Maire-info
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Édition du jeudi 21 juillet 2022
Logement

Trop lacunaires, les bases de données publiques rendraient la politique du logement insuffisamment efficiente

Déplorant la fragilité des bases de données publiques servant à la politique du logement et la dépendance croissante au secteur privé, la Cour des comptes recommande à l'État de « renforcer » la coordination avec les collectivités s'il veut accroître « substantiellement » sa « capacité d'information territoriale ».

Par A.W.

Des bases de données difficiles d’accès, trop complexes, pas suffisamment actualisées et parfois peu fiables… Dans un référé adressé au gouvernement et publié en début de semaine, la Cour des comptes fait état d’une série de « dysfonctionnements et risques, qui ne sont pas nouveaux »  s’agissant de la production et de l’utilisation des données utiles à la politique du logement.

Rappelant que « l’utilisation de données pertinentes sur les logements et leurs occupants constitue une condition essentielle pour [en] garantir l’efficience », le premier président de la Cour, Pierre Moscovici, souligne qu’« une politique éclairée par la donnée requiert, pour sa mise en œuvre, des données fiables, exhaustives, récentes et accessibles ». Or, « la capacité de l’État paraît insuffisante au regard des ambitions affichées », estime-t-il.

« Données trop fragiles »  et pilotage insatisfaisant

Bien que la Cour ait identifié 12 bases de données essentielles* pour la politique du logement et plusieurs autres plus spécifiques (sur le suivi des vacances de logements, le traitement de l’habitat indigne ou la gestion des situations éligibles au Dalo), celles-ci restent « difficiles d’accès et faiblement interopérables ». 

« L’absence d’une architecture globale de ces applications, leur actualisation à des rythmes trop peu fréquents et non coordonnés ainsi que la maille territoriale souvent trop large des données collectées réduit leur intérêt pratique », pointe l’ancien commissaire européen aux Affaires économiques et financières, qui déplore également « la complexité des bases, leur défaut d’actualisation et, dans certains cas, l’insuffisante fiabilité ou exhaustivité des données qu’elles contiennent ». 

Résultats, celles-ci seraient « trop fragiles [...] pour permettre un pilotage satisfaisant »  des politiques du logement. Elles rendraient donc « particulièrement fragiles »  les objectifs affichés par le gouvernement en matière de logement, alors que cette politique publique représente tout de même « un coût annuel proche de 40 milliards d’euros ».

Et Pierre Moscovici d’assurer que « le besoin de construire 500 000 nouveaux logements par an, régulièrement mis en avant publiquement, ne repose pas sur les travaux récemment conduits par la DHUP [Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages] et le Cerema, qui évaluent depuis 2014 ces besoins annuels à 370 000 nouveaux logements ».

Risque de dépendance aux données privées

En parallèle, le risque d’une dépendance au secteur privé ne cesse de grandir, celui-ci prenant « une part croissante »  à la production d’informations sur le logement, qui pourrait même, « sans réaction, supplanter la prééminence publique en matière d’information sur la politique du logement ».

« De nombreux sites internet privés facilitent désormais une connaissance géolocalisée des loyers comme des transactions foncières ou immobilières. Ces informations gagnent en précision et en fiabilité à tel point qu’elles viennent parfois nourrir ou étayer les bases publiques. À l’inverse, et malgré un travail rigoureux des associations départementales d’information sur le logement (Adil), financées par les partenaires publics, les 34 observatoires des loyers qui ont été installés ne permettent pas de couvrir tout le territoire national en temps réel », observe la Cour, qui pointe, dans ce contexte, « la perte des données liées à la perception de la taxe d’habitation ». 

En effet, celle-ci prive l’État de « données essentielles »  qui permettaient « d’associer des informations géolocalisées sur les logements avec la situation sociale de leurs occupants ».

Sans compter que le degré de précision géographique des données privées issues des actes notariés – qui sont appelées à « prendre un rôle prépondérant »  - reste « restreint à l’échelle communale »  et « leur accès à titre gracieux est limité dans les faits » … alors qu’elles sont censées être mises à la disposition du public à titre gratuit.

Une coordination à renforcer avec les collectivités 

Par ailleurs, la Cour recommande de « renforcer »  la coordination avec les collectivités, l’État devant « substantiellement accroître sa capacité d’information territoriale ». 

Un objectif qui impose que « le décloisonnement des bases de données s’opère non seulement entre administrations et opérateurs centraux ou déconcentrés de l’État, mais avec les collectivités territoriales concernées ». En effet, « plusieurs de ces dernières, au premier rang desquelles certaines métropoles, ont d’ores et déjà développé des outils pour évaluer les besoins de leur territoire ou assurer le suivi de leurs politiques relatives à l’habitat », fait remarquer Pierre Moscovici. 

Ainsi, une coordination renforcée avec ces collectivités permettrait de « mutualiser ces outils d’observation et de pilotage mutualisés et de contribuer à leur développement »  en mettant en place « un lac de données publiques, respectueux des normes de protection de la vie privée ».

Le logement intermédiaire « en danger », selon l’Afil

On peut enfin signaler une étude publiée hier par l’Association française de l’immobilier locatif (Afil), qui alerte quant à la « mise en danger »  de la production du logement intermédiaire du fait de la fin programmée du dispositif Pinel en 2024 au profit du dispositif LLI, « produit d’investissement destiné aux seuls acteurs institutionnels ». 

Ce remplacement des investisseurs particuliers par des institutionnels privés serait, selon l’association, « susceptible de mettre en très grande difficulté le logement intermédiaire en France ». En cause, le « manque de rentabilité de ce secteur pour les investisseurs institutionnels en comparaison des autres actifs existants, en dépit de l’incitation fiscale qui leur est dédiée ». 

« De fait, le retrait du dispositif Pinel diminuera drastiquement le nombre de logements intermédiaires construits estimé à 40 000 et 50 000 logements créés par an au cours des 20 années précédant le Covid », prévient l’Afil dans un communiqué.

Télécharger le référé de la Cour des comptes.

Télécharger l'étude de l'Afil.

 

* Sit@del2, bases Insee/notaires, demande des valeurs foncières (DV3F), registre du parc locatif social (RPLS), enquête nationale logement (ENL), recensement national, statistiques sur les ressources et conditions de vie (SRCV), système national d’enregistrement (SNE), l’outil territorialisé pour la production de logement (Otelo), base de la caisse nationale des allocations familiales, fichiers démographiques sur les logements et les individus (Fideli) et fichier des logements à la commune (Filocom).
 

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