Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mercredi 27 avril 2022
Santé publique

Chlordécone : un collectif dénonce « le scandale de la prescription » et demande un changement des règles

Alors que le dossier judiciaire de l'empoisonnement des Antilles par le chlordécone s'achemine vers un non-lieu, des chercheurs, médecins, avocats et militants associatifs réclament une modification des règles pour éviter « ce scandale ». 

Par Franck Lemarc

L’affaire va-t-elle se terminer par un non-lieu, sans condamnations ni même mises en examen, alors que la quasi-totalité de la population de la Martinique et de la Guadeloupe a été contaminée par le chlordécone, pesticide dangereux ? Cette issue est plausible, puisque les magistrats du pôle santé publique du tribunal judiciaire de Paris ont annoncé leur intention de « clore le dossier »  du chlordécone, sans mise en examen, en raison du fait que « la grande majorité des faits dénoncés est prescrite », comme l’a déclaré le procureur de Paris Rémi Heitz. 

Population massivement contaminée

Le chlordécone est un pesticide utilisé pour lutter contre le charançon du bananier. S’il est fort efficace contre cet insecte ravageur, il est hélas également dangereux pour l’homme – sa dangerosité étant documentée dans certaines études depuis la fin des années 1970. Il a été massivement utilisé en Guadeloupe et en Martinique, jusqu’à contaminer les sols, les eaux, puis les animaux et les êtres humains. Selon une étude publiée en 2018 par Santé publique France, intitulée Imprégnation de la population antillaise par la chlordécone et certains composés organochlorés en 2013/2014, ce serait 92 % des habitants de la Martinique et 95 % de ceux de la Guadeloupe qui seraient contaminés par le chlordécone. Y compris dans les secteurs des îles qui ne sont pas concernés par la culture de la banane : des terres contaminées ont en effet été transportées dans d’autres secteurs pour des chantiers de travaux publics, participant à la diffusion du poison sur l’ensemble des deux îles. 

Cancers

L’État français semble porter une claire responsabilité dans le fait que le chlordécone ait continué à être utilisé aux Antilles alors même qu’il était interdit dans de nombreux pays, puis en métropole même : le gouvernement a interdit l’usage du chlordécone, officiellement, en 1991 – sous la pression de l’Union européenne – mais, à la suite d’un intense lobbying des planteurs et des industriels du secteur, a accordé une dérogation pour les Antilles jusqu’en 1993, histoire d’écouler les stocks. Il est probable, d’ailleurs, que certains aient continué de l’utiliser au-delà de cette date. 

Les conséquences sur la santé sont graves : le chlordécone augmente les risques de naissances prématurées et les troubles du développement cognitif des enfants, et il augmente les risques de cancer de la prostate : les taux de ce cancer sont deux fois plus élevés aux Antilles qu’en métropole, et les deux îles auraient le taux de cancer de la prostate le plus élevé au monde – avec, en outre, selon une étude récente de l’Inserm révélée par Martinique la 1e, un risque de récidive deux fois supérieur pour les personnes exposées au pesticide. 

Décaler la prescription

Les signataires d’une tribune parue ce matin sur le site de francetvinfo s’indignent du risque de voir les plaintes classées sans suite pour cause de prescription. Ils rappellent que la justice a mené « une guérilla procédurale »  pour ne pas démarrer d’enquête préliminaire – « guérilla »  qui a duré plus de 10 années – pour ensuite, « après quelques années d’une enquête complaisante avec les industriels et les grandes familles de la banane », déclarer qu’il y a prescription. Une décision qui suscite « un immense émoi »  dans la population des Antilles – qui a récemment fait montre de son extrême méfiance vis-à-vis du gouvernement en votant massivement, aux premier et deuxième tours de la présidentielle, pour Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. 

Les signataires de la tribune demandent donc que la prochaine Assemblée nationale qui sera élue en juin légifère d’urgence pour « modifier le régime de prescription en matière de pollution environnementale ». Avec une proposition simple : aujourd’hui, le point de départ du délai de prescription court à partir du jour où la pollution a lieu. Les signataires demandent que ce point de départ soit décalé « au jour où la pollution a cessé »  – ce qui ne serait pas sans logique dans la mesure où les effets du pesticide continuent de se faire sentir des années après la pollution… voire des siècles, puisque le chlordécone serait, selon les scientifiques, actif pendant 700 ans. 

Les auteurs de cette tribune lancent donc « un appel aux élus locaux, aux parlementaires et au président de la République pour qu’une réforme du régime de la prescription soit adoptée dès le début de la prochaine législature ». 

Il sera intéressant de voir quel accueil le président de la République, qui a dit vouloir placer son second mandat sous le signe de l’écologie, fera à cette demande. 

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