Casernes de gendarmerie : des difficultés financières qui ralentissent l'atteinte des objectifs
Par Franck Lemarc

C’était il y a tout juste deux ans : Emmanuel Macron, en déplacement dans le Lot-et-Garonne, annonçait la création de 239 brigades de gendarmerie avant 2027 en zones rurales ou périurbaine, avec l’objectif de doubler la présence des forces de l’ordre dans ces territoires. Il annonçait donc « 3 500 gendarmes en plus dans les années qui viennent », dans 93 brigades fixes et 145 mobiles. Ces objectifs étaient prévus par la Lopmi (loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur) parue quelques mois plus tôt.
1 145 ETP manquants
Deux ans plus tard, la réalité est hélas tout autre, les restrictions budgétaires étant passées par là. Lors d’une audition devant la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, la semaine dernière, le général Hubert Bonneau, directeur général de la gendarmerie nationale, a déploré que l’année 2025 ait été une année blanche en termes de création de brigades – 58 devaient être créées. L’an prochain, les crédits prévus devraient permettre l’embauche de « 400 équivalents temps plein » (ETP)… mais il en faudrait « 464 pour faire les 58 brigades supplémentaires » . Et, à un an de l’échéance de 2027, « il manquera encore 1 145 ETP » pour atteindre l’objectif de 239 brigades prévues. Autant dire que l’objectif ne sera pas tenu.
Hubert Bonneau a dressé un tableau inquiétant, se disant « contraint par le budget », y compris sur le sujet de la réserve : il manque « 150 ou 160 millions d’euros » pour « continuer la marche en avant vers les 50 000 réservistes » prévus par la Lopmi – ils sont aujourd’hui 39 000 et « il faut pratiquement un an d’attente pour entrer dans la réserve gendarmerie » .
Un modèle locatif non supportable
La question de l’immobilier de la gendarmerie est évidemment revenue sur la table à l’occasion de cette audition. Rappelons que l’année dernière, faute de budget suffisant, le ministère de l’Intérieur avait tout simplement suspendu le paiement des loyers aux communes qui louent des bâtiments aux gendarmes (lire Maire info du 9 octobre 2024). Depuis, les loyers en retard ont été payés, le ministère de l’Intérieur ayant débloqué une ligne de crédits spéciale à la fin de l’année 2024 pour apurer les dettes.
Mais le problème reste entier : comme le relevait un rapport du Sénat, l’an dernier, le désengagement de l’État dans le parc de casernes de gendarmerie a eu des conséquences néfastes (lire Maire info du 18 juillet 2024). Aujourd’hui, seulement 649 casernes appartiennent encore à l’État (c’est ce que l’on appelle le parc domanial) tandis que plus de 3 000 autres sont louées, ou à des collectivités ou à des bailleurs. Un choix fustigé par Hubert Bonneau, qui a dit devant les sénateurs considérer « le retour en immobilier domanial comme une absolue nécessité », rappelant que « une caserne domaniale coûte deux fois moins cher en exploitation qu'une caserne locative » . Alors que les besoins sont criants et que certaines casernes sont dans un état indigne, la gendarmerie est obligée aujourd’hui de consacrer plus de 60 % de son budget immobilier au paiement de loyers, au détriment d’investissements pourtant indispensables. Hubert Bonneau a été très clair : « Notre modèle sur le locatif est-il supportable ? Je n'ai pas l'argent pour cela. »
Dans le rapport sénatorial de l’an dernier, il était recommandé de faire appel à « des montages financiers innovants » pour développer l’immobilier de la gendarmerie. Il est question ici d’une opération dite AOT/LOA (autorisation d’occupation temporaire/location avec option d’achat) : en résumé, une collectivité trouve un terrain et autorise la gendarmerie à l’occuper, et la caserne est construite par un bailleur auquel la gendarmerie paye un loyer ; à l’issue d’une période définie, la caserne devient propriété de l’État.
Hubert Bonneau a évoqué un système approchant lors de son audition : « Il faudrait que nous puissions démarcher les collectivités pour contracter dans le cadre d’un emprunt à taux fixe, à l'issue duquel la brigade reviendrait en domanialité à la gendarmerie. »
« Décret LOA »
Un décret est en préparation pour permettre ce type de montage, et pourrait entrer en vigueur « avant l’été 2026 », a détaillé devant la commission François Desmadryl, directeur des soutiens et des finances à la direction générale de la gendarmerie nationale. Ce « décret LOA » permettrait de « changer de logique », a-t-il poursuivi, en instaurant un principe de « redevance transparente : il deviendrait possible de « discuter avec les collectivités locales sur la réalité de leurs coûts, et compenser ces coûts avec les frais de gestion correspondants. Les collectivités nous ouvrent en quelque sorte leurs comptes, et nous payons le juste prix en échange. » Ce système serait, selon François Desmadryl, aussi intéressant pour l’État – puisque les casernes reviendraient dans le domanial à l’issue du contrat – que pour les collectivités, « qui n’auraient plus à se demander si leurs frais seront couverts par le plafond ».
Cette idée n’a pas séduit tous les sénateurs présents. Elle a fait « sursauter » Jean-Pierre Grand (Les Indépendants, Hérault), qui ne voit pas comment « les communes mettraient la main à la poche pour construire des brigades » dans une période de très fort resserrement de leurs ressources.
Hubert Bonneau a répondu assez sèchement que « si une collectivité ne veut pas installer une gendarmerie, c’est son choix. S’il n’y a ni brigade ni terrain, nous n’y allons pas. » Jean-Marc Vayssouze-Faure (PS, Lot), s’est étonné de cette déclaration : « je ne peux pas vous suivre lorsque vous indiquez que ce serait aux élus de décider s'ils veulent une brigade. Je rappelle qu'il s'agit d'une compétence régalienne. Les communes ont déjà beaucoup à faire, et toutes n'ont pas les mêmes capacités financières. Surtout, je trouve que c'est une logique dangereuse : imaginez que l'on demande aux communes de mettre la main à la poche chaque fois que l'État veut implanter un service public, par exemple un hôpital, sur le territoire concerné. » Réponse du DGGN : « Certes. Mais il est difficile d'exercer une compétence régalienne sans budget. En l'occurrence, je ne peux tout simplement pas acheter de terrains. »
Ces questions, parmi bien d’autres – et en particulier les dispositifs mis en place par la gendarmerie pour soutenir les élus face aux violences ou encore la cybersécurité – seront certainement abordées au congrès de l’AMF, dans 15 jours, notamment lors du débat qui aura lieu en ouverture du congrès, mardi 18 novembre à 10 heures, sur « la place du maire dans la sécurité ».
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