Le Sénat demande que les éco-organismes arrêtent de « thésauriser »
Par Franck Lemarc
En quelques mois, deux crises majeures ont secoué le monde de l’économie circulaire. En juin, Le Relais annonçait une grève de la collecte des textiles usagés, se disant menacé de faillite, et accusant l’éco-organisme Re-fashion de faire de la rétention financière (lire Maire info du 117 juillet https://www.maire-info.com/collecte-textile-le-cri-d'alarme-du-relais-menace-de-mourir-avant-la-fin-de-l'annee-article2-29903). Fin septembre, une autre crise éclatait au grand jour dans la filière des déchets du bâtiment, conduisant notamment l’AMF à dénoncer des éco-organismes qui « désertent leur mission » alors « qu’ils continuent de percevoir l’écocontribution ».
La filière est bien « en crise », comme le constate Christine Lavarde, chargée par la commission des finances du Sénat de travailler sur ce sujet.
Bilan « décevant »
Premier constat de la sénatrice : le « poids économique » des filières REP (responsabilité élargie du producteur) ne cesse de grandir. Alors qu’en 2000, le montant total des écocontributions était inférieur à 200 millions d’euros, il dépasse les 2,2 milliards d’euros aujourd’hui et devrait atteindre les 8 milliards en 2029.
Mais malgré cette augmentation exponentielle, les subventions de l’État (à travers le Fonds économie circulaire) continuent d’augmenter. Alors qu’elles ne devraient concerner que les secteurs qui ne sont pas concernés par une filière REP, ce n’est pas le cas, constate la députée : « La création de nouvelles filières et la montée en puissance de celles déjà existantes avec la loi Agec auraient donc dû en toute logique s’accompagner d’une diminution des subventions publiques, mais c’est le contraire qui a été observé sur les dernières années. » Alors que les subventions publiques consacrées à l’économie circulaire n’étaient que de 236 millions d’euros en 2015, elles ont doublé aujourd’hui (434 millions en 2024). On est donc loin d’une stricte application du principe « pollueur payeur », remplacé dans bien des cas par un principe « État payeur », ce qui est contraire à la logique du dispositif.
La rapporteure propose donc que l’État se désengage, « progressivement », du soutien à l’économie circulaire. À une exception notable : celle des projets « portés par les collectivités d’outre-mer, car les filières REP y sont peu développées ».
Elle note également que dans la filière plastique, le trop faible taux de recyclage de la France coûte cher : chaque pays de l’Union européenne paye en effet une taxe appelée « ressource propre plastique », assise sur le taux de recyclage de chacun – moins on recycle, plus on paye. En 2022, la France a payé 1,46 milliard d’euros à l’Union européenne au titre de cette taxe, avec un taux de recyclage du plastique de 25,2 %. Si le taux avait été de 50 %, la taxe serait tombée à 724 millions d’euros, soit une économie substantielle pour le budget de l’État.
Une thésaurisation « incompréhensible »
Mais c’est sur les éco-organismes que la rapporteure a la dent la plus dure. Estimant le bilan des filières REP « décevant » (« 40 % du gisement de déchets soumis à une REP échappe encore à la collecte » ), la sénatrice rappelle que seules trois filières sur les huit qui disposent d’un objectif de collecte l’ont rempli.
Mais en même temps, les finances des éco-organismes sont florissantes : sur l’ensemble des 18 éco-organismes pour lesquelles les données financières sont disponibles, « le montant total des provisions pour charges futures » atteint le milliard d’euros, soit « la moitié des écocontributions collectées ! ». Autrement dit, les éco-organismes se constituent un plantureux trésor de guerre, au lieu d’utiliser cet argent – payé par les consommateurs – pour ce à quoi il doit servir.
Comme le disait la Cour des comptes en 2016 déjà, « les éco-organismes n’ont pas vocation à être des gestionnaires de fonds, alors que les écocontributions pèsent sur la trésorerie des entreprises et, en bout de chaîne, sur le consommateur ». La rapporteure du Sénat va dans le même, estimant qu’il n’est « pas compréhensible qu’autant d’argent soit immobilisé alors que les objectifs des cahiers des charges ne sont pas atteints ». Elle demande donc que les taux de « provisions pour charge future » des filières soient « plus encadrés », « en prévoyant notamment des seuils plus contraignants que ceux qui sont mentionnés actuellement dans les cahiers des charges, et en renforçant les sanctions en cas de non-respect de ceux-ci. »
La sénatrice souhaite également que le contrôle et la supervision des filières soient renforcés, notamment en créant une structure administrative unique chargée de ce suivi – au lieu de cinq actuellement, allant de l’Ademe à la Direction générale des entreprises en passant par la DGCCRF. En passant, elle suggère que le hausse des moyens de contrôle ne soit pas financée par le budget de l’État, mais par les filières elles-mêmes, « en augmentant la redevance payée par les éco-organismes ». Elle recommande également « d’adapter et de simplifier ces procédures de contrôle, et de redéfinir les sanctions en cas de non-respect des prescriptions et des objectifs du cahier des charges pour les rendre efficaces et crédibles ».
La mise en œuvre de ces recommandations – dont certaines nécessiteraient une évolution législative – serait, selon la rapporteure, le seul moyen d’éviter dans les années à venir la multiplication de crises telles que celles qui ont éclaté cette année, et de permettre à la France de se rapprocher, enfin, de ses objectifs en matière d’économie circulaire.
Du côté de l’AMF, on juge, ce matin, ces observations « intéressantes », tout en estimant que certaines propositions de la sénatrice doivent maintenant être « expertisées ».
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