Statut de l'élu : le Sénat adopte à l'unanimité un texte amélioré
Par Franck Lemarc

Françoise Gatel, ministre de la Décentralisation et de l’Aménagement du territoire, a fait part d’une « certaine émotion » , hier soir, au moment de l’adoption de la proposition de loi sur le statut de l’élu – dont elle a été co-auteure lorsqu’elle était sénatrice. « Dans nos vies d'élus, nous vivons des moments d'exception, des moments où l'on a fait progresser les choses. Cette proposition de loi transpartisane, ce travail issu de la délégation aux collectivités territoriales et de nombreuses commissions, malgré les turbulences, n'est ni plus ni moins que la capacité à mettre en oeuvre une promesse républicaine : chaque citoyen qui veut s'engager doit pouvoir le faire. » Un peu avant, les sénateurs des différents groupes avaient, l’un après l’autre, salué les avancées et les évolutions obtenues lors des débats. Pierre-Alain Roiron, par exemple, se félicitait que le Sénat ait « heureusement renoncé au serment républicain » et, sur la question des conflits d’intérêts, adopté un dispositif « équilibré et protecteur ».
Nouveau dispositif
Le principal point d’achoppement qui subsistait était donc la question des conflits d’intérêts (articles 18 et 18 A du texte). La commission des lois du Sénat avait, en effet, adopté un dispositif jugé par l’AMF moins sécurisant que celui adopté à l’Assemblée nationale. La commission avait notamment supprimé une disposition étendant la présomption d’absence de conflit d’intérêt aux hypothèses où un élu est désigné sans se référer expressément au cas dans lesquels cette désignation résulte de la loi.
Après beaucoup de négociations et de débats, dans les heures qui ont précédé l’examen en séance, un compromis a été trouvé sur une rédaction plus satisfaisante et sécurisante.
Plusieurs amendements aux articles 18 et 18 A ont été adoptés, dont plusieurs ont été proposés par la rapporteure Jaqueline Eustache-Brinio. Comme l’a expliqué la présidente de la commission des lois, Muriel Jourda, le dispositif proposé couvre plusieurs situations : premièrement, un élu membre de deux collectivités ou d’une collectivité et d’un groupement. « Quand la première collectivité se prononcera sur une affaire intéressant la seconde, le seul fait que l'élu siège aux deux n'entachera pas - en soi - d'illégalité la délibération. Il n'y aura donc ni conflit d'intérêts ni prise illégale d'intérêts. » Deuxième situation : l’élu est membre d’une collectivité et d’un « organisme public ou privé » et ne touche « ni rémunération ni avantage particulier » . Dans ce cas, « sa participation à une délibération de la première collectivité concernant la seconde structure ne sera pas considérée comme illégale de ce seul fait. Il n'y aura donc pas d'obligation de déport ni de risque de prise illégale d'intérêts. » Seule exception : la loi prévoirait un déport si une des structures est candidate à un marché public de l’autre.
Enfin, si l’élu siège dans une collectivité et un organisme mais qu’il touche une rémunération, « le droit commun s’applique » , a expliqué la présidente. Celle-ci a également clairement précisé : « Si l'intérêt poursuivi dans les deux structures est public, il n'y aura pas de prise illégale ou de conflit d'intérêts. Et si l'élu ne peut faire autrement pour répondre à un motif impérieux d'intérêt général, il sera exonéré de responsabilité pénale. »
Ces nouvelles dispositions ont convaincu la grande majorité des sénateurs, qui ont ou modifié ou retiré leurs amendements pour les rendre conformes à celles-ci.
A noter que les modifications apportées à l’article 432-12 du code pénal contribuent à mieux définir le délit de prise illégale d’intérêt : la notion d’intentionnalité est introduite dans la définition du délit, qui doit être commis « en connaissance de cause », un intérêt public ne peut constituer un intérêt au sens de l’article 432-12. Enfin, l’emploi du terme « altérant » pour qualifier l’intérêt de nature à mettre en cause l’impartialité, l’indépendance ou l’objectivité du décideur public, implique que l’atteinte portée soit réellement constituée.
Précisions nécessaires
Un débat a tout de même eu lieu, en séance, sur la notion de « rémunération ou avantage particulier » et son périmètre. Les indemnités entrent-elles dans ce champ ? Et les remboursements de frais ? Dans ce cas, a demandé le sénateur Vial, « dès qu’un élu se fera rembourser ses frais de déplacement, il sera considéré comme ayant reçu un avantage particulier » …. Et ne pourra plus participer aux délibérations ?
D’autres sénateurs, bien qu’ayant décidé de voter ces dispositions, les ont jugées par trop imprécises. « Je ne voudrais pas que les élus soient tributaires d’une casuistique jurisprudentielle, a par exemple redouté Marie-Do Aeschlimann. Pourquoi ne définissons-nous pas nous-mêmes cette notion [d’avantage particulier] pour éclairer les juges ? ».
Quoi qu’il en soit, les sénateurs sont tombés d’accord pour adopter un dispositif qui, de l’avis général, est meilleur que celui qui avait été adopté en commission. Mais il faudra beaucoup d’explications et de pédagogie pour comprendre et faire comprendre ce passage du texte, qui, comme l’a dit Françoise Gatel par euphémisme, « requiert une expertise très fine ».
Vote conforme ?
Cette proposition de loi va évidemment bien au-delà de la seule question des conflits d’intérêts. Maire info reviendra, dans une prochaine édition, sur l’ensemble des dispositions modifiées par les sénateurs. Du côté de l'AMF, ce texte est considéré comme équilibré et apportant des réponses aux inquiétudes qui avaient été exprimées.
Maintenant, le texte va retourner à l’Assemblée nationale, et les associations d’élus caressent l’espoir d’un vote « conforme », qui serait synonyme d’adoption définitive et rapide, alors que les élections municipales approchent. Tous les sénateurs n’y croient pas, l’un d’entre eux ayant déjà, hier, évoqué une CMP qu’il espère « conclusive ». Mais l’essentiel est que ce texte avance quelles que soient les modalités de son adoption.
Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2
Après avoir augmenté la DGF, la commission rejette la partie « recettes » du budget 2026Â
AESH : des ambitions à la baisse et des inquiétudes pour l'avenir
Enfance : le recours à l'attestation d'honorabilité généralisé mais strictement encadré
Outre-mer : le projet de loi contre la « vie chère » adopté en commission au Sénat








