Polices municipales : vers un transfert de compétences qui ne dit pas son nom ?
Par Franck Lemarc
Si les associations d’élus, à commencer par l’AMF, sont plutôt favorable à une évolution des prérogatives des polices municipales, elles ont toujours clairement dit qu’il était hors de question que cette évolution camoufle un transfert de compétence à bas bruit – c’est-à-dire que l’État se défausse discrètement sur les communes d’un certain nombre de compétence de sécurité… sans moyens supplémentaires.
Les déclarations récentes du ministre de l’Intérieur peuvent faire craindre un tel scénario.
« Complémentarité »
Pour mémoire, le projet de loi présenté en Conseil des ministres fin octobre permet d’accorder certains prérogatives de police judiciaire aux policiers municipaux, sous condition expresse d’accord du maire.
Il s’agit d’un vieux débat, qui n’est pas que technique : les policiers municipaux agissent sous l’autorité du maire – mais s’ils se voient dotés de compétences de police judiciaire, ils passeront, au moins en partie, sous celle des procureurs. Par deux fois, dans le passé, des gouvernements ont tenté de doter les polices municipales de compétences judicaires – en 2011 et 2021 – mais ces tentatives ont, à chaque fois, été censurées par le Conseil constitutionnel.
Un accord a finalement été trouvé au printemps dernier dans le cadre du Beauvau des polices municipales. La solution proposée dans le projet de loi à présent déposé au Sénat consiste à placer les policiers municipaux, si le maire en est d’accord, sous une sorte de double tutelle : celle du maire, lorsqu’ils exercent les missions classiques des policiers municipaux ; et celle du procureur de la République, lorsqu’ils exercent des missions de police judiciaire. Le projet de loi prévoit neuf infractions qui pourraient désormais être constatées et verbalisées par des policiers municipaux et des gardes champêtres, allant de la vente à la sauvette à l’usage de stupéfiants en passant par l’occupation illicite de hall d’immeuble, la conduite sans permis, l’outrage sexiste et sexuel, etc. Il s’agit uniquement d’infractions qui peuvent être constatées en flagrance et immédiatement punies par une amende forfaitaire délictuelle : les policiers municipaux et gardes champêtres n’auraient pas le pouvoir de mener des actes d’enquête. Ils auraient désormais, en revanche, la possibilité de procéder à des relevés d’identité.
L’AMF, en juin dernier, s’est déclarée favorable à cette évolution, dans la mesure où elle relèverait strictement de la volonté du maire. Mais l’association pose une autre ligne rouge, dans un communiqué du 27 juin dernier : la garantie du « respect de la complémentarité des polices municipales avec les forces de sécurité intérieure », et non « leur subordination ni leur substitution ». Autrement dit, cette réforme doit permettre une meilleure complémentarité des polices municipales et des forces nationales, à des fins d’efficacité, mais il est hors de question que l’État se décharge de ses compétences sur les polices municipales. Le Conseil d’État lui-même, dans son commentaire sur ce projet de loi, a répété qu’il ne s’agit pas « d’un transfert de compétences », mais d’un aménagement de compétence – ce qui justifie d’ailleurs, à ses yeux, que la réforme ne s’accompagne d’aucun moyens financiers, autre sujet d’inquiétude pour l’AMF.
L’association, dans le même communiqué, insiste sur la nécessité « d’un engagement fort de l’État dans ses missions régaliennes de sécurité (…) pour éviter un transfert de charges supplémentaire vers les communes et les intercommunalités ».
« Déchargés de ces missions »
Mais voilà que Laurent Nuñez, le ministre de l’Intérieur, vient réveiller les craintes à ce sujet. Dans une interview publiée dimanche 16 nombre dans La Tribune dimanche, le ministre commente ce texte, et dit espérer qu’il sera adopté « avant les élections municipales » – ce qui paraît illusoire. Il décrit les nouveaux délits que les policiers municipaux auraient désormais la possibilité de constater et de verbaliser, et ajoute : « Les effectifs de la police nationale et de la gendarmerie seront ainsi déchargés de ces missions, qui touchent peut-être un peu plus à la tranquillité publique. »
Le ministre a choisi ses mots : il ne dit pas que les forces de sécurité nationales verront leur tâches allégées par la coopération des polices municipales, mais utilise l’expression « déchargés de ces missions ». Est-ce que cela signifie que dans les communes où les maires auront fait le choix de doter les policiers municipaux de ces prérogatives judiciaires, les policiers nationaux et les gendarmes recevront instruction de laisser entièrement le constat de ces délits aux policiers municipaux, pour se consacrer à d’autres tâches ? C’est exactement ce que ne veut pas l’AMF, d’autant plus, répétons-le, que la réforme se fait sans aucun moyen financiers, alors qu'elle aura un coût certain. Il pourrait donc s’agir, dans l’esprit de Laurent Nuñez en tout cas, d’un véritable transfert de compétences qui ne dit pas son nom, ce qui constituerait un accroc sérieux au consensus obtenu lors du Beauvau.
Nul doute que cette question sera débattue ce matin lors du débat qui aura lieu au congrès de l’AMF sur « la place du maire dans la sécurité », lors duquel une séquence est notamment prévue sur « la coopération opérationnelle entre les communes et l’État ». Il est bien dommage que ni le ministre de l’Intérieur ni sa ministre déléguée ne soient là pour répondre aux interrogations des maires.
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