Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du vendredi 22 octobre 2021
Santé publique

Santé : 12 recommandations du Sénat pour lutter contre la désertification médicale

Mercredi dernier, Philippe Mouiller, sénateur des Deux-Sèvres et Patricia Schillinger, sénatrice du Haut-Rhin, ont présenté leur rapport d'information sur « les collectivités à l'épreuve des déserts médicaux : l'innovation territoriale en action », fait au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Synthèse. 

Par Lucile Bonnin

« C’est un sujet qui fait partie des essentiels », indique en préambule Françoise Gatel, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. L’accès aux soins est en effet « une préoccupation grandissante »  pour les Français et pour les élus locaux. 

La présidente le rappelle : « La délégation aux collectivités territoriales se veut extrêmement pragmatique avec un souci d’efficacité dans les rapports qu’elle peut faire. Nous avons le souhait de formuler des recommandations et de communiquer sur des bonnes pratiques qui existent. Les élus locaux, nous le savons, sont des inventeurs de solutions et face parfois à la carence de l’État, au déficit de médecins, les élus ont inventé des solutions pertinentes qui mettent en avant la nécessité d’une bonne articulation entre l’État et les collectivités territoriales. » 

Des bonnes pratiques en référence 

« En matière de méthode, nous sommes partis dans une démarche d’auditions et d’observations », explique Philippe Mouiller, co-rapporteur du rapport Les collectivités à l'épreuve des déserts médicaux : l'innovation territoriale en action. L’AMF, ainsi que d'autres associations d'élus, a été auditionnée à plusieurs reprises par la délégation dans le cadre de la préparation de ce rapport.

Ce rapport insiste en premier lieu sur l’importance pour une région de « développer des synergies fructueuses avec les départements et de veiller à une coordination efficace entre ces derniers ». La région peut en effet attribuer des aides pour favoriser l’installation de professionnels de santé, soutenir des actions de promotion de santé, instruire des dossiers éligibles au Feder (lequel peut être affecté au financement de projets locaux de constructions de maisons de santé), et échanger directement avec l’ARS. 

En termes de bonnes pratiques encouragées par la délégation, on retrouve la création de centres de santé qui ont été créés historiquement par les communes et leurs groupements. « Si cette pratique est développée par un nombre croissant de communes et d'intercommunalités, elle est limitée par une demande de médecins pour le salariat inférieure à l’offre des centres de santé », est-il précisé dans le rapport. 

D’autres solutions sont mises en avant dans ce texte : la création de maisons de santé pluri-professionnelles (MSP) ainsi que la création de centres de santé qui sont des structures sanitaires publiques chargées de pratiquer principalement des soins de premier recours. Plus atypique, l’une des solutions relevée dans le rapport préconise le développement d’une offre en « médecine ambulante ». « En effet, de nombreux élus développent cette modalité particulière d’exercice de la médecine afin de rapprocher l’offre de soins des patients situés en zones sous-denses ; matériellement cela peut prendre la forme d’un bus, est-il précisé dans le texte. Les dispositifs de santé itinérante fonctionnent souvent avec l’aide précieuse de praticiens retraités. » 

D’autres collectivités ont fait des choix différents. Plutôt que de financer des structures de soins fixes ou itinérantes, certaines ont mené « des actions proactives afin de favoriser l’installation des médecins  »  (logement, aides à l’emploi du conjoint, cadre de vie...). Les solutions développées par les élus « peuvent également porter sur des actions préventives (par exemple le programme « J’agis pour ma santé »  lancé par la métropole de Montpellier en 2017). » 

Le rapport évoque bien évidemment le déploiement de la télémédecine en France et surtout dans les territoires « en détresse depuis des années ». De nombreuses personnes interrogées insiste sur le fait que « la crise sanitaire devrait jouer un rôle d’accélérateur du déploiement des télé-cabinets ou des cabinets de télémédecine. » 

Sept recommandations aux élus

À partir de ce tour d’horizon des bonnes pratiques, les rapporteurs ont pu émettre 12 recommandations. Sept concernent les élus locaux directement et cinq concernent l’État dans ses rapports avec les collectivités.

La première recommandation : Batir des centres ou maisons de santé « partenariaux », c’est-a-dire en étroite concertation entre les élus locaux et les professionnels de sante (organes représentatifs, conseil départemental de l’ordre...), et ce le plus en amont possible. « On s’est rendu compte sur le territoire que beaucoup d’initiatives heureuses ou malheureuses étaient liées à ce dialogue essentiel entre les élus locaux et les professionnels de santé », précise Philippe Mouiller.

Dans un même temps, renforcer les liens entre les collectivités et les facultés de médecine est indispensable. « Fontainebleau, par exemple, a réussi, avec une antenne universitaire, à créer un label universitaire dans les maisons de santé », explique Patricia Schillinger. Une troisième recommandation est formulée : Favoriser l’installation des médecins dans les zones sous-denses par des dispositifs incitatifs. « Cela peut aller des bourses financières pour les étudiants jusqu’au salariat, précise Philippe Mouiller. Certaines collectivités ont fait le choix de pouvoir directement salarier des médecins et quelques spécialistes. » 

Pour attirer les médecins il faut aussi des aides personnalisées afin de favoriser leur installation dans les territoires (par exemple aides au logement ou actions permettant au conjoint du médecin de trouver du travail localement). « C’est une démarche globale, on le voit bien et la cinquième recommandation est d’ailleurs celle de la recherche d’un échelon local pertinent », continue Philippe Mouiller. Selon le rapport, deux critères méritent d’être pris en compte : la soutenabilité financière et la technicité du projet. « C’est une question fondamentale qui dépend du territoire et ce niveau doit être évalué pour que le projet puisse durer dans le temps. » 

L’avant dernière recommandation porte sur la généralisation des contrats locaux de santé (CLS) sur l’ensemble du territoire. Selon le rapport, « ces contrats, portés conjointement par l’agence régionale de santé et une collectivité territoriale pour réduire les inégalités territoriales et sociales de santé, sont l'expression des dynamiques locales partagées entre acteurs et partenaires sur le terrain pour mettre en œuvre des actions, au plus près des populations. » 

Dans une logique de « dernier recours », précise Philippe Mouiller, la recommandation finale à destination des élus porte sur la télémédecine. « La télémédecine ne doit pas se développer au détriment de la venue de médecins dans les territoires sous-dotés », indique le texte. 

Recommandations à l’État 

Le « trait d’union »  essentiel entre ces recommandations est la concertation entre tous les acteurs. C’est pour cela que les recommandations formulées à l’État mettent en jeu essentiellement leurs rapports avec les collectivités. 

« Nous souhaitons vraiment que les élus locaux soient associés à la stratégie nationale de réduction des inégalités territoriales, explique Patricia Schillinger. On a remarqué qu’il manquait un outil territorial et national indispensable : une vraie cartographie de l’offre de soins. Il nous faut des outils de pilotage pour anticiper ! » 

Deuxième recommandation évoquée par les rapporteurs : évoquer, sans tabou, sur la formation et la liberté d’installation des médecins. « Nous n’avons pas pris position dans notre rapport car nous sommes des relais mais 100 % des élus que nous avons rencontré disent qu’il faut relancer ce débat. On ne pourra pas avancer tant que l’on n’aura pas relancé ce débat au niveau national, c’est un élément essentiel », insiste Philippe Mouiller. 

Une réflexion commune État-collectivités territoriales sur les risques de compétition entre les territoires devrait aussi être lancée selon les rapporteurs. Patricia Schillinger précise qu’il « faut trouver une cohérence sur les territoires mais aussi dans les périmètres des départements, des cantons… Il faut que l’équilibre se fasse mieux que ce qu’il est fait aujourd’hui ». La cohérence territoriale serait la clef pour lutter efficacement contre la désertification médicale. 

L’avant dernière recommandation porte sur le renforcement du rôle facilitateur des ARS. « On a besoin de plus de proximité entre les ARS et les élus locaux », explique Philippe Mouiller. Certains élus ont rapporté avoir bénéficié d’un bon accompagnement lors de la création d’un centre de santé mais d’autres élus se sont retrouvés seuls dans leurs démarches. 

Il faudrait, enfin, associer davantage les collectivités territoriales à la politique menée par l’ARS. « Cette recommandation suppose, dans le cadre du projet de loi dit « 3DS » : de renforcer le poids des élus locaux au sein du conseil de surveillance de l’ARS ; d’élargir les attributions du conseil de surveillance des ARS ; d’associer les collectivités locales à la détermination des déserts médicaux ». 

Des idées pour des évolutions législatives 

Ce rapport qui fait office de « boîte à outils »  appuie sur le fait, selon Philippe Mouiller, « qu’il y a une urgence d’avoir des évolutions législatives tant sur la formation que sur l’installation. »  Pourtant, on ne retrouve pas de recommandation concernant la légitimité des maires dans le domaine de la santé. Mercredi dernier, Frédéric Chéreau, maire de Douai et co-président de la commission Santé de l’AMF, confiait à Maire info que l’AMF réfléchissait à des pistes pour tenter de résorber les problèmes récurrents de la désertification médicale avec notamment la question de la gouvernance. « Les maires doivent redevenir présidents des conseils d’administration des hôpitaux », indiquait-il. Si le rapport loue les actions de certains élus, il n’est à aucun moment question de reconsidérer leurs capacités d’action, mais plutôt d’encourager un travail plus collectif entre les collectivités et l’État. 

Rappelons qu'au congrès de l’AMF, le jeudi 18 novembre à 9 h 30, un forum sera consacré au thème : « Agir pour la santé des habitants ».

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