Développement des transports : un modèle de financement qui ne suffira pas face au « mur de dépenses »
Par Franck Lemarc

La décarbonation des transports va mettre les collectivités locales face à un « mur de dépenses » que le modèle actuel de financement « ne permet pas de couvrir ». C’est la principale conclusion d’une étude d’une vingtaine de pages publiée hier par l’Agence France locale (la banque des collectivités) et l’Inet, en collaboration avec l’institut I4CE et le Cerema.
Développement hétérogène
La première partie de l’étude fait le point sur la situation actuelle, celle d’une « dépendance aux mobilités carbonées » et d’une mobilité « dominée par la route et l’autosolisme ». De profondes « inégalités territoriales » existent dans ce domaine, et sont bien connues : 86 % des ménages ruraux n’ont « pas d’alternative » à la voiture pour se déplacer, et « plus de la moitié des habitants des zones rurales doivent parcourir plus de 3 km pour des services de base, tandis qu’en ville, 90 % des résidents se trouvent à moins de 600 m d'un commerce ».
Cette « dépendance aux mobilités carbonées » est évidemment en contradiction avec les objectifs affichés par l’exécutif de voir le pays atteindre la neutralité carbone en 2050. Ne serait-ce que pour atteindre les objectifs de décarbonation de 2030, il faudrait augmenter l’offre de transports collectifs de 20 à 25 %, notent les auteurs de l’étude, ce qui représenterait une facture, pour les collectivités, qui se chiffre en dizaines de milliards d’euros. Il est donc nécessaire, poursuivent-ils, « de rééquilibrer les investissements, en faisant des transports collectifs et infrastructures de mobilité active une priorité, y compris dans les zones rurales ».
L’étude met également l’accent sur la nécessité d’établir une politique appuyée sur des critères « d’acceptabilité sociale » plutôt que « d’exclusion » : le très large rejet populaire des ZFE (zones à faibles émissions) est un bon exemple, en la matière, d’une politique certes vertueuse sur le plan écologique mais ressentie comme « anti-pauvres ».
Dans ce contexte, les auteurs de l’étude constatent que le développement d’une offre alternative à la voiture individuelle « progresse » indéniablement, mais de façon hétérogène, et sans que les grands équilibres soient modifiés en termes de part modale depuis trente ans. Si des « poches », où la mobilité durable se développe réellement, existent bien, comme l’usage du vélo dans les grandes villes, le vélo reste par exemple marginal à l’échelle nationale et la voiture reste le mode de déplacement principal, pour une raison simple : « Tant que la voiture reste nécessaire pour une activité jugée essentielle, les individus n’y renonceront pas ».
Modèle « sous tension »
Pour l’AFL et l’Inet, le modèle de financement de la mobilité est « sous tension » , pour ne pas dire à bout de souffle, tant les investissements à prévoir sont colossaux. Un chiffre résume la situation : aujourd’hui, les collectivités (autorités organisatrices de la mobilité) dépensent, globalement, quelque 36 milliards d’euros par an pour financer les mobilités (infrastructures, matériels, dépenses de fonctionnement, aides à la mobilité, etc.). D’ici à 2030, pour respecter les objectifs de décarbonation, le besoin de financement supplémentaire s’élèverait à 100 milliards d’euros, dont 30 milliards en investissement et 25 milliards en fonctionnement pour les AOM hors Île-de-France.
Et ce, sans compter les dépenses qui seront nécessaires pour adapter les infrastructures au changement climatique (« vagues de chaleur, inondations, tempêtes et gels intenses imposeront un entretien plus fréquent et créeront des perturbations pour les exploitants de matériel roulant » ).
Dans ce contexte, le modèle de financement actuel est jugé « insuffisant ». Pour rappel, ce modèle repose traditionnellement sur « un triptyque » : la fiscalité, au travers notamment du versement mobilité, les subventions (État, Europe, régions…) et les recettes de billetterie.
Le volet fiscalité représente un produit d’environ 11 milliards d’euros, à part égale entre Île-de-France et le reste du pays. La loi de finances pour 2025 a instauré une part de versement mobilité pour les régions, mais plusieurs d’entre elles ont fait le choix de ne pas l’appliquer, pour ne pas pénaliser les entreprises. Les autres ressources fiscales, dont la TICPE, sont structurellement en baisse. Conclusion : « Le panier fiscal des collectivités, insuffisant pour financer le choc d'offre, ne couvrira pas le mur d'investissement, malgré la hausse de la TVA due à l'inflation ».
Les recettes de billetterie ne représentent qu’une part marginale dans le modèle de financement (autour de 17 % des dépenses des AOM). Elles sont cependant extrêmement variables en fonction des « choix politiques » de la collectivité, pouvant même être égales à zéro dans celles qui ont fait le choix de la gratuité. Il y a, dans ce domaine, un effet évident de cercle vicieux, noté par les auteurs de l’étude : l’augmentation des prix des billets peut apporter une ressource supplémentaire à l’AOM, mais elle est, en même temps, un frein à l’usage des transports en commun.
L’expression de « mur de dépenses » n’est donc pas exagérée : les collectivités vont devoir augmenter l’offre – ce qui entraînera une hausse proportionnelle des coûts de fonctionnement – mais également « verdir » les flottes, planifier l’électrification de celles-ci, investir dans des infrastructures cyclables…
Nouvelles sources de financement
Il va donc falloir « réinventer le financement des mobilités », jugent l’AFL et l’Inet. Cette politique doit passer, selon eux, par « une réforme différenciée des ressources fiscales et tarifaires ». Parmi les propositions des auteurs de l’étude, l’instauration d’une « assiette universelle » du versement mobilité (VM), qui pourrait « être élargie au territoire régional dans une optique de péréquation », et un élargissement des contributeurs : alors que seules les entreprises de plus de 11 salariés payent le VM aujourd’hui, l’étude suggère par exemple de l’élargir aux hôtes de plateformes de location type Airbnb. Il serait également possible de « flécher » vers les AOM un certain nombre de taxes comme la taxe additionnelle à la taxe de séjour, les plus-values foncières liées à l’implantation d’une offre de transport, les taxes sur les billets d’avion… Plus polémique, l’étude propose également de réfléchir à l’introduction de péages urbains « pour inciter les usagers à privilégier les modes de transport durable ».
Au-delà des mesures strictement financières, l’étude propose tout un panel de solutions pour « optimiser » les investissements en « maîtrisant les charges fixes », en renforçant la mutualisation et l’usage du numérique, mais aussi en travaillant sur l’offre elle-même – on sait par exemple que l’augmentation de la vitesse de circulation des transports collectifs est un levier essentiel de la fréquentation.
Enfin, ce qui ne semble pas surprenant dans une étude co-réalisée avec l’AFL, l’étude prône « un recours optimisé à l’emprunt », « solution indispensable pour parachever le panier de ressources à la disposition des collectivités ».
De façon étonnante, l’étude n’aborde quasiment pas la question du soutien de l’État, pourtant indispensable à la réalisation de grands projets d’investissement. Peut-être les auteurs ont-ils déjà intégré le fait qu’en période de disette budgétaire, il n’y a sans doute, hélas, pas grand-chose à espérer de ce côté-là. Mais il faut tout de même rappeler que les grandes étapes récentes du développement des transports collectivités, par exemple le grand retour du tramway dans les années 1990 et 2000, s’est fait grâce à de très ambitieux appels à projets financés par l’État.
L’étude ne met pas non plus l’accent ce qui sera, forcément, l’un des grands enjeux des années à venir : la contradiction flagrante entre les besoins colossaux de financement des collectivités, en investissement et en financement, pour développer les transports collectifs ; et les injonctions permanentes de l’État à « dépenser moins ».
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