Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du mercredi 13 mars 2024
Littoral

Financer l'adaptation à l'érosion côtière : les recommandations des inspections générales de l'État

Un an après l'installation du Comité national du trait de côte, l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable et l'Inspection générale de l'administration viennent de publier un rapport sur le financement des conséquences du recul du trait de côte. Taxe Gemapi, droits de mutation ou Fonds vert, tout est (timidement) sur la table pour soutenir les communes littorales.

Par Caroline Reinhart

Comment financer la relocalisation spatiale des communes menacées par l’érosion côtière ? La loi Climat et résilience de 2021 et son ordonnance du 6 avril 2022 ont fixé un cadre et des leviers d’intervention foncière pour permettre aux territoires littoraux de s’adapter à ce phénomène, aggravé par le réchauffement climatique. Très concrètement, la loi transfère aux collectivités la prise en charge du recul du trait de côte, jusque-là traité par l'État dans le cadre des plans de prévention des risques littoraux (PPRL). Les communes volontaires listées par décret (jusqu’ici au nombre de 253) doivent délimiter dans leurs PLU les zones exposées au recul du trait de côte d'ici à trente ans, ainsi qu'entre trente et cent ans. 

450 000 logements menacés d’ici 2100

Concentrant les critiques des associations d’élus, la question du financement de ce transfert de charges au bloc communal est longtemps restée pleine et entière. Il aura fallu attendre le 14 mars 2023, jour d’installation du Comité national du trait de côte – composé de 56 membres (élus, représentants de l’État, professionnels et particuliers) –, pour que soit lancée une concertation nationale sur le sujet. Avec un objectif clair : inscrire une stratégie de financement à trente ans dans le projet de loi de finances 2025 (lire Maire info du 15 mars 2023). Bérangère Couillard, alors secrétaire d’État chargée de l’écologie, déclarait : « 20 % du littoral français est soumis au recul du trait de côte, dû au changement climatique. 50 000 logements pourraient être concernés d’ici à 2100. Nous finançons d’ores et déjà l’ingénierie dont les cartographies et les premiers travaux d’aménagement à hauteur de 20 millions d’euros. Ces financements répondent au besoin actuel, mais ne sont pas à l’échelle des besoins à venir ». 

Un an plus tard, qu’en est-il ? Une partie des réponses se trouve dans le rapport conjoint de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) et de l’Inspection générale de l’administration (IGA), publié le 8 mars, et dont la mission était d’inventorier les biens exposés au recul du trait de côte pour établir des propositions de financement de cette politique désormais confiée au bloc communal. Premier constat, d’ici 2050, « dans l’hypothèse où tous les ouvrages (de protection) actuels continuent d’offrir la même protection, les impacts de l’érosion resteront relativement modérés au plan national : 760 ha urbanisés seront érodés et 8 500 locaux menacés, dont 5 200 logements et 1 400 locaux d’activités ». À l’horizon 2100, cela se corse : « La cartographie des zones basses du littoral situées sous le niveau marin actuel + 1 m, pointe la sensibilité de certains territoires aux risques de l’envahissement maritime et du débordement estuarien, ainsi que leur dépendance aux ouvrages de protection » , indique le rapport. En l’absence d’ouvrages, la dernière étude du Cerema recense plus de 500 000 ha (urbanisés, naturels ou agricoles) menacés, 450 000 logements (86 milliards d’euros) 55 000 locaux d’activités et 2 000 km de routes (RD et RN) et voies ferrées.

Gemapi, Fonds vert et… restrictions budgétaires

Côté financement, première confirmation : le Fonds Barnier dédié à la prévention des risques naturels majeurs est définitivement écarté pour l’indemnisation des effets de l’érosion côtière. « La mission s’est inscrite dans la continuité du cadre législatif et assurantiel actuel, à savoir la non-assurabilité du risque de recul du trait de côte et l’exclusion du fonds Barnier. Elle a rejeté tout dispositif d’indemnisation, ceux-ci étant déresponsabilisants et ruinant tout effort de politiques publiques de prévention des risques » . Pour les propriétaires de biens menacés par l’érosion, les auteurs du rapport proposent un dispositif de solidarité nationale orienté vers les seuls propriétaires occupants de résidences principales, et excluant ceux ayant acheté leur bien en toute connaissance du risque. 

Pour soutenir les collectivités, la mission prône tout d’abord l’utilisation des dispositifs de financement et de ressources existants. « Les opérations d’aménagement et les équipements publics bénéficient d’ores et déjà de multiples dispositifs de cofinancement. Par ailleurs, la mission considère l’érosion littorale comme l’avant-poste visible du changement climatique et que ses réflexions et propositions doivent avoir la prudence d’éviter les dispositifs exceptionnels. ». En clair, la mission recommande de passer par le Fonds vert, « sous réserve qu’il fasse l’objet d’une pérennisation et d’une exception de fongibilité », sans créer de nouveau dispositif de solidarité nationale. D’autres pistes de financement sont évoquées. Est notamment envisagé « un prélèvement additionnel sur la taxe aux droits de mutation à titre onéreux dans le périmètre des EPCI littoraux » , mais « au bénéfice du budget de l’État en soutien de certains propriétaires occupants » . Les auteurs du rapport préconisent par ailleurs un déplafonnement de la taxe spéciale d’équipement (TSE) « pour favoriser les acquisitions et portages de fonciers en rétro-littoral ». 

Par ailleurs, le rapport prône un soutien financier accru à la Gemapi (gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations) pour le financement (entretien et/ou investissement) des ouvrages de protection contre l’érosion, « en impliquant directement les propriétaires protégés au sein d’associations syndicales autorisées », et « en utilisant pleinement le plafond actuel de la taxe, voire au-delà, avec un soutien renforcé du Fonds vert aux EPCI compétents dans le cadre des PPA (projets partenariaux d’aménagement) notamment pour les EPCI les plus faibles. ». 

Publié hier, le rapport 2024 de la Cour des comptes dédié à « l’action publique en faveur de l’adaptation au changement climatique »  (lire Maire info d'hier), consacre un chapitre entier à « la gestion du trait de côte en période de changement climatique »  (vol. 2, p. 51 à 81). Et enfonce le clou : la solidarité nationale n’est pas une option pour financer cette politique. La Cour va même plus loin, en préconisant de « faire de la gestion du trait de côte une mission obligatoire de la Gemapi exercée par le bloc communal » . Une proposition à laquelle s’oppose l’AMF dans la lettre de réponse annexée au rapport. Il est rappelé la position constante de l’AMF sur ce point constatant son effet levier relatif pour travailler sur les stratégies d’adaptation au changement climatique, la piste de réforme visant à l’augmentation du plafond de 40 € par habitant n’étant pas nécessairement supportable localement. Surtout, « les élus attendaient que les lois de finances pour 2022 et pour 2023 prévoient une recette à l’échelle nationale pour financer investissements nécessaires des communes concernées, ce qui n’avait pas été le cas. Rien n’est prévu non plus dans le projet de loi de finances pour 2024 ». À l'inverse, la Cour préconise de « mettre en place un dispositif de financement de la gestion publique du trait de côte instituant une solidarité financière entre territoires littoraux et comprenant un reste à charge pour chaque collectivité ou groupement littoral financé sur ses ressources » . Décidément, la loi de finances 2025 sera un tournant crucial pour les collectivités.

Consulter le rapport IGEDD / IGA « Financement des conséquences du recul du trait de côte : comment accompagner la transition des zones littorales menacées ? » 

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