Maire-info
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Édition du jeudi 10 juillet 2025
Élections

Mode de scrutin à Paris, Lyon et Marseille : la réforme définitivement adoptée malgré un dernier rejet par le Sénat

Sans surprise, les sénateurs ont rejeté hier, à une écrasante majorité, la proposition de loi sur la réforme du mode de scrutin à Paris, Lyon et Marseille. Contrairement à ce qu'avait promis le Premier ministre, le texte a donc été adopté, ce matin, contre l'avis de la chambre des collectivités. 

Par Franck Lemarc

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© Wikipedia

La séance du soir, hier au Sénat, s’est apparentée à un véritable chemin de croix pour Patrick Mignola, chargé de défendre le texte au nom du gouvernement devant des sénateurs vent debout contre la réforme. Cruellement surnommé « ministre commis d’office »  par un sénateur – du fait que ses attributions de ministre chargé des relations avec le Parlement n’ont rien à voir avec l’objet de ce texte, qui aurait nécessité la présence du ministre de l’Intérieur, chargé de l’organisation des élections –, Patrick Mignola n’a pu que laisser passer la tempête, pendant deux heures, et assumer la stratégie et les erreurs de ses collègues du gouvernement. 

« Une pyramide de mensonges » 

Les sénateurs ne se sont en effet pas privés, à maintes reprises, de rappeler mot pour mot la phrase de François Bayrou prononcée en février dernier : « Je n'imagine pas qu'un texte puisse être adopté sur ce sujet sans qu'il y ait accord de l'Assemblée nationale et du Sénat. »  Et pourtant : il n’y a pas d’accord, le Sénat est toujours violemment opposé à ce texte, mais il sera « adopté »  quand même, dès ce matin. 

Pendant la séance, la réforme n’a trouvé le soutien que des sénateurs du groupe RDPI (macronistes) et MoDem, tandis que Républicains, socialistes, communistes et écologistes n’ont pas tari de reproches sur une réforme « bâclée », « ni faite ni à faire », « bâtie sur une pyramide de mensonges » . Une fois encore, les sénateurs ont fustigé le fait que cette réforme – qui va concerner 3,5 millions d’électeurs, tout de même – passe sous la forme d’une proposition de loi, d’origine parlementaire donc, et non d’un projet de loi présenté par le gouvernement. La différence n’est pas mince : rappelons qu’un projet de loi nécessite obligatoirement un avis du Conseil d’État et une étude d’impact. En passant par le biais d’une proposition de loi, le gouvernement échappe à ce double contrôle. 

Les sénateurs ont également rejeté l’idée que « 91 % des Parisiens »  seraient favorables à la réforme, comme le prétend le gouvernement. Selon le Républicain Francis Szpiner, ce chiffre est issu d’un sondage où il fallait répondre à la question « Voulez-vous élire directement votre maire ? » . La question est, en effet, bien mal posée : ni avant ni après la réforme, les électeurs de Paris, Lyon et Marseille n’éliront « directement »  leur maire – pas plus que dans n’importe quelle autre commune du reste, où le maire est toujours élu non par les électeurs mais par le conseil municipal. 

Prime majoritaire

Le Sénat a aussi vertement critiqué la proposition de passer la prime majoritaire à 25 % dans ces trois villes, au lieu de 50 % dans toutes les autres communes – certains sénateurs, comme l’écologiste Guy Benarroche et la socialiste Marie-Pierre de la Gontrie, se disant convaincus que cette décision est issue d’un « deal »  pour « s’assurer les voix du Rassemblement national ». 

Beaucoup se disent d’ailleurs convaincus que le Conseil constitutionnel va retoquer cette mesure, dans la mesure où elle constituerait une « rupture d’égalité »  entre les électeurs. L’argument est étonnant : de facto, depuis des dizaines d’années, les trois plus grandes villes de France ont déjà un mode de scrutin dérogatoire par rapport à toutes les autres communes. Notons au passage que plusieurs députés ont fait remarquer que selon l’Insee, la ville de Toulouse va probablement passer dès cette année devant Lyon et devenir la troisième commune la plus peuplée de France. D’où l’argument du sénateur Stéphane Le Rudelier (LR), qui s’est demandé s’il ne valait pas mieux, plutôt que de réformer le scrutin de Paris, Lyon et Marseille, réfléchir à « un mode de scrutin spécifique pour les villes de plus de 500 000 habitants ». 

Arguments baroques

Du côté du gouvernement, les arguments les plus baroques ont été utilisés, notamment à propos de la prime majoritaire à 25 % : pour Patrick Mignola, les conseils municipaux des trois plus grandes villes « se rapprochent par leur taille des conseils régionaux » … d’où l’idée de leur appliquer la prime majoritaire de 25 %, en vigueur dans les élections régionales. « Les bras m’en tombent », s’est exclamée la sénatrice socialiste Colombe Brossel, également conseillère municipale à Paris. « Prenez-nous au moins un peu au sérieux ! ». 

Sur tous les bancs, en dehors des soutiens du gouvernement, ce dernier a été accusé de mener, fondamentalement, une réforme de complaisance, certains parlant même de « conflit d’intérêt »  et faisant mine de s’étonner que ce ne soit pas la ministre de la Culture, Rachida Dati, qui soit venue défendre le texte devant le Sénat, puisque « ce texte ne vise en fait qu’un objectif : que Mme Dati soit élue maire de Paris »  (Marie-Pierre de la Gontrie). 

À l’issue des débats, après que tous les articles du texte eurent été impitoyablement rejetés par le Sénat, la présidente de la commission des lois, Muriel Jourda, a constaté qu’en seconde lecture, « le Sénat a rejeté ce texte encore plus massivement qu’en première ». Mais tout en sachant que le gouvernement ira au bout en faisant adopter ce texte à l’Assemblée nationale. « Quelle confiance pouvons-nous avoir, quand vous passez outre à notre vote, contrairement à vos engagements ? », a regretté Muriel Jourda. 

Adoption express à l’Assemblée nationale

Dès ce matin, donc, l’ordre du jour de la session extraordinaire de l’Assemblée nationale a été bouleversé : à 9 heures, dans un Hémicycle plus qu’aux trois quarts vides, le ministre Patrick Mignola a demandé aux députés d’adopter « en lecture définitive »  ce texte. Convoquant Racine, le ministre a estimé que cette proposition de loi « ne méritait ni cet excès d’honneur ni cette indignité ». 

Jean-Paul Mattei (MoDem), rapporteur de la commission des lois, a déclaré avant le vote, avec une certaine audace : « Vous ne pourrez que constater le large soutien du Parlement à ce retour au droit commun pour Paris, Lyon et Marseille. » 

L’Assemblée s’est prononcée sur l’ensemble du texte, dans débattre une énième fois de chaque article : sur une cinquantaine de minutes, la parole a été donnée aux orateurs de chaque groupe pour expliquer leur vote – et les positions ont été les mêmes que lors des précédents débats.

Se sont prononcés pour ce texte le parti macroniste EPR et le MoDem, le RN et les ciottistes, ainsi que La France insoumise. Les Républicains, en total désaccord avec leurs collègues du Sénat, se sont prononcés pour ce texte, jugeant qu’il « répond à une exigence démocratique fondamentale ».

En face, les députés socialistes, communistes, écologistes, Liot et Horizons ont annoncé qu’ils voteraient contre. 

Résultat : la proposition de loi a été définitivement adoptée avec 112 voix pour et 28 contre.

Maire info reviendra, dans son édition de demain, sur son contenu définitif – en attendant un éventuel avis du Conseil constitutionnel qui pourrait, ou non, censurer certains articles de la nouvelle loi. 

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