Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du lundi 4 décembre 2023
Logement

Logement : une financiarisation qui ne cesse de creuser les inégalités

Un rapport de l'association Oxfam dresse un état des lieux alarmant de la situation du logement, qui objective les craintes exprimées par tous les acteurs du secteur depuis plusieurs années : la « bombe sociale à retardement » est en train d'exploser. 

Par Franck Lemarc

En 1960, la part du logement dans les dépenses des ménages représentait 9,5 % de leurs revenus. Aujourd’hui, elle est de 23 % en moyenne – et jusqu’à 32 % pour les ménages les plus modestes. L’explication en est assez simple : elle tient à la décorrélation complète entre la hausse des prix de l’immobilier et celle des revenus : « En vingt ans, constate Oxfam, les prix des biens immobiliers ont augmenté 4 fois plus vite que les revenus. » 

Financiarisation

Oxfam décrit dans son rapport, baptisé Logement : inégalités à tous les étages, le lent processus de désengagement de l’État du secteur et de « financiarisation »  du logement : peu à peu, le logement « se transforme en produit financier, provoquant des déséquilibres importants entre l’offre et la demande », y compris dans le secteur du logement aidé. Un chapitre du rapport montre de façon très documentée comment « les réformes du secteur aidé transforment les grands propriétaires bailleurs en gestionnaires d’actifs ». La loi permet aujourd’hui à des organismes HLM d’être financés par des fonds de pension, et Action logement lève à présent des emprunts obligataires sur les marchés financiers. Le rapport détaille à titre d’exemple le cas d’Ampere gestion, filiale de la Caisse des dépôts qui achète en bloc des logements sociaux, des chambres d’étudiants et des résidences pour les personnes âgées, en levant des capitaux sur les marchés : Ampere gestion compte à son capital des industriels, des banques, des assurances et des fonds de pension. Avec un objectif de rendement annuel de 5 %, que la société atteint en n’acquérant des logements que dans les zones les plus « prometteuses »  – non pas celles où les besoins sont les plus criants mais celles où le pouvoir d’achat est le plus élevé. « Ampere Gestion évite des municipalités jugées trop pauvres et périphériques, tout en concentrant son attention sur les zones à fort potentiel en gentrification, offrant d'importantes opportunités foncières et autour de projets de réaménagement plus lucratifs », écrit Oxfam.

À une échelle parfois plus modeste, le développement des niches fiscales pour attirer l’investissement privé – et qui concernent en général les ménages les plus fortunés – est une politique constante de l’État depuis des années, qui n’est pas sans conséquence sur les finances publiques. Selon les calculs d’Oxfam, « les trois niches fiscales relatives au logement ont coûté près de 11 milliards d’euros aux finances publiques en 12 ans », somme qui aurait pu permettre de financer « plus 70 000 logements sociaux ». 

Accession à la propriété

Le rapport décrit également les difficultés d’accession à la propriété pour les ménages modestes, du fait de l’explosion des prix de l’immobilier, avec un chiffre choc : « À Paris, (…) il y a 20 ans il fallait 3 500 euros brut par mois pour pouvoir s’acheter un  40 m². En 2022, il faut gagner en moyenne 8125 euros par mois. »   Certes, les prix de la capitale sont exceptionnels, mais la tendance est la même dans toutes les villes. Résultat, seuls les plus fortunés – notamment ceux qui touchent un héritage – peuvent acheter, les autres étant contraints de s’endetter sur des périodes de plus en plus longues : en 2000, il fallait en moyenne s’endetter pour 15,5 années pour s’acheter un logement, contre 22 ans aujourd’hui. 

Peu à peu, cette situation conduit à une concentration de plus en plus importante du logement dans un nombre réduit de mains : 3,5 % des ménages détiennent aujourd’hui 50 % des logements mis en location. Le profil des locataires et des propriétaires s’éloigne de plus en plus, écrit Oxfam, avec une lente évolution vers un retour à la situation du passé, où seuls les ménages aisés pouvaient espérer accéder à la propriété. 

Spéculation sur les résidences étudiantes

Le rapport fait un zoom sur la question du logement étudiant et des résidences séniors, deux secteurs frappés de plein fouet par la « financiarisation »  et devenus « des actifs financiers ». 

Pour ce qui concerne les personnes âgées, le vieillissement de la population rend notoirement insuffisante l’offre proposée par les CCAS ou les associations (résidences autonomie). Le secteur attire donc les investisseurs privés, qui y ont injecté près de 350 millions d’euros en 2022, pour créer des résidences aux prix le plus souvent prohibitif pour les personnes âgées modestes. 

Même constat pour les résidences étudiantes : il n’existe que 233 000 logements à caractère social pour les étudiants (type Crous)… pour 3 millions d’étudiants. Cette pénurie conduit à une explosion de l’offre privée, largement encouragée par le gouvernement qui a mis en œuvre la niche fiscale LMNP (location meublée non professionnelle) pour permettre à des personnes cherchant à placer leur argent à acheter des logements en résidence étudiante. Résultat, une hausse incontrôlée des prix, et des étudiants qui, selon les différentes études, consacrent entre 44 et 60 % de leur budget à leur loyer. Cette situation, rappelle Oxfam, est d’autant plus « désastreuse »  qu’elle amène de plus en plus d’étudiants… à renoncer à leurs études. 

Réguler la location à courte durée

Enfin, Oxfam tire à boulets rouges sur la location de courte durée (type AirBnB), qui aggrave, pour de multiples raisons, les inégalités. 

La LCD (location courte durée) rapporte avant tout, logiquement, aux multipropriétaires, ce qui est déjà un facteur d’accroissement des inégalités. Mais surtout, en étant nettement plus rentable que la location résidentielle classique, la LCD fait de plus en plus d’adeptes chez les propriétaires, ce qui contribue à faire diminuer l’offre de logements résidentiels… et donc à faire grimper les prix. 

Si les pouvoirs publics ont pris des dispositions législatives pour tenter de réguler le marché, ces possibilités restent encore limitées et la fiscalité sur les LCD, regrette Oxfam, est « non dissuasive ». Oxfam rappelle que dans le projet de loi  de finances pour 2024 (encore en discussion), « le gouvernement s’est finalement contenté de réduire à 50% l’abattement pour les meublés classés uniquement dans les zones tendues. Donc l’avantage fiscal reste double : les locations de courte durée bénéficient de la fiscalité de la location meublée, déjà favorable par rapport à la location non meublée (bail classique de 3 ans), auquel s’ajoute l’avantage supplémentaire pour les meublés de tourisme classés hors zones tendues. » 

Rien d’étonnant donc à ce que figure dans les « recommandations »  d’Oxfam celle de permettre aux maires « de limiter la location de courte durée pour les seules résidences principales (et donc dans ce cas l’interdire pour les résidences secondaires) », et de « supprimer les avantages fiscaux pour les meublés de tourisme ». 

Plus largement, Oxfam demande un retour de l’État dans la politique du logement et une limitation de l’intervention des sociétés financières dans l’investissement résidentiel. 

L’association propose de permettre aux communes volontaires d’expérimenter l’encadrement des prix du foncier, ainsi qu’une vaste réforme de la taxe foncière, en instaurant une « taxe foncière progressive » : concrètement, « les taux d’impositions marginaux devraient être fixés localement par les communes avec un encadrement national et des grilles différentes en fonction du statut d’occupation du logement ». Oxfam suggère également « d’augmenter fortement les taux de la taxe sur les logements vacants et de l’étendre à l’ensemble des communes ». 

Accéder au rapport.

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