Maire-info
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Édition du vendredi 17 octobre 2025
Budget

Les motions de censure rejetées, le gouvernement parviendra-t-il à faire adopter un budget ?

Le gouvernement ayant échappé à la censure, le débat sur le budget va maintenant pouvoir démarrer, mais dans des conditions parfaitement inhabituelles qui promettent, sans doute, encore bien des péripéties. Revue des solutions qui se présentent au gouvernement et aux oppositions.

Par Franck Lemarc

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© D.R.

C’est un débat budgétaire qui ne ressemblera probablement à aucun autre, tant les conditions dans lesquelles il se déroule sont exceptionnelles. Certes, les deux motions de censure déposées par LFI, d’une part, et le RN, d’autre part, ont été rejetées – de justesse pour la première, largement pour la seconde –, mais cela ne veut pas dire que les ennuis sont terminés pour le gouvernement… ni pour les oppositions, qui vont se trouver confrontées à des choix complexes. 

Autrement dit, rien ne garantit que le pays aura bien un budget au 31 décembre, ni que les débats ne se termineront pas de façon chaotique. 

Les délais

Rappelons d’abord les règles de la discussion budgétaire. En théorie, le projet de loi de finances doit être remis par le gouvernement au Parlement au plus tard le 1er mardi d’octobre. Les péripéties gouvernementales de ces derniers jours ont déjà mis à mal ce calendrier, puisque le texte a été déposé mardi 14 octobre, avec une semaine de retard, donc. Les délais seront donc très serrés en fin d’examen : la Constitution prévoit en effet un débat de 70 jours maximum au Parlement, pour laisser ensuite le temps au Conseil constitutionnel d’examiner la copie avant une publication au plus tard le 31 décembre. Les Sages devront faire vite, car les 70 jours s’achèveront le 22 décembre. 

Le débat va, comme toujours, se faire en deux temps : les députés vont d’abord examiner le volet recettes – d’abord en commissions, puis en séance publique – qui, une fois adopté, partira au Sénat ; puis le volet dépenses, qui suivra le même chemin. 

Parallèlement va se dérouler la discussion sur le PLFSS (projet de loi de financement de la Sécurité sociale), avec des délais un peu plus resserrés (50 jours maximum). 

« Guérilla parlementaire »  en vue

Voilà pour la théorie. Dans la réalité, les choses vont être beaucoup plus compliquées. D’abord parce que l’Assemblée nationale n’a pas de majorité depuis 2022, et s’est jusqu’à présent montrée dans l’incapacité de surmonter ses divisions lors de la discussion budgétaire. Solution, prévue par la Constitution : l’article 49-3, qui permet, au moment choisi par le gouvernement, de passer en force. Mais cette année, cet outil ne pourra pas être mobilisé, puisque le Premier ministre s’y est formellement engagé.

De toutes façons, comme l’a montré le débat budgétaire de l’an dernier, il n’avait pas vraiment le choix : eût-il choisi d’utiliser le 49-3 qu’il aurait très certainement été renversé dans la foulée par une motion de censure, à l’instar de son prédécesseur Michel Barnier. 

Si le gouvernement ne fait pas usage du 49-3, cela ouvre la porte à l’adoption, in fine, d’un budget profondément modifié par rapport à la version initiale. Même si, en effet, de profonds désaccords existent entre la gauche et l’extrême droite, ces deux composantes de l’Assemblée ont, ensemble, la capacité de constituer des majorités d’opportunité. Par exemple, sur les questions de pouvoir d’achat, de remboursement des médicaments, du refus du gel des pensions et allocations ou de celui de l’impôt sur le revenu. Rappelons que même la fameuse taxe Zucman avait été adoptée, l’an dernier, par l’Assemblée nationale, grâce à l’abstention du RN. 

Vu le climat politique, c’est bien une « guérilla parlementaire sur chaque article »  qui va se dérouler, comme le pronostiquait hier le député MoDem Erwan Balanant. Il est donc tout à fait possible que la gauche et le RN détricotent entièrement les deux textes budgétaires, article par article, jusqu’à aboutir à des projets de budgets qui non seulement n’auront plus rien à voir avec la version gouvernementale, mais tourneront peut-être même complètement le dos aux fondements même du macronisme. 

À supposer que le gouvernement joue le jeu jusqu’au bout, et laisse adopter un budget ainsi modifié – car on va voir qu’il a d’autres options –, que se passera-t-il ensuite ? Comment un gouvernement composé majoritairement de partisans d’Emmanuel Macron pourrait-il appliquer une politique qui ne serait, à ce point, pas la sienne ? Dans ce cas, on ne voit pas quel autre choix aurait Sébastien Lecornu que de démissionner à nouveau. 

Nœuds gordiens

Cela dit, il ne sera peut-être pas possible pour les oppositions de s’entendre sur un texte commun, quand on connaît, tout de même, les approches fondamentalement opposées de la gauche et du RN. Si le texte comprend, à la fin, des mesures fortes contre les immigrés – par exemple une suppression de l’Aide médicale d’État – on ne voit pas comment la gauche pourrait le voter ; à l’inverse, si la gauche impose de fortes augmentations d’impôts, le RN sera en difficulté pour adopter un tel texte. C’était, pourrait-on dire avec un brin de cynisme, l’avantage du 49-3 : il permettait de trancher le nœud gordien. 

Sans compter qu’au sein même des partis, un certain nombre de choix cornéliens vont se poser. Le Parti socialiste a certes obtenu la suspension de la réforme des retraites, mais celle-ci sera intégrée au PLFSS. Si le PS refuse de voter le PLFSS parce qu’il contient trop de mesures qu’il juge antisociales, il devra, par la même occasion, dire adieu à ce qui constitue sa première victoire politique depuis bien longtemps. Choix difficile. 

Vote bloqué et ordonnances

Il restera tout de même des portes de sortie – du moins sur le papier – au gouvernement, pour tenter de sortir de l’impasse. 

D’abord, le vote bloqué. C’est une facilité permise par la Constitution, à l’article 44 alinéa 3 : « Si le gouvernement le demande, l'assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le gouvernement. »  Le gouvernement a donc le droit « d’effacer »  tous les amendements dont il n’est pas l’auteur et de demander à l’Assemblée de voter, en une seule fois. Mais en l’état actuel des équilibres politiques, il aurait peu de chance d'obtenir la majorité. Sauf à faire procéder à un tel vote à 23 heures, lorsque l’hémicycle est à moitié vide et que les oppositions sont parties – cela s’est déjà vu. En réalité, un tel « coup »  ne résoudrait pas grand-chose, puisqu’il exposerait probablement le gouvernement, dès le lendemain, à une censure directe. 

Autre option : espérer que les débats durent assez longtemps pour dépasser le délai imparti par la Constitution (50 jours pour le PLFSS, 70 jours pour le PLF). Dans ce cas, la Constitution prévoit (article 47 alinéa 3) que « les dispositions du projet (de loi) peuvent être mises en vigueur par ordonnance » . Cela résoudrait-il le problème ? Même si une telle ordonnance, contrairement aux ordonnances classiques, ne suppose pas une habilitation votée par le Parlement, puisqu’elle est expressément prévue par la Constitution, on ne voit pas comment cette décision pourrait ne pas provoquer une motion de censure et la chute du gouvernement. Le très modéré Charles de Courson (Liot) ayant lui-même déclaré hier qu’un tel recours à une ordonnance pour faire passer le budget serait « la négation de la démocratie », l’option d’une motion de censure immédiate semble à peu près certaine.

Loi spéciale

Si le gouvernement devait tomber, à la suite de l’un ou l’autre de ces scénarios, on se retrouverait alors dans la situation de l’hiver dernier : dans l’impossibilité de faire adopter un budget, le gouvernement démissionnaire devrait faire adopter une « loi spéciale »  pour assurer la continuité du fonctionnement de l’État au 1er janvier. Et le débat budgétaire sera relancé par la suite, avec la même Assemblée… ou après une dissolution. 

Le gouvernement a donc échappé au couperet de la censure… mais il ne s’agit sans doute que d’un sursis. Il paraitrait déraisonnable, aujourd’hui, d’espérer que le fragile équilibre créé par le rejet des motions de censure, hier, inaugure une ère de stabilité gouvernementale. 

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