Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du jeudi 27 avril 2023
Sécurité

Ingérence étrangère : les élus locaux sont des « cibles » intéressantes pour certains pays, selon la DGSI

Lors d'une audition parlementaire qui vient d'être rendue publique, le directeur général de la sécurité intérieure a révélé que « certains pays s'intéressent beaucoup à l'échelon territorial ». Il a ainsi demandé à ses services d'entrer en contact avec les élus locaux pour les « sensibiliser » au sujet.

Par A.W.

« Les élus locaux, étant décisionnaires du point de vue économique et financier et pouvant engager une part de la souveraineté, constituent des cibles »  pour certains pays étrangers. À l’occasion de son audition « à huis clos » , le 2 février dernier, devant la commission d’enquête parlementaire relative aux « ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères », le patron de la sécurité intérieure française, Nicolas Lerner, a mis en garde contre les tentatives d’influence ou de corruption qui pénétreraient jusque dans les territoires.

Sensibiliser sur « les équipementiers étrangers » 

Avec « le retour très net, depuis quelques années, à la confrontation entre États »  (et « les espoirs déçus »  d’un ordre international fondé sur « le modèle démocratique »  et la seule « compétition économique » ), la France se retrouve « particulièrement exposée »  aux tentatives d’espionnage et « menacée »  par des actions d’ingérence, a prévenu le directeur général de la sécurité intérieure (DGSI), dont le compte-rendu des déclarations à la commission – présidée par le député de la Somme Jean-Philippe Tanguy (RN) – vient d’être rendu public. 

À l’échelle nationale, la DGSI a ainsi détecté, « au cours des trois ou quatre dernières années, des tentatives d’approche de la part de certains agents de renseignement visant l’ensemble du spectre politique ». Et si des parlementaires ont fait l’objet de telles approches individuelles (notamment avec « des officiers de renseignement russes sous couverture diplomatique » ) et « certaines personnes ont pu entrer dans une relation que la loi française n’autorise pas », Nicolas Lerner a rappelé qu’« un agent chargé de recueillir du renseignement, à tout le moins dans des activités d’espionnage ou d’ingérence, ne se limite pas en termes de cibles d’intérêt ».

Résultat, ses services ont constaté que « certains pays […] s’intéressent beaucoup à l’échelon territorial »  et « il a pu arriver très ponctuellement que la DGSI mette au jour ou soupçonne des relations entre un élu ou ancien élu local […] avec une puissance étrangère et signale aux autorités compétentes l’infraction soupçonnée – en l’espèce, un financement ». 

Dans ce contexte, la DGSI a ainsi « autorisé les services territoriaux à parler aux élus locaux »  afin de les « sensibiliser dans un but préventif ». En outre, « une fois le contact établi, les élus n’hésiteront pas à reprendre contact avec le service lorsqu’ils seront eux-mêmes témoins de certains faits », a ainsi indiqué le chef du contre-espionnage français, précisant en avoir « ressenti la nécessité ces derniers mois à propos, notamment, des équipementiers étrangers », sans plus de détails.

De cette manière, un député a contacté la DGSI pour signaler « qu’il s’inquiétait pour un collègue dont il avait le sentiment qu’il n’était pas très bien renseigné sur les personnes qu’il rencontrait », s’est félicité Nicolas Lerner, qui a ajouté qu’il reste « très rare d’en venir à la sanction ». 

Séparatisme islamiste et outre-mer

Relatant le témoignage, en début d’année devant la même commission, du directeur de l’Agence française anticorruption (Afa), Charles Duchaine, « s’inquiéta[n]t des risques d’influence sur les élus locaux », Jean-Philippe Tanguy s’est interrogé sur « les moyens »  de la DGSI pour « surveiller » ces derniers – « sachant qu’ils sont très nombreux »  – et s’il y a « des influences, voire des tentatives de sédition intérieure dirigées contre des élus locaux ou visant à en faire élire ». Notamment dans le cadre de « menaces hybrides, qui pourraient émaner d’États mais aussi de mouvements religieux ».

« Les élus locaux étant décisionnaires du point de vue économique et financier et pouvant engager une part de la souveraineté, ils constituent en effet des cibles », a confirmé Nicolas Lerner, celui-ci estimant d’ailleurs que ses services devaient encore « accroître [leur] présence, tant pour assurer une surveillance que pour multiplier les messages de vigilance à l’encontre de tel ou tel comportement venant de l’étranger ».

Concernant ce qu’il nomme « le djihadisme d’atmosphère »  et « le séparatisme islamiste », il a pointé « la permissivité ou la tolérance d’un certain nombre d’élus à l’égard de ce courant de pensée, tant par facilité que par intérêt électoral ». « Je ne dirai pas qu’il existe un risque de basculement de communes entières, mais le comportement de ces élus de la République doit être détecté et donner lieu à une action de la part de l’État – réactions publiques, mises en garde... ».

Un autre « point de préoccupation »  concerne les outre-mer. En effet, selon le DGSI, « certains territoires sont peut-être encore plus directement exposés à des ingérences étrangères, comme deux de la zone indo-pacifique ». « Si le dernier référendum qui s’est tenu en Nouvelle-Calédonie, pour lequel nous étions, comme pour chaque élection, dans une posture de grande vigilance, s’est déroulé sans qu’aucun État ne tente significativement d’interférer dans le processus électoral, ces territoires n’en doivent pas moins faire l’objet de notre attention », a-t-il indiqué.

« Wokisme »  américain

Il a, par ailleurs, été interrogé sur un sujet « qui n’a pas les mêmes conséquences pour la sécurité publique et la République » : « les programmes d’influence et d’échanges dans les banlieues, tels Young Leaders », lancés il y a plusieurs années par les Etats-Unis afin de « promouvoir les valeurs américaines ». « Il s’agissait notamment, à l’époque, de la laïcité et du multiculturalisme ; aujourd’hui, de nouvelles valeurs, comme le wokisme, sont mises en avant », s’est inquiété Jean-Philippe Tanguy, qui perçoit désormais « les effets »  de ces « ingérences culturelles »  jusque « dans la production artistique [des habitants] de ces territoires ». 

« Les rappeurs et les influenceurs parlent de l’histoire américaine, évoquant des ratonnades, des pauvres gens pendus à des arbres, des lois ségrégationnistes épouvantables, tous ces événements s’étant déroulés dans le Sud des États-Unis et non sur le territoire hexagonal », « cette influence [culturelle américaine] s’étend[ant] jusqu’à des élus municipaux », selon lui. 

« Nous suivons ce phénomène et nous le documentons parce que ce n’est pas neutre »  et que « c’est un substrat potentiellement intéressant, qui mérite notre attention », a indiqué Nicolas Lerner qui estime, toutefois, qu’il s’agit surtout « d’actions d’influence »  relevant plutôt du « débat public ». Et le chef du contre-espionnage français de rappeler au passage qu’« il y a tout de même eu des comportements et des violences à caractère raciste ces dernières années sur le territoire national, même si cela ne fut pas réalisé dans les mêmes proportions qu’aux États-Unis ni d’une manière structurée, comme ce fut le cas dans ce pays ».

Télécharger l’audition de Nicolas Lerner.

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