Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du lundi 16 juin 2025
Sécurité

La loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic a été promulguée

Après un passage par le Conseil constitutionnel, qui a censuré certaines disposition, la loi visant à lutter contre le narcotrafic vient d'être publiée au Journal officiel ce samedi. Les maires devront être informés par le préfet en cas de fermeture administrative et l'installation d'antennes relais à proximité des prisons devra remplir une nouvelle condition.

Par Lucile Bonnin

Après plusieurs mois de travaux parlementaires, que reste-t-il de la proposition de loi déposée en juillet 2024 par les sénateurs Étienne Blanc et Jérôme Durain et que le gouvernement – et notamment les ministres de l'Intérieur et de la Justice, Bruno Retailleau et Gérald Darmanin – a largement repris à son compte ? 

Ce texte de 64 articles avait été rédigé à l’issue d’une commission d'enquête sénatoriale menée sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier. De nombreux élus avaient alors pu témoigner du fait que le trafic de drogues n’est plus uniquement l’affaire des grandes villes. Le phénomène touche les villes moyennes, mais aussi les zones rurales. La thématique avait d’ailleurs été abordée pour la première fois lors du dernier Congrès des maires (lire l'article de Maires de France). 

Avant sa promulgation, le texte qui avait été adopté fin avril par le Parlement a dû passer par le Conseil constitutionnel. Ce dernier avait été saisi par des députés de La France Insoumise, des écologistes et des socialistes et a rendu sa décision jeudi dernier. 

Renforcement du régime carcéral, création d’un parquet national anticriminalité organisée (Pnaco), fermeture administrative des commerces, quartiers de prison sécurisés et moyens renforcés pour les enquêtes : le texte aujourd’hui promulgué a connu des changements substantiels aussi bien sur des dispositions pénales que sur celles qui concernent directement les maires des communes touchées par le narcotrafic.

Des quartiers de haute sécurité mais pas de « dossier-coffre » 

Le Conseil constitutionnel a prononcé la censure totale ou partielle de six articles de la proposition de loi. Les députés qui avaient saisi le Conseil constitutionnel demandaient notamment de censurer l’article portant la création des quartiers de haute sécurité dans les prisons pour les trafiquants les plus dangereux. Les « quartiers de lutte contre la criminalité organisée », prévus par le texte s’inspirent du modèle carcéral très strict italien. « L'Italie a inventé la mafia, mais elle a aussi inventé l'anti-mafia, et ça marche, donc ce qui marche en Italie peut marcher en France », assurait le ministre de la Justice, au mois de mars sur Europe 1.

Le Conseil a déclaré conforme à la Constitution l’article 61 créant dans les établissements pénitentiaires ces quartiers de lutte contre la criminalité organisée. Concrètement, la loi telle qu’elle a été publiée au Journal officiel prévoit de faciliter les fouilles intégrales et privent les personnes détenues des dispositions relatives aux unités de vie familiale et aux parloirs familiaux. 

Le Conseil a en revanche censuré, au nom du respect des droits de la défense et du principe du contradictoire, certaines dispositions de l’article 40, qui permettaient de fonder une condamnation pénale sur des éléments de preuve recueillis dans des conditions ayant justifié le recours au « dossier coffre » . Si le Conseil constitutionnel ne censure pas le principe du dossier coffre, il indique cependant qu’il sera impossible de fonder une condamnation sur ces informations recueillies via des techniques spéciales d’enquête sans que les avocats des narcotrafiquants puissent y accéder.

Parmi les autres mesures censurées on retrouve celles de l’article 15, dont les dispositions ont été déclarées non conformes à la Constitution, qui étendaient la possibilité dont disposent certains services de renseignement de recourir à des traitements automatisés de nature algorithmique. De même, si le texte initial prévoyait la généralisation de la visioconférence pour les personnes détenues – notamment pour éviter tout risque d’évasion comme cela a pu être le cas avec Mohamed Amra –, le recours exclusif à la visioconférence pour la comparution des personnes placées en quartier de lutte contre la criminalité organisée a été censuré et n’apparaît pas dans la loi.

Informer les maires est désormais une obligation pour les préfets  

La mesure qui intéresse le plus directement les maires a elle aussi connu des modifications au cours de la navette parlementaire. L’article 4 prévoit le renforcement du pouvoir de fermeture administrative des établissements liés au blanchiment d’argent. Ce sont en effet les préfets qui pourront désormais fermer un commerce pour une durée maximale de six mois, renouvelable une fois, lorsqu’il existe de fortes suspicions de liens avec les trafics. Lors des débats au Parlement, l’idée de confier aux maires directement le pouvoir de fermeture avait été introduite dans le texte avant d’être finalement retirée, « afin de ne pas les exposer davantage dans des contextes déjà sensibles, notamment dans les petites communes », comme le résume la sénatrice Dominique Vérien sur ses réseaux sociaux.

Cependant, le rôle des maires dans la lutte contre le narcotrafic a été reconnu dans la loi. « Le maire est informé par le représentant de l'État dans le département des mesures de fermeture administrative prises sur le territoire de la commune en application de l'article L. 333-2 », peut-on lire dans la loi. Concrètement, le préfet devra obligatoirement informer les maires de toute fermeture administrative prononcée sur leur territoire. Les maires ont souvent déploré les difficultés qu’ils rencontrent pour obtenir ce type d’informations pourtant cruciales pour qu’un élu puisse savoir ce qui se passe sur sa commune. La mesure sera donc appréciée même si cette information est strictement encadrée et ne concerne que les infractions en lien avec le trafic de stupéfiants qui génèrent des troubles à l’ordre public. 

Antennes relais à proximité des prisons

L’article 59 qui a été introduit au Sénat intéresse aussi directement les maires. Cette fois-ci, le pouvoir du maire n’est pas élargi mais tend à être plus contraint. La loi prévoit qu’en cas d’installation d’une antenne relais à proximité d’un établissement pénitentiaire, le dossier d’information mairie (DIM) doit être transmis au chef dudit établissement, qui devra rendre un avis sur la compatibilité du projet avec les dispositifs techniques de lutte contre la délinquance et la criminalité organisées déployés en prison. Tant que cet avis n’a pas été émis, le maire ou le président de l’intercommunalité ne pourra délivrer l’autorisation d’urbanisme. Par ailleurs, cet article prévoit que le chef d’établissement pénitentiaire participe à l’instance de concertation départementale relative à l’implantation des antennes.

Le député Éric Botorel avait proposé en vain de supprimer cet article. Il explique que « l’un des enjeux fondamentaux du déploiement des réseaux mobiles réside dans l’identification des sites d’implantation adaptés, une démarche qui prend déjà plusieurs années »  et que cette disposition « allongerait encore ces délais, rendant plus difficile le déploiement des infrastructures mobiles dans certaines zones. » 

Les maires veulent davantage de moyens pour agir sur la prévention 

Si la promulgation de cette loi constitue une victoire pour le gouvernement, pour les associations d’élus elle marque « un premier pas pour soulager les élus locaux, qui ne peuvent pas, seuls, pallier les carences dans la lutte contre le narcotrafic », estimait l’APVF en avril dernier.  Cependant, « une réponse se concentrant seulement sur l’aspect sécuritaire sans volet prévention et accompagnement ne suffira pas à endiguer durablement le problème du narcotrafic en France, indique le communiqué. C’est pourquoi, au-delà de la loi, la question des moyens financiers et humains alloués demeure donc essentielle pour répondre aux enjeux du narcotrafic. » 

Consulter le texte de loi publié sur le site Légifrance.
 

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