Maire-info
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Édition du mercredi 5 octobre 2022
Sports

Coupe du monde de football : pourquoi des maires refusent de retransmettre les matchs dans des fan-zones

Il n'y aura pas de « fan zones » pour la diffusion des matchs de la Coupe du monde dans un certain nombre de grandes villes, qui, les unes après les autres, annoncent leur décision de boycotter l'événement. Paris vient de rejoindre le mouvement.

Par Franck Lemarc

Après Marseille, Bordeaux, Nancy, Reims, Strasbourg, Lille ou Rodez, c’est la capitale qui a annoncé, hier, sa décision de ne pas retransmettre publiquement les matchs de la Coupe du monde de football qui se déroulera au Qatar entre le 20 novembre et le 18 décembre. Saint-Étienne a fait de même hier. Ces villes annoncent ne pas vouloir être « complices »  de ce qu’elles jugent être « une aberration ».  

Ne pas être « complices » 

C’est une décision qui transcende, en partie, les clivages politiques : si la majorité des villes qui ont décidé de ce boycott sont à gauche, le maire de Rodez, centriste, Christian Teyssèdre, ou celui, de droite, de Reims, Arnaud Robinet, sont sur la même position. Pour ce dernier, le Mondial à venir est « un des événements les plus controversés de l’histoire du sport ». 

Plusieurs raisons sont évoquées par les maires pour justifier de leur décision. D’abord la sobriété énergétique : pour certains, les écrans géants dans les rues représentent une dépense énergétique difficilement défendable dans le contexte actuel. C’est ce qu’explique Arnaud Robinet dans son communiqué : « À l’heure où les pouvoirs publics demandent à nos concitoyens comme à nos administrations de réduire leur consommation d’énergies, de telles installations susciteraient une incompréhension légitime. »  Une raison également invoquée par l’adjoint à la maire de Paris chargé du Sport, Pierre Rabadan, pour qui organiser de tels événements en plein mois de décembre est en contradiction avec les valeurs de la mairie de Paris. 

Sur le terrain écologique toujours, ce sont les conditions même de l’organisation de la compétition qui rebutent de nombreux maires, qui rappellent qu’à l’heure où la planète entière vit sous la double menace du réchauffement climatique et de la crise énergétique, les stades construits au Qatar, en pleine zone désertique, seront… climatisés. « Un non-sens au regard de l’environnement », pour la maire de Lille, Martine Aubry. « Une catastrophe environnementale »  pour le maire de Marseille, Benoît Payan. « Face à l’urgence climatique, l’inconséquence n’est pas une option », a déclaré la maire de Strasbourg, Jeanne Barseghian. Dans un communiqué, la ville de Nancy a également dénoncé « le décalage entre l’usage de stades climatisés et les enjeux de la transition écologique ». À Bordeaux, le maire Pierre Hurmic a déclaré : « Ceux qui ont attribué en 2010 la Coupe du monde au Qatar étaient à des années-lumière de ce qu'était une sobriété énergétique. (…) J’aurais vraiment l'impression, si Bordeaux accueillait ces fans zones, d'être complice de cette manifestation sportive qui représente toutes les aberrations humanitaires, écologiques et sportives. » 

« Catastrophe humaine » 

L’écologie n’est en effet pas la seule raison qui pousse les maires à refuser de diffuser l’événement. Les conditions de travail désastreuses qui ont été révélées sur les chantiers de construction des stades ou du nouveau métro construit pour l’occasion – parfois assimilables à du semi-esclavage – constituent une autre raison. Rappelons que si le bilan officiel livré par le Qatar est de trois morts sur les chantiers, une enquête menée par le quotidien britannique The Guardian a évoqué le chiffre de 6500 morts depuis 2010. Et les témoignages ne sont pas rares d’ouvriers obligés de travailler 14 heures par jour sous une chaleur atteignant 45 ° C, sans parler de la privation du passeport par les employeurs pour empêcher les travailleurs de partir – une pratique appelée « Kafala »  (mise sous tutelle), il est vrai officiellement abolie par le Qatar en septembre 2020. 

Pour un certain nombre de maires, ces pratiques justifient elles aussi le boycott par leur ville du Mondial. « Impossible pour nous de ne pas entendre les nombreuses alertes des ONG qui dénoncent les abus et l’exploitation des travailleurs immigrés. Strasbourg, siège de la Cour européenne des Droits de l’Homme, ne peut décemment cautionner ces maltraitances », a par exemple déclaré Jeanne Barseghian. 

Il est probable que d’autres grandes villes vont prendre des décisions similaires dans les jours à venir – Lyon, entre autres, est en train de trancher.

Pour autant, les maires n’appellent pas forcément au « boycott »  de la compétition. C’est le message qu’a voulu délivrer Arnaud Robinet, le maire de Reims : « Jamais je n’empêcherai les Français de soutenir notre équipe, qui n’est pas responsable de l’organisation de la Coupe du monde. Je dis aux Rémoises et aux Rémois : rendez-vous dans nos restaurants, cafés et bars. Ces moments doivent bénéficier, en premier lieu, à nos commerces de proximité. » 

Certains maires de grandes villes se dirigent vers un autre choix, ou, du moins, estiment qu'il est trop tôt pour trancher. « Je vous propose de me reposer la question si la France est en finale ou en demi-finale », a par exemple déclaré le maire de Nice, Christian Estrosi, à Nice-matin. Même position chez David Lisnard, à la mairie de Cannes : « Nous avons la volonté de soutenir l'équipe de France jusqu'au bout. Pour l'heure, on ne se prononce pas sur un boycott. Nous allons voir comment le tournoi évolue mais rien n'est acté. » 

Rappelons que les fan zones ont été mises en place, lors des dernières compétitions, essentiellement pour des raisons de sécurité. Elles sont apparues en France lors de la Coupe d'Europe de 2016, un an après les attentats de 2015, pour gérer le risque terroriste, et elles permettent de canaliser des rassemblements qui, en cas de liesse populaire, ont lieu de toute façon. 

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