Déserts médicaux : après l'adoption du texte des députés, les sénateurs débattent du leur
Par A.W.
Réguler ou ne pas réguler l'installation des médecins afin de lutter contre les déserts médicaux ? Telles sont les deux conceptions qui s’affrontent, en parallèle, dans les deux chambres du Parlement, en ce moment même.
Alors que l'Assemblée nationale a adopté, la semaine dernière, en première lecture, une proposition de loi plaidant pour la régulation, c’est au tour du Sénat, depuis hier de s’attaquer à la problématique de « l’accès au soin dans les territoires » avec l’examen d’un texte promouvant une vision quelque peu différente.
Autorisation d’installation
Porté par un groupe transpartisan de plus de 250 députés (allant de LFI à une partie du groupe LR en passant par certains macronistes), le texte des députés a été adopté facilement par 99 voix contre 9, mais contre l'avis de nombreux médecins et du gouvernement qui lui préfère le texte concurrent des sénateurs. Alors que le Rassemblement national s'est abstenu, les députés macronistes et LR – peu nombreux lors du vote – ont dispersé leurs voix.
Débutées en avril, les discussions ont donné lieu, sans surprise, à des débats particulièrement nourris, notamment sur la mesure-phare qui fait figure depuis des années de serpent de mer : faut-il obliger les médecins à s’installer dans les territoires sous-dotés, comme cela se fait dans certains métiers de la fonction publique et de la santé ?
Dans la douleur, les députés ont finalement tranché. Après avoir rejeté, en commission, la création d’une autorisation d'installation des médecins délivrée par l'Agence régionale de santé (ARS), ils l’ont finalement rétablie en séance publique.
« Nous avons remis un peu de République dans notre organisation collective, cette République qui doit veiller sur chacun de nous, qui que nous soyons, où que nous habitions », s’est félicité le rapporteur socialiste Guillaume Garot, en soulignant que « notre santé ne peut pas dépendre de notre code postal ».
Concrètement, avec ce texte, dans les zones sous-dotées, l’autorisation d’installation serait délivrée « de droit ». Dans les zones où l’offre est jugée suffisante, celle-ci ne serait délivrée que « si l’installation fait suite à la cessation d’activité d’un praticien pratiquant la même spécialité sur ce territoire ». La liberté d’installation serait donc seulement aménagée.
« Nous avons fait le constat qu’une telle mesure s’était révélée efficace. Pourquoi s’empêcher de mettre en œuvre alors qu’elle porte ses fruits à l’étranger et en France, pour les autres professions de santé ? », avait défendu le député de la Mayenne début avril, rappelant qu’il a été « démontré que [cette mesure] permettrait, chaque année, à 600 000 personnes vivant dans des zones mal dotées, de trouver un médecin ».
« Inchangé pour 87 % du territoire », le principe de liberté d’installation « prévaut », avait soutenu l’élu, assurant qu’il serait « simplement encadré pour les 13 % restants, afin de ne pas concentrer davantage l’offre de soins ».
Pas de quoi convaincre les étudiants et internes en médecine qui estiment, via un communiqué du syndicat Jeunes médecins, que ce qui met en péril l'accès aux soins c’est surtout « la pénurie structurelle de médecins » et le « manque d'attractivité du secteur libéral ».
Une position qui se rapproche de celle du président de l’AMF, David Lisnard, qui s’est dit, la semaine dernière sur BFMTV, « contre la régulation des médecins ». « Plus on mettra de contraintes sur les médecins, plus ils partiront à l’étranger », a-t-il expliqué, celui-ci plaidant surtout pour que l’« on ouvre les vannes de la formation des médecins » et défendant les « avancées récentes permettant aux pharmaciens et aux infirmiers de pratiques avancées de pouvoir être une porte d’entrée dans la prescription médicale ». Cette position ne fait toutefois pas l'unanimité au sein de l'association qui plaide pour « une responsabilité collective et partagée entre l’ensemble des acteurs de santé pour organiser un accès aux soins de proximité » ainsi que pour « une permanence des soins » sur l’ensemble du territoire.
À noter que les députés ont rejeté l’idée du député macroniste Jean-François Rousset, que « l’association départementale des maires [soit] consultée en amont de la définition des zonages », et ce bien que les maires soient « en première ligne ».
Dérogations et plan du gouvernement
Alors que le texte des députés doit désormais poursuivre sa navette au Sénat (pas avant l'automne vraisemblablement), c’est au tour des sénateurs d’examiner le leur depuis hier. Une proposition de loi du sénateur LR Philippe Mouiller qui propose, elle aussi, de « conditionner l'installation des médecins libéraux à une autorisation préalable », tout en ayant l’appui du gouvernement
Quelle différence alors avec le texte transpartisan de l’Assemblée ? Le texte de la droite sénatoriale propose, en fait, que l’installation des médecins généralistes exerçant « en zone sur-dense » soit conditionnée à « un engagement d'exercice à temps partiel en zone sous-dense », là où il y a un déficit de soignants. Et, pour les spécialistes, l’autorisation ne serait possible que lors de « la cessation concomitante d'activité d'un médecin de la même spécialité exerçant dans la même zone ». Concrètement, l'installation dans un territoire bien pourvu en praticiens serait conditionnée à un départ dans la même spécialité et sur le même territoire. Mais, là aussi, une dérogation serait possible si le spécialiste s'engage à exercer en plus, à temps partiel, dans une zone où l’accès aux soins est jugé déficitaire. Une autre dérogation serait possible, « à titre exceptionnel et sur décision motivée du directeur général de l'agence régionale de santé », lorsque l'installation est « nécessaire pour maintenir l'accès aux soins dans le territoire ».
Plus conforme aux attentes de l’exécutif et tombant à point nommé, ce texte pourrait permettre au gouvernement d’y intégrer son récent « pacte » de lutte contre les déserts médicaux. Dans cette perspective, il lui a notamment appliqué la procédure accélérée afin de réduire la durée de son parcours législatif.
Pour mémoire, François Bayrou a proposé d’imposer aux médecins jusqu’à deux jours par mois de temps de consultation dans les zones prioritaires du territoire. Une sorte de « compromis », « un principe de solidarité », selon les mots du Premier ministre qui refuse toute coercition. Cette solidarité obligatoire se mettrait d’abord en place pour aider les territoires les plus prioritaires identifiés par les ARS, en lien avec les préfets et les élus. Ensuite, progressivement, cette mission serait étendue à l’ensemble des zones sous-denses et non plus uniquement à ces zones rouges.
Le Premier ministre souhaite également former davantage de soignants et a annoncé vouloir ouvrir une première année d'accès aux études de santé dans chaque département (alors qu’aujourd’hui 24 départements n'ont pas d’accès aux études de santé). Le gouvernement souhaite aussi mettre en œuvre la 4e année d’internat de médecine générale dès le 2 novembre 2026 avec une valorisation très forte pour la réalisation des stages en zone très sous-dense et rendre obligatoire des stages en dehors des grandes villes et des CHU dès la rentrée 2026.
On peut également rappeler que les sénateurs prévoient également de « donner la possibilité aux départements de mener une mission d'évaluation des besoins de santé sur le territoire » et d’inscrire « dans les organes de pilotage et de définition de la politique de santé un comité de pilotage comprenant les principaux acteurs de l'offre de soins et des représentants des collectivités locales ». Le but : proposer « des actions de déclinaison territoriale de la politique de santé permettant la prise en compte des besoins spécifiques à certains territoires ».
Du côté de l’Assemblée, les députés ont adopté la suppression de la majoration des tarifs à l’encontre des quelque 6 millions de patients qui ne trouvent pas de médecin traitant, une disposition visant à assurer une formation a minima de première année en études de médecine dans chaque département, mais aussi le rétablissement l’obligation de permanence des soins.
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