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Édition du mardi 19 janvier 2021
Numérique

Pourquoi la Cnil a interdit au ministère de l'Intérieur d'utiliser des drones équipés de caméras

La Commission nationale de l'informatique et des libertés a interdit sans exception possible, le 12 janvier, au ministère de l'Intérieur de recourir aux drones équipés de caméras tant qu'un texte ne réglementerait pas leur utilisation. Le ministère a eu recours à ces engins « en dehors de tout cadre légal » à des fins de surveillance pendant la première période de confinement (mars-mai 2020).

Les forces de l’ordre rappelées à l’ordre… A l’issue d’une procédure de contrôle, initiée en mai 2020, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a décidé, le 12 janvier, de « sanctionner »  le ministère de l’Intérieur (la Cnil ne peut toutefois pas infliger d’amende à l’Etat), pour son utilisation « illicite »  de drones équipés de caméras. Ces engins veillaient, à ce moment-là, « en dehors de tout cadre légal », au respect des mesures de confinement. Plusieurs centaines de drones avaient été commandés par l’Etat en avril.
Au-delà de cette seule pratique, la Cnil « enjoint (surtout) au ministère de se mettre en conformité avec la loi Informatique et Libertés (et) de cesser tout vol de drone jusqu’à ce qu’un cadre normatif l’autorise ». Ce qui n’est pas le cas jusque-là ! 
Cette interdiction s’applique donc pour « l’ensemble des forces de l’ordre dès lors qu’elles agissent sous l’autorité du ministère, qu’il s’agisse de services de police ou de gendarmerie, sur l’ensemble du territoire ». Et ce en tout temps, période de confinement ou non, « quelles que soient les finalités poursuivies ». En cas de non respect de sa délibération par le ministère, expliquent nos confrères de ZDNet, la Cnil peut soit reprendre une sanction de même nature (c'est-à-dire un rappel à l'ordre rendu public), soit initier une procédure d'urgence dans le cadre de laquelle elle saisirait le Premier ministre pour qu'il prenne les mesures permettant de faire cesser la violation constatée, selon la loi de 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

Les personnes filmées susceptibles d’être identifiées

La Cnil s’est saisie du dossier après la parution au printemps d’articles de presse révélant l’utilisation de ces drones par les forces de l’ordre. Le 23 avril, sa présidente, Marie-Laure Denis, a adressé un courrier au ministère de l'Intérieur « afin d’obtenir des précisions sur ces dispositifs et leurs caractéristiques ». Deux semaines plus tard, le 7 mai, elle faisait « procéder à des contrôles concernant l’usage des drones ». « En réponse, rapporte la Cnil, le ministère a indiqué utiliser des drones équipés de caméras, notamment pour vérifier le respect des mesures de confinement, pour la surveillance de manifestations, pour des missions de police judiciaire (telles que la reconnaissance d’un lieu avant une interpellation ou la surveillance d’un trafic de stupéfiants), ou encore pour la surveillance de rodéos urbains. » 
Toujours est-il que ces contrôles ont surtout pu établir « que les personnes filmées par ce type de dispositif étaient susceptibles d’être identifiées », un traitement de données qui ne repose sur aucune base légale. 

Aucune base légale

Le ministère de l’Intérieur a manqué à plusieurs obligations de la loi Informatique et Libertés, en conclut la Cnil. L’une d’elles dit clairement que « les traitements mis en œuvre par l’Etat, pour prévenir ou détecter les infractions pénales, mener des enquêtes ou se prémunir contre des atteintes à la sécurité publique, doivent être prévus par un texte (législatif ou réglementaire) ». Une « analyse d’impact doit (par ailleurs) être réalisée lorsque ces traitements présentent un risque élevé pour les droits et libertés des personnes ». 
Or, aucune de ces conditions n’est respectée. « A ce jour, aucun texte n’autorise le ministère de l'Intérieur à recourir à des drones équipés de caméras captant des images sur lesquelles les personnes sont identifiables (le floutage a été mis en place à partir du mois d’août 2020 seulement, ndlr). De même, alors qu’elle est obligatoire, aucune analyse d’impact n’a été communiquée à la CNIL concernant l’utilisation de ces drones. Le public n’était pas non plus informé de l’utilisation des drones comme il aurait dû l’être. » 
En décembre, le Conseil d’Etat avait déjà interdit l’usage de drones pour surveiller les manifestations sur la voie publique. En mai dernier déjà, le Conseil d’Etat, encore lui, avait suspendu l’usage des drones pour faire respecter à Paris les mesures sanitaires dans le cadre du déconfinement.
Le dispositif de floutage par intelligence artificielle, développé par la préfecture de police de Paris pour contourner cette interdiction, est, enfin, critiquable à bien des égards, selon la Cnil. « Ce mécanisme ne peut pas être exécuté directement par le drone. Des images contenant des données personnelles sont donc collectées, transmises et traitées par le ministère de l'Intérieur avant que ce système de floutage ne soit appliqué. Enfin, ce mécanisme n’empêche pas nécessairement l’identification des personnes dès lors que les services du ministère de l'Intérieur sont en mesure de désactiver le floutage. » 

Le ministère « respectera les termes »  de la sanction

Le ministère de l'Intérieur a déclaré qu'il prenait acte de cette décision dont « il respectera les termes », rapporte Reuters... en attendant la promulgation de la loi sécurité globale. Adopté en première lecture à l’Assemblée nationale avant son examen au Sénat en mars 2021, l’article 22 de cette loi prévoit d’autoriser l’usage des drones lors de manifestations « lorsque les circonstances font craindre des troubles graves à l’ordre public ». Cette mesure a fait l’objet de vives critiques et de manifestations de la part d’associations de défense des libertés.

Ludovic Galtier

Accéder à la décision de la Cnil.

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