Maire-info
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Édition du vendredi 24 octobre 2025
Budget

Réforme des retraites : malgré la suspension entérinée, la menace de censure relancée par les socialistes

Si la suspension de la réforme a bien été entérinée hier par le gouvernement jusqu'en 2028, le choix de faire contribuer les retraités pour financer cette mesure est déjà très critiqué. Malgré cette concession, les socialistes menacent déjà de censure sans nouvelles mesures de justice sociale et fiscale.

Par A.W.

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Le gouvernement a définitivement acté, hier, la suspension de la réforme des retraites, mais relancé le débat sur le financement de cette mesure qui conditionne l’avenir de l’exécutif. 

Après avoir évoqué un nouveau projet de loi puis assuré que cette suspension de la réforme de 2023 se ferait via un amendement, le Premier ministre a finalement choisi de passer par un véhicule législatif moins usité et connu : la « lettre rectificative »  au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). 

La lettre rectificative, une meilleure garantie

Une « troisième voie »  soufflée par le maître de conférences en droit public, Benjamin Morel, il y a une semaine, qui permet de rattraper le projet de loi lorsqu’une disposition clé y a été oubliée. Surtout, son intérêt principal, dans le contexte politique actuel, est de maintenir - contrairement à un amendement - la mesure dans le texte initial en cas de non-respect des délais constitutionnels de 50 jours pour le budget de la Sécurité sociale. 

Un détail important puisque, dans le cas de figure où les parlementaires ne respecteraient pas ce délai, le projet de budget pourrait passer directement par voie d'ordonnances, et ce serait le texte déposé par le gouvernement qui entrerait en vigueur. Avec un amendement, la mesure serait donc vouée à disparaitre. Avec la lettre rectificative, elle serait maintenue.

Une idée qui a, depuis, été reprise en chœur par les oppositions, notamment le RN et le PS, ce dernier conditionnant sa non-censure de l’exécutif à l’application de cette mesure particulièrement irritante pour le camp présidentiel.

Matignon a, en outre, confirmé, dans un communiqué publié hier, que « cette suspension ne peut être proposée qu’à l’initiative du gouvernement, le Parlement n’ayant pas la possibilité d’introduire une telle modification, conformément à l’article 40 de la Constitution », qui limite le pouvoir d’initiative des parlementaires en matière financière.

Suspension jusqu’en 2028

C’est donc cette troisième option qui a ainsi été entérinée, hier, lors d'un Conseil des ministres spécial (le deuxième en une semaine) présidé par Emmanuel Macron, en visioconférence depuis Bruxelles. 

« Gage de clarté et de transparence, cette inscription dans le texte initial vise à garantir la tenue d’un débat parlementaire loyal et sincère sur cette question », a souligné Matignon alors que l'examen du PLFSS doit débuter lundi.

Concrètement, la lettre rectificative permet de suspendre « jusqu’au 1er janvier 2028 », donc après la prochaine élection présidentielle, le relèvement prévu de l’âge d’ouverture des droits et la durée de cotisation. 

« Elle concerne la génération 1964 qui est la prochaine génération à partir en retraite », précise le compte-rendu du Conseil des ministres. Les personnes nées en 1964 pourront donc réclamer leur pension, non pas à 63 ans comme prévu, mais à « 62 ans et neuf mois »  et obtenir une pension à taux plein avec un nombre de « 170 trimestres », et non plus 171 trimestres.

Contribution des retraités et des mutuelles

La contrepartie, c’est que cette suspension qui bénéficierait « à terme à 3,5 millions de Français »  va avoir un coût pour les finances publiques : 100 millions d'euros en 2026 et 1,4 milliard d'euros en 2027. 

La bonne nouvelle, c’est qu’elle s’avère moins chère qu’initialement annoncée par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale à l’Assemblée nationale, celui-ci l’ayant évaluée, à ce moment-là, à « 400 millions d’euros en 2026 »  et « 1,8 milliard d’euros en 2027 ». 

Mais comment la financer ? « En cohérence avec l’engagement du Premier ministre de ne pas faire peser le coût de cette suspension sur les générations futures par l’aggravation du déficit », deux « mesures complémentaires »  ont été d’ores et déjà annoncées : l’une portant sur « la taxe sur les organismes complémentaires en 2026 »  et l’autre visant « la sous-indexation des pensions de retraites en 2027 ». En somme, c’est la mise à contribution des complémentaires santé et des retraités qui permettra de financer la mesure. 

La première se ferait via une hausse du taux de la contribution des mutuelles et assurances de santé qui passerait à 2,25 % en 2026, au lieu des 2,05 % initialement prévus dans la première mouture du PLFSS. La seconde passerait par la sous-indexation de 0,9 % des pensions des retraités en 2027 par rapport à l'inflation, au lieu de 0,4 point prévu à l’origine.

Levée de boucliers

De quoi provoquer une levée de bouclier de la part des syndicats et des oppositions. La CGT et la CFDT se sont, dans la foulée, opposées à ces choix du gouvernement qui entraîneraient « quasiment deux années blanches pour les retraités en 2026 et 2027 », « les plus modestes ne [pouvant] supporter une telle mesure », selon la CFDT. 

Quant aux mutuelles, la hausse de leur taux de contribution « va encore se répercuter sur les salariés et encore plus sur les retraités », a dénoncé le secrétaire confédéral de CGT Denis Gravouil. « On fait payer une micro-suspension de la réforme aux retraités actuels et futurs », s'est indigné le syndicaliste, décrivant « un simple décalage, une génération [qui] va gagner un trimestre ».

Sur l'échiquier politique, la France insoumise a dénoncé « un jeu de dupes ». « Les retraités partiront trois mois avant mais avec une retraite plus faible », a pesté le président de la commission des Finances, Eric Coquerel, tandis que la présidente des députés RN Marine Le Pen, favorable à la suspension, a dénoncé le fait que les membres du gouvernement « tapent toujours sur les mêmes ». 

Ultimatum « jusqu'à lundi » 

Dans ce climat, Sébastien Lecornu a tenté d’être conciliant et assuré que le financement de la suspension donnera bien lieu à un débat au Parlement. « La lettre rectificative, il ne faut pas lui faire dire ce qu'elle ne dit pas. Ce n'est pas la proposition définitive. La lettre rectificative, c'est ce qui va permettre au débat d'avoir lieu jusqu'au bout »  au Parlement, a-t-il indiqué hier. Matignon avait déjà confirmé, dans son communiqué, que « des modalités de financement ont été proposées dans le texte initial », mais que « celles-ci seront débattues au cours des prochaines semaines ».

Ce ne sera peut-être pas suffisant puisque les socialistes, par la voix de leur Premier secrétaire Olivier Faure, ont annoncé ce matin qu’ils attendaient d’autres « gros efforts »  en direction des plus modestes de « l’ordre de 15 ou 16 milliards »  d’euros. « Si dans les toutes prochaines heures, en gros jusqu’à lundi prochain, il n’y avait pas d’évolutions sensibles [sur] les budgets de l’État et de la Sécurité sociale, ce serait terminé », a menacé Olivier Faure sur BFMTV

En clair, le bloc central et le gouvernement doivent céder devant les demandes socialistes de taxation des plus fortunés, sans quoi l’exécutif chutera et il n’y aura pas de budgets pour l’année 2026. « Je ne voterai jamais un budget qui ferait les poches des retraités, des malades, des jeunes, des familles. On ne peut pas demander aux classes populaires et moyennes de faire des efforts quand les plus riches n’en font pas », a prévenu le député de Seine-et-Marne. 

Le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Boris Vallaud, avait d’ailleurs déjà laissé entendre la même chose hier. Tout cela, quelques heures après le rejet de la première partie du projet de budget en commission. 
 

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