Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mercredi 15 octobre 2025
Nouvelle-Calédonie

Le gouvernement présente sa réforme constitutionnelle visant à créer un « Ã‰tat de Nouvelle-Calédonie »

Le gouvernement a présenté hier, en Conseil des ministres, un projet de loi constitutionnel relatif à la Nouvelle-Calédonie, visant à modifier la Constitution pour y transposer les dispositions de l'accord de Bougival du 12 juillet 2025. La proposition de loi visant à reporter les élections provinciales sera, elle, débattue dès aujourd'hui au Sénat. 

Par Franck Lemarc

Il y a urgence, comme l’a encore répété le Premier ministre hier devant les députés. À ce jour, sans modification législative, les élections provinciales en Nouvelle-Calédonie, déjà reportées deux fois, doivent se tenir au plus tard le 30 novembre prochain, ce qui supposerait la publication d’un décret de convocation des électeurs d’ici une quinzaine de jours. Bien que les indépendantistes s’opposent absolument à tout nouveau report, le gouvernement, en métropole, est décidé à y procéder et il a le soutien de la plupart des forces politiques. 

Report des élections

Ainsi, une proposition de loi visant à reporter les élections provinciales et celles au Congrès de Nouvelle-Calédonie au 28 juin 2026 au plus tard a été déposée au Sénat, et elle est cosignée par six présidents de groupes, allant du PS aux LR. Ce texte proroge également le mandat des élus actuels jusqu’à cette date. 

Témoin de l’urgence de voir ce texte adopté, il est le premier inscrit à l’agenda du Sénat et sera examiné en séance publique dès aujourd’hui.

Au vu de la composition du Sénat, il ne fait aucun doute que le texte sera adopté très largement : un seul groupe, celui des sénateurs communistes, qui comprend un membre kanak et indépendantiste, Robert Wienie Xowie, signataire des seuls amendements à ce texte et d’une motion de rejet. Cette motion, même si elle n’a aucune chance d’être adoptée, met toutefois le doigt sur un problème réel : dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, il est indiqué que le texte s’appuie sur l’accord de Bougival, qui aurait été « signé par l’ensemble des partenaires politiques calédoniens » . C'est en réalité bien plus compliqué que cela : les indépendantistes, même s'ils ont validé un document à l'issue des négociations de Bougival, ont indiqué ensuite, dans un courrier adressé au Premier ministre, que ce document était pour eux un document de travail et non un accord. Et ils ont rejeté, formellement, l'accord publié par la suite au Journal officiel. On se rappelle d’ailleurs que, fait inédit, l’accord de Bougival a même été publié au Journal officiel, le 6 septembre… en tant que texte provisoire et sans qu’aucune signature, ni même une liste de signataures, n’y figure. En conséquence, estime le sénateur kanak, « fonder un nouveau report électoral sur un document non partagé est politiquement aventureux et juridiquement bancal ». 

Quoi qu’il en soit, le texte sera adopté par le Sénat et devrait être transmis très rapidement à l’Assemblée nationale.

« Nationalité calédonienne » 

Deuxième étage de la fusée : le projet de loi constitutionnelle présenté hier en Conseil des ministres. On rentre ici « dans le dur » , puisqu’il s’agit de modifier la Constitution pour y faire entrer les dispositions issues de l’accord de Bougival, dont la plus spectaculaire – et la plus originale – est la création d’un « État de la Nouvelle-Calédonie »  intégré dans l’État français.

Ce texte comporte trois articles. Dans l’exposé des motifs, il est expliqué que le texte s’appuie sur les dispositions de l’accord de Bougival, qui « scelle une volonté partagée de bâtir un cadre institutionnel renouvelé et pérenne » . Contrairement à la proposition de loi évoquée plus haut, l’exposé des motifs reconnaît que les indépendantistes ont « exprimé des réserves »  – ce qui est tout de même un sérieux euphémismes lorsque l’on se rappelle que le FLNKS a parlé de texte « colonial » . Mais les autres partenaires, ceux qui ont signé le texte, « s’accordent à reconnaître que cet accord est la condition d’une paix civile durable et d’une stabilité retrouvée ». 

L’article 1er du texte prévoit l’approbation de l’accord de Bougival par la population de Nouvelle-Calédonie – c’est-à-dire un référendum. Question cruciale, quand on se souvient que la question du corps électoral est celle qui a mis le fu aux poudres à l’été 2024 : qui pourra participer à ce référendum ? Réponse du gouvernement : les citoyens inscrits sur la « LESC » , la liste électorale spéciale à la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté. Autrement dit, une liste gelée en 1998, ou éventuellement ouverte aux personnes pouvant « justifier d'une durée de vingt ans de domicile continu en Nouvelle-Calédonie (…) au plus tard au 31 décembre 2014 ». 

Le Conseil d’État, s'appuyant sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel, a validé cette restriction du corps électoral.

L’article 2 du texte vise à modifier la Constitution, en récrivant ou créant cinq articles (art. 76 à 80). 

Le nouvel article 76 constitutionnaliserait l’accord de Bougival, en disposant qu’une loi organique détermine « la répartition des compétences entre l’État et les institutions de Nouvelle-Calédonie », les modalités de transfert, le fonctionnement de ces institutions et les règles fiscales et financières du transfert de compétences. 

L’article 77 permettrait la création d’un « État de la Nouvelle-Calédonie » , dont l’assemblée délibérante serait susceptible d’adopter, à la majorité des trois cinquièmes, une « loi fondamentale » , c’est-à-dire une Constitution, même si le terme n’est pas utilisé puisqu’il ne peut y avoir, en France, qu’une seule Constitution. Cette « loi fondamentale »  pourrait déterminer, d’une part, les « signes identitaires »  de l’État de la Nouvelle-Calédonie (drapeau, devise…) et un code de la citoyenneté, et, d’autre part, la répartition des compétences entre les différentes institutions et leurs règles d’organisation et de fonctionnement.

L’article 79, aussi extrêmement important, créerait une « nationalité calédonienne », qui ne pourrait être accordée qu’aux citoyens de nationalité française (il s’agirait donc d’une double nationalité) remplissant un certain nombre de conditions précisément listées dans le projet de loi. Seraient notamment autorisés à prendre la nationalité calédonienne les personnes nées dans l’archipel de parents « remplissant les conditions d’acquisition de la nationalité calédonnienne »  ou, s’ils ne la remplissent pas, résidant en Nouvelle-Calédonie depuis une durée « fixée par la loi fondamentale ». Les personnes résidant en Nouvelle-Calédonie depuis au moins dix ans à la date de demande de nationalité seraient également incluses.

État dans l’État 

Pour mémoire, cet « État dans l’État »  que serait l’État de Nouvelle-Calédonie pourrait – comme on peut le lire dans l’accord de Bougival – se voir à terme transférer des compétences régaliennes dans le domaine de la défense, de la monnaie, de la sécurité, de la justice et du contrôle de légalité.

L’accord précise également que les communes de Nouvelle-Calédonie resteraient « des collectivités territoriales de la République », mais deviendraient, en même temps, des « institutions de la Nouvelle-Calédonie », auxquelles le nouvel « État »  pourrait transférer des compétences. 

L’État de Nouvelle-Calédonie pourra également être reconnu par les autres États et donc entretenir des relations diplomatiques avec eux. 

Le texte présenté en Conseil des ministres, et qui sera examiné en premier lieu par le Sénat, prévoit que la nouvelle rédaction de la Constitution qui en résulterait entrerait en vigueur au lendemain de la publication au Journal officiel des résultats du référendum entérinant les accords de Bougival. 

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