Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mercredi 22 octobre 2025
Statut de l'élu

Statut de l'élu au Sénat : intenses débats et avancées sur les points d'attention soulevés par l'AMF

Près de 90 % des présidents d'associations départementales de maires ont signé ce week-end, en quelques heures, une tribune où ils demandaient aux sénateurs de revenir sur les décisions prises en commission de lois sur la proposition de loi statut de l'élu. Lors des premiers débats en séance, hier, ils ont été entendus.

Par Franck Lemarc

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© Sénat

C’est une démarche rare : lundi, l’AMF a publié une tribune intitulée : « Sénateurs, ne revenez pas en arrière ! ». Elle est signée des principaux dirigeants de l’association (David Lisnard, André Laignel et Murielle Fabre), mais aussi de 90 % des présidents d’associations départementales (AD) et de nombreux vice-présidents de l’association (Philippe Laurent, Florence Portelli, Éricka Bareights, Patrick Molinoz…). 

Conflits d’intérêts « public-public » 

Cette tribune exprimait l’inquiétude des élus face au texte issu de la commission des lois la semaine dernière sur la proposition de loi portant statut de l’élu (lire Maire info du vendredi 17 octobre). Alors que le Sénat est réputé être la Chambre des territoires, et donc, en théorie, la plus à l’écoute des élus locaux, l’AMF ne s’attendait visiblement pas à ce que les reculs viennent de là, quand l’Assemblée nationale, en juillet, a adopté un texte plutôt satisfaisant pour les maires. 

Pas parfait, évidemment : comme le disent les signataires de la tribune, « ce texte n’a jamais prétendu régler tous les problèmes », mais seulement « apporter une amélioration des conditions d’exercice des mandats locaux », dans une période où « chaque mois en moyenne 40 maires démissionnent »  et où chacun redoute « une crise des vocations »  pour les prochaines élections municipales. 

L’un des éléments importants de ce texte concerne la « sécurisation »  des maires, « de plus en plus exposés à des recours pour ‘’prise illégale d’intérêts’’ », que les auteurs de la tribune dénoncent comme « une notion fourre-tout dont le périmètre n’est pas clairement établi », et qui conduit à « sanctionner des élus qui n’ont eu aucune intention de mêler les intérêts ». 

Si la commission avait acté qu’un intérêt public ne peut constituer un intérêt au sens de l’article 432-12 du Code pénal, elle avait supprimé une disposition de l’article 1111-6 du CGCT étendant la présomption d’absence de conflit d’intérêt  aux hypothèses où un élu est désigné sans se référer expressément au cas dans lesquels cette désignation résulte de la loi. 

L’AMF et ses présidents d’AD disaient, dans la tribune, espérer que le texte évoluerait en séance publique pour rendre plus lisible les dispositions applicables 

« Dignité humaine » 

Autre point qui a suscité la stupéfaction des maires : l’obligation, introduite elle aussi en commission des lois, de s’engager publiquement à respecter « les principes de liberté, d’égalité, de fraternité, de laïcité et de dignité de la personne humaine et des lois de la République ». Cette procédure « jetait le discrédit sur tous ceux qui s’engagent localement », juge l’AMF, qui note, au passage, que les maires et présidents d’intercommunalité seraient les seuls à devoir prendre un tel engagement qui était, en lui-même, « accusatoire ». 

Amendements de suppression

Les arguments de l’association ont été entendus par de nombreux sénateurs, de tous les bancs, qui ont déposé des amendements sur les deux points les plus vivement critiqués par l’association. La commission des lois et le gouvernement ont également souhaité favoriser un dialogue autour de cette question. 

Hier, les sénateurs ont pu traiter de la question du fameux « engagement »  à respecter « les lois de République »  et « la dignité de la personne humaine », à l’article 5 bis du texte – évoqué dès la discussion générale par le sénateur socialiste Christophe Chaillou, qui a dit son « incompréhension »  sur l’introduction de cet engagement en commission des lois. « Certes, sur 35 000 personnes, il peut y avoir des brebis galeuses, a insisté la sénatrice communiste Cécile Cukierman. Mais qui peut penser que les maires ne respectent pas les valeurs républicaines ? Ils les incarnent ! ».

Lorsque l’article 5 bis est arrivé en discussions, les débats ont été assez tendus. Plusieurs sénateurs ont tiré à boulets rouges sur ce dispositif adopté en commission, jugé, selon les cas, « injuste et condescendant », « au mieux infantilisant, au pire humiliant », « disproportionné », « suspicieux » … Certes, certains sénateurs, dont la rapporteure du texte Jaqueline Eustache-Brino, ont fermement désapprouvé le fait que l’AMF ait publié une tribune sur ce sujet, disant « ne pas supporter ceux qui font du buzz sur un sujet aussi grave »  et qualifiant notamment la mention d’un « serment »  de « pur mensonge » : « Un tel serment n’a jamais existé ». D’autre sénateurs ont également accusé l’AMF « d’attiser les tensions » … ce qui est tout de même surprenant, car ce n’est pas l’AMF qui a introduit dans ce texte des dispositions qui ont fait bondir 90 % des présidents d’associations départementales. 

Quoi qu’il en soit, la rapporteure elle-même a proposé un amendement supprimant l’expression de respect de la « dignité de la personne humaine »  et « d’engagement public »  à respecter les valeurs de la République – ce qui, il faut bien le reconnaître, s’apparente bien tout de même à une forme de « serment ». 

Cet amendement a été largement adopté.

Reste la question de la prise illégale d’intérêts (article 18 bis), qui sera examinée aujourd’hui. La rapporteure du texte a répété, dès le début de la discussion générale, que le dispositif adopté par les députés était « porteur d’effets pervers »  et qu’il fallait le « sécuriser juridiquement ». Elle s’est cependant engagée à adopter des amendements pour « tenir compte des préoccupations »  des associations d’élus.

Indemnités : demande de « souplesse » 

Il faut également noter que l’AMF a obtenu satisfaction, hier, sur ses propositions concernant les indemnités des adjoints, au conseil municipal, et des vice-présidents, dans les conseils communautaires (article 2). La commission des lois du Sénat avait en effet proposé de fixer, de droit, les indemnités des adjoints et des vice-présidents au maximum légal. Fausse bonne idée, pour l’AMF : l’enveloppe indemnitaire étant plafonnée, mettre tous les adjoints ou vice-présidents au plafond signifie ne plus rien pouvoir garder pour, éventuellement, indemniser les conseillers délégués ou les vice-présidents supplémentaires, sauf à supposer que le maire ou le président endossent, seuls, la responsabilité de s’opposer à cette indemnisation plafond des adjoints ou des vice-présidents au risque de créer d’emblée, des tensions avec son exécutif. L’AMF demandait qu’une « souplesse »  soit laissée aux conseils municipaux et aux conseils communautaires à ce sujet. Plusieurs sénateurs ont défendu cette idée, qui a également reçu le soutien de la ministre Françoise Gatel : « Le gouvernement fait confiance aux équipes municipales pour décider de leur organisation. ». La ministre a donc soutenu les amendements « préservant la liberté d’appréciation »  des élus, qui ont été adoptés.

L’octroi de trimestres supplémentaires de retraites aux élus locaux  

Fruit d’un compromis, dans un contexte de disette budgétaire, l'octroi de trimestres supplémentaires de retraites aux élus locaux a été revu à la baisse pour permettre un accord du gouvernement sur cette mesure. Le plafond des trimestres susceptibles d’être acquis dans ce cadre a été réduit de 8 à 3. De même, cette bonification de la retraite des élus locaux porterait sur la validation de trimestres et non sur une revalorisation du montant de la pension. Enfin, les élus locaux également parlementaires sont expressément exclus du dispositif. 

Il reste donc maintenant à débattre des dispositions relatives à la prise illégale d’intérêt « public-public ». L’examen du texte pourrait s’achever dès ce soir. Il reste à espérer, par la suite, que les députés, lors de l’ultime lecture, puissent adopter le texte conforme, afin qu’il soit rapidement promulgué, en novembre… à cinq mois seulement des élections municipales. Après une phase de tension, le dialogue semble revenu entre les associations d'élus, le Parlement et le gouvernement. 

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