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Édition du lundi 20 février 2023
Ruralité

Ruralité : l'exode urbain post-covid n'est pas celui qu'on croit

Une étude conduite depuis 2021 par les chercheurs de la Plateforme d'observation des projets et stratégies urbaines (Popsu) montre que la pandémie a accéléré les départs en provenance des grands centres urbains. Mais l'exode urbain vers les campagnes semble davantage être un mythe qu'une tendance majoritaire.

Par Lucile Bonnin

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Depuis la crise sanitaire, la rumeur court que de nombreux citadins auraient complètement changé de vie, passant de la grande ville au village de moins de 2 000 habitants. Ces foyers qui déménagent depuis 2020 seraient de plus en plus nombreux, si bien que le discours médiatique parle d’ « exode urbain »  massif vers les campagnes. 

Or sans chiffre à l’appui, il est difficile de savoir si cette tendance est une réalité ou un mythe. C’est pourquoi « des dizaines de chercheurs »  ont été mobilisés « au plus près des élus et des enjeux [des] territoires ruraux »  afin de mener une étude d’impact de la pandémie sur les mobilités résidentielles. 

Ce qu’il en résulte va à contre-courant de « l’idée d’un exode urbain, qui bouleverserait les structures territoriales françaises.»  Les mobilités vers les territoires ruraux sont à nuancer. De plus, le « désamour global des villes »  est un fantasme. Concrètement, le covid-19 n’a pas entraîné de véritable bouleversement géographique.

L’enquête intitulée Exode urbain : un mythe, des réalités s’appuie sur des données issues de plateformes en ligne Leboncoin, Meilleursagents, Seloger, et de La Poste. Des enquêtes de terrain ont aussi été menées dans six zones rurales et péri-urbaines. Une approche pluridisciplinaire qui permet, selon Dominique Faure, ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales et de la Ruralité, une « meilleure compréhension des réalités en train de se déployer. » 

Pas de changement radical 

Le premier enseignement de cette étude invite à nuancer tous les discours qui soutiennent fermement que la pandémie a déclenché un départ massif des habitants des grandes villes vers des communes rurales. « Loin d’un bouleversement territorial, la pandémie de covid-19 a principalement accéléré et renforcé des tendances préexistantes à la crise », peut-on lire dans l’étude.

Les mobilités existent, mais elles se font au bénéfice d’autres territoires qui avaient d’ailleurs déjà la cote avant la pandémie : on observe un véritable attrait des Français pour le littoral, les zones périurbaines et les grands pôles urbains.

36,5 % des déménagements continuent de se faire de grande ville à grande ville après le début de la crise sanitaire. Les littoraux restent les « champions de l’attractivité résidentielle »  avec une forte attractivité observée notamment sur la façade atlantique ou encore les mailles rétro-littorales (arrière-côte). Ces deux observations ne constituent pas une évolution bouleversante mais s’inscrit plutôt dans la continuité de tendances déjà observées depuis plusieurs années. 

Un effet covid pour les espaces périurbains 

« Les espaces périurbains enregistrent presque tous un « effet covid »  positif sur leur solde migratoire, pointent les auteurs de l’étude. Cette attractivité des communes " de grande couronne " est une conséquence du phénomène de desserrement urbain, qui désigne le départ des populations des centres urbains au profit de leurs périphéries. Le desserrement urbain, un des principaux moteurs de la périurbanisation, est particulièrement sensible à Paris intra-muros à la suite de la crise. » 

Les départs des centres-villes vers les grandes couronnes sont, depuis le début de la crise sanitaire, en hausse de 14,1 % pour les plus grandes aires (unité urbaine de plus de 10 000 emplois) et de 23,5 % pour les plus petites (un pôle de 1 500 à 5 000 emplois).

Les mobilités observées depuis 2020 ont donc davantage bénéficié aux espaces urbains avec deux tendances : le départ des centres urbains denses (desserrement) pour emménager dans les autres communes du pôle urbain ou dans les couronnes et le départ des communes des pôles urbains pour s’installer dans les couronnes.

« Une poursuite de la renaissance rurale » 

Les confinements successifs auraient contribué à faire naître chez les urbains un « désir de campagne »  fort, associant les territoires ruraux « à une proximité avec des espaces naturels et à une qualité de vie autres que dans les espaces urbains. » 

Mais il y a-t-il vraiment eu une vague massive de départs des villes vers les campagnes ? En réalité, « les espaces ruraux voient augmenter fortement leur solde migratoire après le début de la crise sanitaire »  mais ce phénomène reste minoritaire (14 % de déménagement de la ville à la campagne). Ainsi, « le flux de départs des villes vers la campagne existe, sans être un phénomène structurant à l’échelle nationale ni une tendance qui s’accentue. » 

Le solde migratoire vers la campagne est bel et bien positif mais n’est pas nouveau. Un phénomène de « renaissance rurale »  est observé depuis les années 1970. Mais les chercheurs expliquent que cette renaissance rurale « n’affecte qu’une partie des espaces ruraux, à commencer par ceux en situation de proximité urbaine ». 

Mise à mal des clichés 

Si le stéréotype du Parisien partant à la recherche de calme et de sérénité dans les territoires ruraux commence à être ancré dans les représentations, les réalités rapportées par les chercheurs sont différentes. Ceux qui partent vers les campagnes ont des profils très différents « marqués par des capitaux sociaux, culturels et économiques différenciés, soumis à des contraintes variées et avec des projets plus ou moins en rupture avec la vie urbaine. » 

Enfin, pour déconstruire le mythe jusqu’au bout, les chercheurs expliquent que l’annonce d’une ruée vers les campagnes a été parfois entretenue par « des opérations de communication de marketing territorial de collectivités territoriales [et] a pu contribuer à accélérer le phénomène et à précipiter les achats, entraînant la raréfaction de l’offre et la hausse des prix dans les premiers mois suivant le premier confinement, dans des territoires caractérisés par une étroitesse des marchés immobiliers. » 

D’ailleurs ces investissements « ne sont pas automatiquement suivis d’installation dans les territoires ruraux »  mais correspondraient plutôt à un « refuge de l’investissement dans la pierre »  et un « filet de sécurité que représente la location touristique. »  Pour résumer, les chercheurs montrent que la tentative d’attirer des Français dans les territoires ruraux après la pandémie n’a pas eu l’effet escompté. 

Maintenant, les élus doivent faire face à de nouvelles problématiques accentuées par la crise comme celle du développement de l’offre de meublés de tourisme qui finit par faire diminuer celle du logement de longue durée par exemple (lire Maire info du 14 avril). 

La ministre Dominique Faure a annoncé la semaine dernière vouloir accompagner ce mouvement vers les territoires ruraux avec notamment la création d’un conseil scientifique associé à l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques en faveur des territoires ruraux sous la forme d’un « GIEC de la ruralité ». 

Télécharger l'étude. 

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