Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mercredi 8 octobre 2025
Crise politique

Les macronistes tentent des concessions inattendues à la gauche pour essayer d'éviter la dissolution

Le Premier ministre a jusqu'à ce soir pour trouver les bases d'un accord permettant la constitution d'un nouveau gouvernement, et l'heure est aux appels du pied à la gauche. En même temps, le gouvernement s'organise dans la perspective d'une éventuelle dissolution de l'Assemblée nationale.  
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© Matignon

Ce sera probablement l’ultime concession – et la plus inattendue : par la voix de l’ancienne Première ministre Élisabeth Borne, aujourd’hui ministre démissionnaire de l’Éducation nationale, on a appris hier que le camp présidentiel serait ouvert à une « suspension »  de la réforme des retraites, jusqu’à la prochaine élection présidentielle. 

Les Républicains durcissent leurs positions

C’est que les heures passent, et que le Premier ministre démissionnaire a jusqu’à ce soir pour tenter de nouer un accord de gouvernement avec au moins un parti qui ne fasse partie du bloc central – si l’on peut encore parler de « bloc »  à l’heure où l’une de ses composantes, le parti Horizons d’Édouard Philippe, fait maintenant ouvertement campagne pour la démission d’Emmanuel Macron. 

L’équation est simple, sur le papier : Sébastien Lecornu doit convaincre ou Les Républicains, ou le Parti socialiste, de signer un accord de gouvernement avec les macronistes. Mais plus le temps passe, plus la position des Républicains se durcit. Bruno Retailleau – qui, il faut le rappeler, avait accepté il y a trois jours d’être reconduit au ministère de l’Intérieur dans le gouvernement Lecornu – est maintenant passé à une ligne « ni-ni », expliquant hier qu’il ne participerait ni à un gouvernement dirigé par un Premier ministre de gauche ni à un gouvernement dirigé « par un macroniste ». Les Républicains, ou en tout cas leur président, ont donc fait le choix de se comporter désormais en parti d’opposition, confirmant la fin du « socle commun ». Une partie des Républicains semble de plus en plus tentée par le fait de rompre avec les macronistes et de se rapprocher du Rassemblement national. Témoin l'ancienne porte-parole du gouvernement, la sénatrice LR Sophie Primas, qui a déclaré hier n'avoir « pas que des désaccords avec le RN »  et ajouté : « Gouverner avec le RN ? Ça dépend pourquoi faire ».

Il ne reste donc plus qu’une alternative à Sébastien Lecornu et Emmanuel Macron : convaincre le PS ou dissoudre. 

« Suspension »  de la réforme des retraites ?

C’est la raison pour laquelle Élisabeth Borne a lâché hier cette proposition de concession majeure, qui a fait l’effet d’une bombe jusque dans les rangs des députés macronistes.

Dans une interview parue ce matin dans Le Parisien, l’ancienne Première ministre, qui a porté la réforme des retraites de 2023 contre vents, marées et manifestations populaires, et a fini par la faire passer grâce au 49-3 en passant à 9 voix d’être renversée, affirme : « Si c’est la condition de la stabilité du pays, on doit examiner les modalités et les conséquences concrètes d’une suspension, jusqu’au débat qui devra se tenir lors de la prochaine élection présidentielle. »  Comme il paraît inimaginable que cette sortie n’ait pas été concertée avec le Premier ministre et le président de la République, la déclaration a un sens clair : il s’agit de donner du grain à moudre au Parti socialiste pour que celui-ci puisse justifier aux yeux de sa propre base une entrée au gouvernement, après avoir agoni de reproches et fait chuter, successivement, deux Premiers ministres. 

On notera que l’ancienne Première ministre n’a pas parlé « d’abrogation »  de la réforme des retraites, ni même de suspension directe, mais d’en « étudier les modalités », ce qui, au fond, n’engage pas à grand-chose. Il reste à savoir si cette porte légèrement entr’ouverte sera suffisante pour convaincre le parti d’Olivier Faure. 

Colère dans le camp macroniste

Reste que le pari est risqué, car cette déclaration, outre qu’elle a immédiatement déclenché les foudres des LR, peut provoquer de grave remous au sein même des macronistes. 

Du côté des Républicains, c’est l’indignation : Valérie Pécresse, par exemple, dénonce ce matin « une terrible faute morale ». Mais c’est surtout chez les macronistes eux-mêmes que l’étonnement – et parfois la colère – se sont le plus exprimés. Publiquement, d’abord : le député Pierre Cazeneuve twittait hier soir « Oui au compromis, non à l’aveuglement et au reniement. »  Pour l’ancien ministre Olivier Dussopt, « un compromis ne se construit pas sur un déni comptable ». Roland Lescure, macroniste de la première heure et aujourd’hui ministre de l’Économie démissionnaire, dénonce ce matin un coût de la suspension qui se chiffrerait « en centaines de millions en 2026 et en milliards en 2027 ». 

En interne, les mots sont encore plus durs. Le journal Médiapart, qui a eu accès aux boucles Telegram des parlementaires macronistes et en publie ce matin les captures d’écran, fait état de la « stupéfaction », voire de la « sidération »  d’une majorité de députés du parti Renaissance, qui n’avaient visiblement pas été avertis de ce changement de cap. « Est-ce à nous de dilapider notre propre héritage ? », demande par exemple l’ancienne porte-parole du gouvernement Maud Bregeon, ajoutant : « Le compromis, ce n’est pas mettre les deux genoux à terre par peur de la dissolution. »  Plusieurs députés ou anciens ministres semblent outrés par le fait qu’Élisabeth Borne et Sébastien Lecornu seraient prêts à reculer sur une réforme qui a coûté très cher au parti Renaissance en termes de popularité… et de sièges.

Et il est vrai qu’après avoir déclaré pendant plusieurs années que cette réforme des retraites était un totem absolu, que tout recul sur ce sujet mettrait en danger mortel les finances de l’État et aurait des conséquences économiques incalculables, la déclaration d’Élisabeth Borne apparaît plus qu’étonnante. Mais une partie des dirigeants de Renaissance semble estimer qu’il n’y a, en réalité, pas le choix : sans une concession majeure au PS, celui-ci n’acceptera pas de prendre la tête d’un gouvernement et dans ce cas, ce sera la dissolution – synonyme à coup sûr d’un second effondrement du bloc central à l’Assemblée nationale.

« Paris vaut bien une messe », avait dit Henri de Navarre, futur roi Henri IV. Éviter la dissolution vaut bien une promesse sur la réforme des retraites, semblent penser aujourd’hui Sébastien Lecornu et Élisabeth Borne. 

Éventuelles élections législatives

Pour autant, rien ne dit que la manœuvre ira jusqu’au bout. D’abord, parce que le Parti socialiste n’acceptera peut-être pas de se contenter d’une si hypothétique perspective ; et ensuite, parce que la fronde au sein du camp macroniste pourrait pousser Sébastien Lecornu à reculer. 

Le gouvernement prépare donc, de l’autre main, une éventuelle dissolution. Emmanuel Macron a reçu hier, les deux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, Yaël Braun-Pivet – alors que la Constitution impose au chef de l’État de « consulter »  ces deux personnalités avant de dissoudre. Bien que Yaël Braun-Pivet affirme ce matin que la question de la dissolution n’a pas du tout été abordée lors de cet entretien, personne ne peut le croire. 

Par ailleurs, comme le révélait hier le Canard enchaîné, l’exécutif a demandé aux préfets de se « tenir prêts »  pour une élection législative qui aurait lieu les 16 et 23 novembre. Des dates éventuelles qui ont également été données à l’AMF. Dans la mesure où absolument rien ne permet d’être sûr que la dissolution pourra être évitée, il est normal que l’État s’organise dans la perspective d’éventuelles élections et réfléchisse à une date. En l’occurrence, rappelons que la Constitution impose, en cas de dissolution, un délai minimal de 20 jours pour organiser les élections, et un délai maximal de 40 jours. En imaginant que le chef de l’État annonce la dissolution ce soir, cela veut dire un premier tour le 2, le 9 ou le 16 novembre. Les deux premières dates tombant pendant les vacances de la Toussaint, il est logique que l’exécutif s’oriente vers la troisième – qui tomberait, notons-le, à la veille de l’ouverture du congrès de l’AMF. 

En milieu de matinée, aujourd’hui, Sébastien Lecornu semble en tout cas optimiste sur ses chances de parvenir à un accord : dans une déclaration faite à Matignon à 9 h 30, il indique que ses entretiens avec « l’ensemble des formations politiques »  lui permet d’espérer « qu’il y a une volonté d’avoir pour la France un budget avant le 31 décembre de cette année ». Cette « volonté »  crée, selon le Premier ministre démissionnaire, « une convergence qui éloigne les perspectives de dissolution. »  Et d'évoquer les élections municipales : « Cette volonté d'avoir un budget avant le 31 décembre de cette année oblige chacun à avoir une capacité à avancer et aussi d'ailleurs pour permettre aux Françaises et aux Français d'avoir des élections municipales qui se tiennent dans les meilleures conditions. » 

Est-ce un nouveau coup de bluff ou un véritable espoir ? Réponse ce soir. 

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