Nantes, alors que ces liaisons sont possibles en TGV en 2 heures. Mais comme on va le voir, même après l’entrée en vigueur du décret, cela sera toujours possible. 

Dérogations

Ce retard dans l’application de la loi s’explique par la difficulté à rédiger le décret d’application. Un premier projet de décret, dès 2021, a en effet été refusé par la Commission européenne, ce qui a obligé le gouvernement a revoir sa copie, retardant la mise en œuvre du dispositif. 

L’application de ces dispositions est compliquée, pour plusieurs raisons. D’abord, la volonté du législateur était de faire en sorte que la mesure n’ait pas trop d’impact sur les passagers effectuant des correspondances, ce qui pourrait avoir un effet contre-productif en matière d’émissions de gaz à effet de serre : si le fait de rejoindre l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle pour se rendre outre-mer, par exemple, est trop compliqué, un voyageur pourrait choisir de se rendre en avion dans un aéroport étranger pour y attraper un vol vers sa destination finale. Le bilan en matière d’émissions serait alors négatif. 

Le décret a donc fixé plusieurs obligations restrictives en plus des « deux heures trente »  prévues par la loi. D’abord, « le trajet doit s’effectuer entre des gares desservant les mêmes villes que les aéroports concernés ». La liaison ferroviaire doit être directe, « plusieurs fois par jour et avec un service satisfaisant », et elle doit permettre « plus de 8 heures de présence sur place dans la journée tout au long de l’année ». 

Au moment de la consultation du projet de décret, le gouvernement a également indiqué que « s’agissant de la volonté du législateur de ne pas pénaliser les voyageurs effectuant des correspondances, la caractérisation du temps de trajet ferroviaire tient compte de la spécificité du développement d’infrastructures intermodales spécifiques dans certains aéroports : lorsqu’un aéroport bénéficie d’une gare ferroviaire à vocation intermodale située sur son emprise, la liaison ferroviaire prise en considération comme alternative à la liaison ferroviaire est cette gare aéroportuaire ».

Portée plus que limitée

Au final, ces restrictions font que peu de lignes aériennes vont être concernées par cette interdiction... voire aucune. Certes, les liaisons Paris-Bordeaux, Paris-Lyon et Paris-Nantes au départ d’Orly sont désormais officiellement interdites, mais cela n’aura aucun effet puisqu’elles n’existent plus depuis 2021. En revanche, ces mêmes liaisons restent autorisées… au départ de Charles-de-Gaulle. En effet, si un TGV au départ d’une gare parisienne met moins de 2 h 30 pour rejoindre Nantes, il met en revanche 3 heures en partant de la gare TGV de Charles-de-Gaulle. 

Les liaisons entre Paris-Charles-de-Gaulle et Rennes et Lyon, ainsi que la liaison Lyon-Marseille, sont également exclues de l’interdiction, même si elles peuvent être effectuées en train en moins de 2 h 30. Cette fois, c’est parce que les trajets ferroviaires considérés ne commencent pas suffisamment tôt ou suffisamment tard pour permettre, comme le veut le décret, une présence de 8 h sur place dans la même journée. 

Il reste à espérer que, comme le souhaite le gouvernement, l’offre ferroviaire se développe suffisamment pour que davantage de liaisons entrent dans le champ d’application de la loi, ce qui permettra « des interdictions aériennes plus larges ». 

Au fur et à mesure de l’évolution de l’offre, la liste des liaisons interdites sera actualisée – deux fois par an – et publiée sur le site du ministère de la Transition écologique. 

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