Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mardi 7 octobre 2025
Crise politique

Mission Lecornu : dernière station avant la dissolution ?

L'Élysée a chargé Sébastien Lecornu, Premier ministre démissionnaire, de poursuivre les négociations jusqu'à mercredi soir pour tenter de constituer une coalition. Quelles sont les hypothèses qui se présentent désormais ? Maire info fait le point. 

Par Franck Lemarc

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© Assemblée nationale

Dans les heures qui ont suivi le séisme de la démission du Premier ministre, les événements se sont enchaînés, avec notamment l’annonce d’une nouvelle date butoir à l’issue de laquelle on en saura – peut-être – un peu plus sur l’avenir institutionnel du pays. 

« Ultimes négociations » 

« Mercredi soir ». C’est l’échéance qu’a fixée l’Élysée, hier, pour que Sébastien Lecornu, « Premier ministre démissionnaire en charge des affaires courantes », mène « d’ultimes négociations afin de définir une plateforme d’action et de stabilité pour le pays ». Les mots sont choisis : il n’est pas demandé à Sébastien Lecornu de « former un nouveau gouvernement »  – l’intéressé précisant, dans la foulée, qu’il ne souhaite pas être le Premier ministre d’une éventuelle et très hypothétique nouvelle coalition.

Sébastien Lecornu aura fort à faire dans les jours à venir puisque, en plus de son rôle de Premier ministre « chargé des affaires courantes »  et de négociateur, il a récupéré hier le portefeuille … des Armées, qu’il occupait jusqu’au 5 octobre. Bruno Le Maire, nommé ministre des Armées dimanche soir – ce qui a mis le feu aux poudres entre les macronistes et Les Républicains – s’est prudemment retiré de l’hôtel de Brienne pour retourner en Suisse. Un décret au Journal officiel, ce matin, indique que Bruno Le Maire est, « à sa demande, déchargé de l’expédition des affaires courantes », et que ses attributions sont désormais « exercées par le Premier ministre ». 

L’entourage du chef de l’État a fait savoir aux médias, hier, qu’en cas d’échec de la mission confiée à Sébastien Lecornu, Emmanuel Macron « prendra ses responsabilités ». Le Premier ministre a confirmé, dans un tweet, que le président de la République, en fonction des réponses qui lui seront apportées, en tirera « toutes les conclusions qui s’imposent ». 

Le spectre de la dissolution 

« Prendre ses responsabilités », en l’occurrence, signifie exercer les responsabilités que la Constitution confère au chef de l’État, à savoir dissoudre l’Assemblée nationale ou démissionner. C’est donc, à demi-mot, la menace que l’Élysée adresse aux partis politiques qui n’ont pas tous, loin de là, intérêt à une dissolution. 

Le message s’adresse en premier lieu au PS et aux LR, les deux partis qui ont probablement le plus à perdre – en dehors du bloc central lui-même – à une dissolution. Le chaos politique qui secoue le pays depuis la dissolution de juin 2024 profite, essentiellement, au Rassemblement national, qui caracole en tête de tous les sondages, et qui risquerait de sortir grand gagnant de nouvelles élections législatives anticipées. D’autant plus que le « front républicain », qui avait empêché le RN d’obtenir une majorité à l’Assemblée nationale en juillet 2024, ne fonctionnera sans doute plus de la même façon… ou fonctionnera à front renversé. De plus en plus de voix s’élèvent, chez Les Républicains, pour dire que ce n’est plus le RN qui est « un danger pour la République »  mais LFI – dans la foulée du discours de Laurent Wauquiez à l’Assemblée nationale, le 8 septembre à l’Assemblée nationale, lors duquel il avait déclaré que LFI constituait « le premier danger politique contre notre République »  et que les Républicains seraient « le premier barrage face à cette menace ». Fin septembre, le sénateur LR Roger Karoutchi appelait, plus franchement encore, à « un front républicain contre LFI aux prochaines élections ». 

La participation des Républicains à la coalition gouvernementale depuis un an pourrait leur coûter cher en cas de législatives anticipées – et la rupture effectuée avec fracas hier risque de ne pas suffire à colmater la brèche. D’autant que le parti pourrait se retrouver lourdement fracturé entre les tenants d’une alliance – même tacite – avec le RN et ceux qui en restent des adversaires résolus, ce qui pourrait, dans le pire des scénarios, aboutir à l’explosion du parti. 

À gauche, en dehors de LFI, la perspective d’une dissolution n’est guère plus prisée : le Parti socialiste, en particulier, risquerait de perdre de nombreux sièges qu’il n’a remportés qu’à l’occasion d’un double alignement des planètes : l’union de la gauche au sein du Nouveau front populaire, et le « front républicain »  qui a conduit des électeurs macronistes, voire de droite, à voter pour lui. Ces deux conditions ayant aujourd’hui volé en éclat, le PS risque de se retrouver en mauvaise posture en cas de législatives anticipées. 

Quant au bloc central, sa situation est encore moins enviable : il est jugé comptable de la situation politique catastrophique par les électeurs qui, de sondages en élections partielles, le fuient. Cruelle illustration de cette situation : la législative partielle qui s’est déroulée dimanche dernier dans la première circonscription du Tarn-et-Garonne. Catherine Simonin-Benazet, la candidate Renaissance, y a recueilli 5,3 % des voix… contre 15,49 en juin 2024, passant de 9 791 voix à 1 652. Il est vrai, toutefois, que la participation n’a pas été la même, passant de 70 % à … 34 %. 

Ces sombres perspectives pour le bloc central expliquent la fronde de Gabriel Attal, principal dirigeant du parti macroniste, contre le chef de l’État. « Je ne comprends plus les décisions du président de la République », a déclaré hier l’ancien Premier ministre, qui semble ne voir de salut pour son parti – et pour son avenir personnel de présidentiable – que dans une rupture avec le chef de l’État. 

La « mission de la dernière chance »  confiée à Sébastien Lecornu semble donc bien être un coup de pression d’Emmanuel Macron sur le PS et les LR : s’ils n’acceptent pas de rentrer dans un gouvernement de coalition ou, a minima, de passer un accord de non-censure, le président dissoudra l’Assemblée nationale et ils ont tout à y perdre.

Hypothétique « plateforme » 

Les chances de voir cette coalition voir le jour sont faibles. À l’heure où nous écrivons, les Républicains comme les socialistes se disent ouverts à l’idée d’une participation gouvernementale, mais uniquement… sur leur programme. Brunot Retailleau (LR) a ainsi indiqué ce matin que son parti est prêt à participer à un gouvernement « de cohabitation » . Là encore, les mots sont choisis : la cohabitation, telle que le pays l’a vécue en 1986 ou en 1997, cela signifie un gouvernement en opposition avec le parti du président de la République, et non une coalition. 

La gauche est, finalement, sur la même ligne, lorsqu’elle subordonne sa participation gouvernementale à la mise en œuvre de mesures telles que l’abrogation de la réforme des retraites. 

L’attitude des partis correspond parfaitement à ce que disait Sébastien Lecornu hier : « Chaque parti se comporte comme s’il avait la majorité absolue à l’Assemblée nationale. »  Mais elle est, politiquement parlant, compréhensible : dans la situation actuelle, accrocher son wagon au train du macronisme sans rupture politique profonde, que ce soit à gauche ou à droite, serait électoralement suicidaire. 

Sauf coup de théâtre, il paraît donc relativement peu probable de voir aboutir ces négociations pour « la mise en place d’une plateforme ». Peut-être un nouveau gouvernement sera-t-il tout de même trouvé, avec un Premier ministre de gauche ou LR… mais ses chances de survie seront d’autant plus réduites que le RN a décidé, hier, que désormais il censurerait automatiquement tout gouvernement, quel qu’il soit, jusqu’à la dissolution. 

L’hypothèse du départ d’Emmanuel Macron

Autre hypothèse : le départ d’Emmanuel Macron. Deux situations pourraient aboutir à cette solution : une destitution ou une démission.

La destitution, si elle est ardemment souhaitée par La France insoumise, est impossible et relève du bluff de la part du parti de Jean-Luc Mélenchon, qui a déposé une motion en ce sens. 

La destitution du chef de l’État est une procédure prévue par l’article 68 de la Constitution, en cas de « manquement (de celui-ci) à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Mais la Constitution prévoit que cette destitution ne peut être décidée qu’avec une majorité des deux tiers du Parlement « constitué en Haute cour ». Le Parlement, c’est l’Assemblée nationale et le Sénat. Il est, en l’état actuel des choses, impossible que les deux tiers du Sénat, très majoritairement de droite, fasse un tel choix. 

Reste la démission, qui aurait pour conséquence une élection présidentielle anticipée dans les 20 à 35 jours suivants. Jusqu’à présent, cette option a été expressément exclue par le chef de l’État, qui a dit et répété qu’il irait « au bout du mandat que les Français (lui) ont donné ». Rien ne dit, néanmoins, que le chef de l’État ne puisse changer d’avis face à l’impasse politique.

Une autre option commence à faire son chemin, du moins dans l’esprit de certains dirigeants politiques : celle de la démission « programmée ». Il s’agirait, pour le président de la République, non pas d’annoncer une démission à effet immédiat – provoquant l’organisation d’une présidentielle en catastrophe, laissant à peine le temps aux candidats de recueillir les parrainages des élus ; mais de prévoir une démission à une date ultérieure.

Le LR David Lisnard a été l’un des premiers à prôner cette solution, il y un an. Hier encore, le maire de Cannes expliquait sur RTL que « l’intérêt supérieur de la France commande qu’Emmanuel Macron programme sa démission ». Cela permettrait « quelques mois de vraie campagne qui laissent le temps de s’organiser ». Avec des législatives qui auraient donc lieu non avant mais après l’élection présidentielle.

Coup dur pour le chef de l’État : l’un de ses plus anciens alliés, l’ex-Premier ministre Édouard Philippe, a annoncé ce matin se rallier à cette idée. Pour le maire du Havre, Emmanuel Macron devrait « nommer un Premier ministre avec pour fonction d’exécuter les affaires courantes, de construire un budget et de le faire adopter », et annoncer dans le même temps qu’il démissionnerait une fois le budget adopté. 

Il semble clair qu’un telle solution pourrait permettre de débloquer la situation, en ouvrant une porte aux partis politiques pour participer, ou du moins ne pas censurer, un tel gouvernement « technique », avant de se lancer dans l’arène d’une élection présidentielle. Mais cette solution finira-t-elle par avoir l’aval du chef de l’État ? Rien n’est moins sûr.

Affaires courantes

En attendant, on aurait presque tendance à oublier que le monde continue de tourner pendant cette tragi-comédie française. Étrange situation où un gouvernement composé de ministres démissionnaires, voire doublement démissionnaires puisqu’ils ont successivement connu la démission de François Bayrou et de Sébastien Lecornu, gèrent les « affaires courantes », alors que le Premier ministre n’a même pas eu le temps de publier les décrets d’attribution qui fixent, normalement, le périmètre de leur ministère.

Selon Acteurs publics, ils auraient été autorisés à recruter un cabinet de 15 membres chacun afin que la machine ministérielle puisse tourner le temps que durera la situation. En effet, qu’un nouveau gouvernement soit nommé ou que l’Assemblée soit dissoute, ce gouvernement sera aux affaires courantes pour, sans doute, au moins quelques semaines. Mais, n’étant plus ministres de plein exercice, ils seront dans l’impossibilité de prendre un certain nombre de décisions urgentes – on pense par exemple à la nomination, toujours en attente, des patrons de la SNCF et de La Poste – ni, plus grave encore, de siéger aux bancs du Parlement pour défendre des projets de loi. Constitutionnellement, le projet de loi de finances doit être déposé avant le 14 octobre pour pouvoir être adopté avant le 31 décembre. Cette perspective s’éloigne de plus en plus. 

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