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Édition du mardi 15 février 2022
Déchets

Mise en décharge : une disposition de la loi Agec jugée inconstitutionnelle

Le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution un article du Code de l'environnement issu de la loi anti-gaspillage du 10 février 2020, obligeant les installations de stockage de déchets non dangereux à réceptionner certains déchets issus de l'économie circulaire. Explications. 

Par Franck Lemarc

C’est une chose assez rare pour être signalée : deux ans tout juste après la parution d’une loi, le Conseil constitutionnel en a déclaré l’un des articles contraire à la Constitution, avec prise d’effet immédiate de cette décision. 

Les dispositions concernées

Il s’agit de l’article 91 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage à l’économie circulaire, dite loi Agec. Cette disposition est, par la suite, devenue l’article L541-30-2 du Code de l'environnement. 

Cet article dispose que tout exploitant d'une installation de stockage de déchets non dangereux non inertes est tenu d'y réceptionner les déchets ultimes des installations de réemploi, de recyclage et de valorisation, ainsi que « les résidus de tri qui en sont issus ». La loi définit plusieurs conditions pour cette obligation : le producteur de déchets doit informer l’exploitant de l’installation de stockage « de la nature et de la quantité de déchets à réceptionner »  avant le 31 décembre de l’année précédente et au moins six mois avant leur réception. Il doit « justifier de la quantité de déchets à réceptionner ». Et surtout, cette réception ne peut être facturée par l’installation de stockage à un prix supérieur « au prix habituellement facturé pour des déchets de même nature ». La mise en œuvre de cette obligation n’ouvre droit « à aucune indemnisation ». 

Les arguments de la Fnade

C’est sur ces deux derniers sujets que la Fnade (Fédération nationale des activités de dépollution) a saisi l’an dernier le Conseil d’État, qui a par la suite transmis le problème au Conseil constitutionnel sous forme de QPC (question prioritaire de constitutionnalité). La Fnade a fait valoir que cette disposition, premièrement, « oblige les exploitants à réceptionner certains déchets à un prix déterminé », ce qui constitue selon elle « une atteinte à la liberté contractuelle ». Et, d’autre part, elle a soutenu que « dans un contexte de saturation des capacités de stockage des installations existantes, l'obligation de réception mise à la charge des exploitants pourrait les conduire à refuser le traitement d'autres déchets, en méconnaissance des contrats préalablement conclus avec leurs apporteurs ». 

La décision du Conseil constitutionnel

Sur ce point, les Sages ont donné entièrement raison à la Fnade, dans une décision rendue le 11 février : « En obligeant les exploitants à réceptionner, par priorité, certains déchets ultimes, les dispositions contestées sont susceptibles de faire obstacle à l'exécution des contrats qu'ils ont préalablement conclus avec les apporteurs d'autres déchets. Elles portent donc atteinte au droit au maintien des conventions légalement conclues. »  Cela pourrait se justifier, estime le Conseil constitutionnel, si cette disposition était « proportionnée à l’intérêt général poursuivi », lui-même de valeur constitutionnelle – la protection de l’environnement. 

Sauf que les Sages estiment que les dispositions attaquées ne sont pas proportionnées à cet objectif. D’abord, parce que ces dispositions obligent les exploitants « à réceptionner tous les déchets ultimes qui (leur) sont apportés par certaines filières industrielles, quand bien même elles ne rencontreraient pas de difficultés pour procéder à leur traitement ». Autrement dit, le dispositif s’applique indifféremment aux déchets de valorisation, qu’ils aient ou non des difficultés à trouver des exutoires. 

Deuxième argument : le fait de devoir informer l’exploitant avant le 31 décembre de l’année précédente et six mois avant la réception ne garantit pas que l’exploitant « sera en mesure, à la date de réception de ces déchets, d'exécuter les contrats préalablement conclus avec les apporteurs d'autres déchets, dès lors que les dispositions contestées ne prévoient aucune exception à son obligation de réception ». 

Enfin, dans le cas où l’obligation attaquée aurait pour conséquence d’empêcher d’autres apporteurs de voir leurs déchets réceptionnés, ces derniers sont « privés de la possibilité de demander réparation de l’inexécution »  de leur contrat. 

Conclusion : ces dispositions « portent une atteinte manifestement disproportionnée au droit au maintien des conventions légalement conclues », ce qui les rend inconstitutionnelles, « sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres griefs ». 

« Aucun motif ne (justifiant) de reporter la prise d’effet de cette déclaration d’inconstitutionnalité », celle-ci est effective depuis la publication de cette décision. Néanmoins, si un producteur a « régulièrement informé »  un exploitant, avant la publication de la décision, « de la nature et de la quantité de déchets à réceptionner », la déclaration d’inconstitutionnalité ne peut être invoquée. 

Logiquement, cette décision fait également tomber le décret et l’arrêté d’application de cette disposition, signés tous les deux le 29 juin 2021.

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