Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du vendredi 24 janvier 2025
Transports

Financement des routes : les collectivités gestionnaires plaident pour une redistribution des recettes

Les premières Assises de la route viennent de se tenir à Paris, à l'initiative de Départements de France. Avec l'AMF, l'association d'élus alerte sur l'urgence d'un financement pérenne du réseau routier, dont ils ont la charge à 98 % – sans disposer des recettes générées. Une conférence nationale sur le financement des mobilités, incluant les infrastructures, est annoncée pour avril ou mai prochain.

Par Caroline Reinhart

Alors que les concessions autoroutières arrivent à leur terme à partir de 2031, que l’effet ciseau dans les budgets locaux est de plus en plus préoccupant, et que le dérèglement climatique alourdit encore la facture, repenser le modèle économique de la route est une urgence impérative.

C’est dans ce contexte que les premières Assises de la route se sont tenues au siège de la Banque Postale ce 22 janvier. Initialement prévu en juin dernier, puis reporté pour cause de dissolution, cet évènement a remis sur la table des discussions le coût exorbitant de l’entretien et de l’adaptation du réseau routier national pour les collectivités gestionnaires. Avec pour objectif de trouver un modèle économique permettant un financement pérenne des infrastructures routières et des ouvrages d’art (ponts, murs de soutènement).

Refaire de la route une priorité 

Assurant plus de 80 % des déplacements des personnes et des biens – une part modale qu’aucune autre mobilité n’a vraiment bousculée –, la route n’est pourtant plus une priorité de l’État, alors qu’elle génère plus de 40 milliards d’euros de revenus. Un gâteau que se partagent l’État (TICPE, taxe à l’essieu…), la Sécurité sociale (taxes sur les assurances), les régions (cartes grises, taxes sur les permis de conduire) et les concessionnaires d’autoroute (péages), en laissant quelques miettes aux départements et au bloc communal (amendes, crédits des contrats de plan État-région et du plan vélo). Ce sont pourtant ces collectivités qui gèrent 98 % du réseau national d’un million de kilomètres (378 693 km par les départements, 704 211 km par le bloc communal). 

Président de Départements de France, François Sauvadet – également président de la Côte-d’Or – a donné le ton dès l’introduction, s’adressant au ministre délégué aux Transports, Philippe Tabarot, finalement présent : « Ce dont nous avons besoin, c’est de direction, de sens, de confiance. Nous retrouverons ce chemin dans l’action. »  L’heure est donc à la prospective et aux mains tendues, malgré un pronostic vital engagé dès 2025 pour certains départements.

« Dans un contexte financier inédit, entre déficit abyssal, explosion des dépenses sociales et chute des recettes, la route reste un vecteur majeur du développement économique. Son modèle de financement doit être réinterrogé pour que la route paie la route », a-t-il appuyé. En effet, « le système est profondément injuste : il ne bénéficie qu’à l’État, aux régions et aux concessionnaires d’autoroute, qui ne représentent que 1 % du réseau routier (…). Pour autant, nous ne voulons pas de taxes nouvelles. Nous demandons qu’une part des prélèvements déjà institués nous soit reversée pour assurer la pérennité de nos routes ». 

En réponse à ces vœux, le ministre a dit souscrire à « l’ensemble des propos »  de François Sauvadet : « Arrêtons d’opposer les différents types de mobilités, leur complémentarité est indispensable. La route est un patrimoine, et c’est le mode de transport le plus largement majoritaire. 82 % des déplacements se font en voiture particulière, et 89 % du transport de marchandises passe par la route. »  Le ministre a pu confirmer la tenue au printemps (en avril ou mai) d’une conférence nationale sur le financement des mobilités – comme l’avait dit le Premier ministre François Bayrou dans sa déclaration de politique générale du 14 janvier. 

Redéfinir un système plus juste et cohérent

L’affectation des recettes de la route aux collectivités gestionnaires – au prorata du réseau géré – est aussi défendue par l’AMF, représentée lors des débats par Sylvain Laval, maire de Saint-Martin-le-Vinoux, co-président de la commission transports et mobilités de l’association. Mais la multiplicité des acteurs, notamment depuis les lois LOM et 3DS, peut être un frein à l’action. « Les collectivités ne peuvent pas assumer seules la charge de l’entretien des routes. Nous sommes de plus en plus contraints de prioriser nos interventions, de plus en plus lourdes et moins fréquentes. Pour les ouvrages d’art, nous limitons le tonnage en priorité. Les arbitrages sont complexes… Une collaboration entre tous les acteurs est donc indispensable. »  Mais la loi 3DS, en transférant aux collectivités une partie du réseau routier national, « a plus complexifié que simplifié ». Résultat, « un saucissonnage des axes ».

Même appel au bon sens chez Claude Riboulet, président de l’Allier et de l’Institut des routes, des rues et des infrastructures pour la mobilité (Idrrim) : « Au moment où l’argent public va se faire de plus en plus rare, et où l’on doit se positionner sur la route du futur avec une multiplicité d’acteurs, il faut changer de méthode et arrêter de travailler en silo ! ». Sans compter que l’inaction a un coût : « Un euro non investi aujourd’hui, c’est entre 6 à 8 euros dans 30 ans », a rappelé le directeur général du Cerema, Pascal Berteau. 

À l’initiative de ces assises, François Durovray, président de l’Essonne et ancien ministre des Transports, a par ailleurs rappelé qu’un changement de modèle était inévitable dans le contexte actuel : « Outre la question du changement climatique, les recettes de la route vont évoluer rapidement : la TICPE est assise sur les énergies fossiles, l’État risque de perdre 30 milliards de recettes. Tout le monde a intérêt à inventer un nouveau modèle. Il faut créer du consensus avec les collectivités, au sein de l’État, et trouver un langage commun pour que les recettes de la mobilité restent à la mobilité. » 

Revoir le modèle des concessions d’autoroutes

Autre piste de financement du réseau, les autoroutes. Les concessions arrivant à échéance entre 2031 et 2036, l’opportunité est à saisir pour revoir les modalités de répartition des gains générés (12,5 milliards d’euros de recettes annuelles). Auteur d’un rapport « sur la préparation de l'échéance des contrats de concessions autoroutières »  rendu public le 23 octobre dernier, le sénateur de l’Eure, Hervé Maurey, est venu rappeler quelques-unes de ses préconisations sur le sujet. « Il faut revoir le modèle concessif en prévoyant de nouvelles clauses. Mais il ne faut pas remettre en cause le péage. Il s’agit donc de définir les besoins pour la concession, et d’affecter le reste à une structure type AFITF (Agence de financement des infrastructures de transport de France), et de trouver les clés de répartition », a-t-il proposé.

Pour Yves Crozet, économiste des transports et professeur émérite à Sciences-Po Lyon, « il est essentiel de promouvoir un principe d’affectation aux transports d’une partie des recettes des transports dans une logique de bien commun. C’est une condition de l’acceptabilité par les citoyens ».

Sur la fin prochaine des concessions d’autoroute, Yves Crozet a également mis en garde l’ensemble des acteurs présents : « Il faut absolument éviter la gratuité des autoroutes. »  Alain Grizaud, président de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), plaide aussi pour le maintien des barrières aux péages. Mais pas des règles de déficit public définies par Maastricht, afin de préserver l’investissement local et ainsi, la santé des entreprises. « Toutes les dépenses ne se valent pas », a-t-il appuyé. Tout comme les taxes pour financer la route, plus ou moins explosives…
 

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